Martyrs - 2008 (Transfiguration)

Martyrs 2008

Genre : horreur, gore, trash (interdit aux - 16 ans)
Année : 2008
Durée : 1h40

Synopsis : France, début des années 70. Lucie, une petite fille de dix ans, disparue quelques mois plus tôt, est retrouvée errant sur la route. Son corps maltraité ne porte aucune trace d'agression sexuelle. Les raisons de son enlèvement restent mystérieuses. Traumatisée, mutique, elle est placée dans un hôpital où elle se lie d'amitié avec Anna, une fille de son âge. 15 ans plus tard. On sonne à la porte d'une famille ordinaire. Le père ouvre et se retrouve face à Lucie, armée d'un fusil de chasse. Persuadée d'avoir retrouvé ses bourreaux, elle tire

La critique :

Certes, la carrière cinématographique de Pascal Laugier débute en 1993 avec un court-métrage, intitulé Tête de Citrouille. Mais il lui faudra patienter jusqu'en 2001 pour se retrouver sous les feux des projecteurs. En effet, à l'époque, Pascal Laugier réalise le making-off de Le Pacte des Loups (Christophe Gans). Parallèlement, le film se solde par un succès commercial. De surcroît, le making-off est unanimement salué et plébiscité par les fans du long-métrage.
Grisé par cette réussite, Pascal Laugier signe son tout premier film, Saint Ange, en 2004. Si ce tout premier essai obtient des critiques plutôt panégyriques, il se solde néanmoins par un bide au cinéma. Mais Pascal Laugier s'ingénie et réalise Martyrs en 2008.

Contrairement à Saint Ange sorti dans l'indifférence générale, Martyrs provoque les foudres et les anathèmes de la censure. Dans un premier temps, la commission de classification des oeuvres cinématographiques décide, à l'unanimité, d'interdire le film aux moins de 18 ans. Ce qui équivaut à une classification "X", donc inhérente aux oeuvres pornographiques. Une telle opprobre risque de compromettre la promotion et la distribution de Martyrs dans les salles obscures.
Qu'à cela ne tienne, quelques mois plus tard, plusieurs personnes éminentes, dont le metteur en scène Fernando De Azevedo, défendent le long-métrage et promeuvent la liberté d'expression au nom d'un cinéma de genre (en particulier l'horreur) en désuétude en France. A l'époque, la Ministre de la Culture, Christine Albanel rectifie le tir.

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Elle demande à la commission de réviser son jugement. Requête entendue puisque Martyrs écope finalement d'une interdiction aux moins de 16 ans avec avertissement. Paradoxalement, grâce au relai des journaux et des médias, le film va connaître une certaine promotion et publicité qui vont lui être favorables. A nouveau, Fernando De Azevedo glose et exalte les qualités du long-métrage.
Selon le célèbre metteur en scène, Martyrs serait le nouvel uppercut trash et horrifique des années 2000. Un choc digne des plus grands classiques du cinéma extrême, notamment Massacre à la Tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974) en son temps. Reste à savoir si le film mérite un tel dithyrambe. Réponse dans les lignes à venir. La distribution de Martyrs réunit Morjana Alaoui, Mylène Jampanoï, Catherin Bégin, Robert Toupin, Patricia Tulasne et Juliette Gosselin.

Attention, SPOILERS ! France, début des années 70. Lucie, une petite fille de dix ans, disparue quelques mois plus tôt, est retrouvée errant sur la route. Son corps maltraité ne porte aucune trace d'agression sexuelle. Les raisons de son enlèvement restent mystérieuses. Traumatisée, mutique, elle est placée dans un hôpital où elle se lie d'amitié avec Anna, une fille de son âge. 
15 ans plus tard. On sonne à la porte d'une famille ordinaire. Le père ouvre et se retrouve face à Lucie, armée d'un fusil de chasse. Persuadée d'avoir retrouvé ses bourreaux, elle tire. Avant toute chose, Martyrs est à la fois le substrat et le résultat d'un long travail d'analyse et de quasi autoscopie mentale. Les références de Pascal Laugier ? Toujours la même antienne. La Colline A des Yeux (Wes Craven, 1977), Les Chiens de Paille (Sam Peckinpah, 197) ou encore Délivrance (John Boorman, 1972).

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Jusque-là rien de très original sous le soleil ! Vient également s'ajouter le cinéma de John Carpenter, en particulier The Thing (1982), qui a profondément marqué les rétines de Pascal Laugier. A l'instar de l'illustre réalisateur américain, le cinéaste français ne souhaite pas se fourvoyer dans une machine lucrative et mercantile. Pascal Laugier peste et tonne contre un schéma cinématographique peu inventif et désormais sous l'égide de producteurs turpides et fallacieux.
Dès lors, il décide de concevoir Martyrs comme un long cheminement personnel et introspectif, celui de la souffrance et de la douleur. Hélas, depuis toujours (hormis quelques exceptions notables), le cinéma français semble définitivement fâché avec le genre horrifique. Le but de Martyrs est justement de rectifier le tir.

Huit ans après sa sortie, Martyrs est déjà considéré comme une référence et même comme un film culte. Une thèse corroborée par l'inévitable remake américain homonyme, cette fois-ci réalisé par les soins de Kevin et Michael Goetz. Indubitablement, Pascal Laugier cherche à brouiller les pistes via un scénario retors et fuligineux. Ainsi, Martyrs peut se diviser en deux parties bien distinctes.
Dans la première, le long-métrage se concentre presque exclusivement sur la vindicte de Lucie, une jeune femme en plein marasme. Adolescente, cette dernière semble avoir subi tout un tas de sévices. Par qui ? Pourquoi ? Autant de questions sans réponse. Toujours est-il que cette dernière pénètre, armée d'un fusil, chez ses anciens bourreaux et les assassine un par un. Eplorée et inlassablement poursuivie par une sorte de démon succube, Lucie téléphone à sa mère puis à sa meilleure amie, Anna.

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La séquence se terminera par le suicide de Lucie. Clap de fin ou presque. Début de la seconde partie. Pour Anna, c'est l'occasion ou jamais d'explorer les coursives de l'étrange demeure. Hébétée, elle découvre de mystérieuses affiches dans les sous-sols de la cave. Les anciens propriétaires semblent vouer une passion funeste pour des victimes sacrifiées. Seul bémol et pas des moindres, ces photographies se concentrent sur le regard impavide de ces personnes mutilées, scrutant le ciel et plus précisément cette lumière indicible, celle de Dieu ou d'une possible existence après la mort.
Matois, Pascal Laugier accumule les menus détails, ceux qui vont conduire Anna vers la décrépitude et la déréliction. Ligotée, affamée et suppliciée par d'étranges tortionnaires, la jeune femme reçoit la visite d'une bourgeoise au visage chenu.

A partir de là, Martyrs oblique vers une direction scabreuse, cynique et nihiliste, invitant le spectateur à sonder la psyché de son héroïne en déliquescence. Malheureusement pour Anna, elle présente tous les "atouts" (si j'ose dire) pour connaître l'illumination, plus précisément la transfiguration. "Il n'y a plus que des victimes. Les martyrs sont exceptionnels" claironne l'un de ses bourreaux.
En l'état, difficile d'en dire davantage. Indéniablement, on tient là un film à la fois ambitieux et terriblement complexe. Mutin, Pascal Laugier nous convie dans un huis clos étouffant, anxiogène et claustrophobique. Peu à peu, le cinéaste relie le passé de Lucie à la souffrance quasi christique d'Anna comme une logique rhédibitoire, celle qui doit donner cette réponse post-mortem.
Oui, Pascal Laugier délivre bel et bien l'uppercut annoncé. On tient donc là l'un des meilleurs films d'horreur français. Après, si l'expérience se révèle bien traumatisante, Martyrs ne mérite pas non plus de figurer parmi les pires ignominies du cinéma extrême. Martyrs reste donc un bon (très bon...) film de genre. Dans un cinéma français aussi anomique, c'est déjà énorme.

Note : 16/20

sparklehorse2 Alice In Oliver

Chronique également disponible sur : https://gossipcoco.wordpress.com/2016/05/20/chronique-film-martyrs/