[INTERVIEW] Safy Nebbou et Raphaël Personnaz

A l’occasion de la sortie le 15 juin du film Dans Les Forêts de Sibérie, notre équipe a rencontré Safy Nebbou, le réalisateur, et Raphaël Personnaz, l’acteur principal. Ils ont tourné en Sibérie pour l’adaptation du livre du même nom écrit par Sylvain Tesson publié en 2012. Safy Nebbou a ajouté des éléments extérieurs au livre, notamment une amitié entre Teddy (R.Personnaz) et le russe Aleksei (E.Sidikhine). Notre discussion s’est tenue lors du 30e Festival du film romantique de Cabourg.

La critique Pulp Movies est disponible sur notre site.

Synopsis : « Teddy décide de partir loin du bruit du monde, et s’installe seul dans une cabane, sur les rives gelées du lac Baïkal. Une nuit, perdu dans le blizzard, il est secouru par Aleksei. Entre ces deux hommes que tout oppose, l’amitié va naître aussi soudaine qu’essentielle. »

safy3

_____________________________

Estelle Lautrou : Vous pensez que sans avoir lu le roman de Sylvain Tesson vous auriez quand même fait un film d’aventure tel que celui-ci ?

Safy Nebbou : Oui. Avant mes longs-métrages, je me suis expérimenté sur des moyens-métrages. Je faisais déjà des choses comme celle-là. Les histoires se déroulaient dans une nature assez pure. J’aime beaucoup le pays basque, les milieux espagnols. Ces moyen-métrages avaient très peu de dialogues. J’ai toujours eu le goût de ce genre de film, c’est ce que j’aime.

E. : Vous avez beaucoup voyagé ? Est-ce qu’un endroit vous inspire plus qu’un autre pour vos films ?

S. : Je voyage beaucoup effectivement, c’est essentiel pour le travail que je fais. Mes séjours vont de l’Asie à l’Afrique. J’adore ça, je ne m’en passe pas. Cet été je ne sais pas ce que je fais, mais une chose est sûre, je vais partir quelque part. J’aime les endroits sans tourisme de masse. J’ai fait le Mexique, Guatemala, … mais toujours de façon très roots, en évitant les endroits où il y a beaucoup de monde.

E. : Raphaël, vous pensiez faire un film comme cela un jour ? Dans les Forêts de Sibérie sort un peu des conventions établies par le cinéma français …

Raphaël Personnaz : J’avais envie de faire ça, évidemment. Personnellement, quand j’ai commencé le cinéma, c’est ce genre de films d’aventure qui m’ont fait rêver en tant que spectateur. Que ce soit des westerns ou autres, j’ai toujours bien aimé les films avec des grands espaces. C’est vrai que Dans Les Forêts de Sibérie dénote de ce qui se fait dans le cinéma français. Mais j’aimais vraiment la notion d’ouverture sur le public. Ce film n’est pas trop intimiste. Certes, on est dans une partie du globe qui peut être effrayante parce que la Sibérie on l’identifie tout de suite à quelque chose de triste, au goulags et tout ça… Mais grâce au film on arrive à voir tout autre chose et le spectateur est emporté avec nous. Enfin j’espère ! C’est un cinéma qui me parle complètement. Quand je vois comment le film est reçu aujourd’hui et pour l’instant, ça me fait plaisir. On voit qu’il y a une attente auprès du public. Les gens en ressortent assez comblés. Dès les premières images il y a un sentiment d’apaisement. En fait, ça nous a fait pareil en arrivant sur les lieux de tournage.

S.: Très apaisant effectivement. C’est hallucinant de beauté. Vous savez, le second plan du film, il devait arriver en 1e plan à la base. Et puis un jour, en équipe réduite, au début du tournage, je me suis rendu compte que ce n’était pas possible. Parce que je venais de voir un petit arbre, avec rien d’autre qu’un chemin. Un chemin, un arbre, et une immensité. Je ne saurais pas expliquer pourquoi mais moi ça me touche, ça m’émeut. J’avais trouvé mon plan d’ouverture. C’était sûr.

E. : Raphael, on vous voit vous amuser comme un gamin au début du film. On peut imaginer que ces réactions sont presque naturelles.

R. : Il m’a fallu un petit temps. C’est venu au bout d’une semaine. Mais je me suis ensuite, oui, transformé en gamin et j’ai embêté l’équipe pendant 3 mois ! Mais on était tous comme ça finalement. Quelque chose s’est apaisé chez chacun de nous. Du coup on est pas dans un « faux sérieux ». On était sans cesse dans un relâchement. Ça ne veut pas dire qu’on en oublie les autres et qu’on en oublie la politesse. Mais cette part d’enfance dans le personnage de Teddy, je l’ai adoré. Cette part de sa personnalité je l’ai très vite ressenti personnellement. Ce n’est même pas joué. Quand on a toutes les libertés dans un endroit aussi extraordinaire et unique, on a tout à redécouvrir. On a aucun acquis. On est obligé d’être dans cette position d’enfant, d’émerveillement permanent. On ne peut pas faire comme si la beauté qui nous environne n’existait pas. Alors on regarde ça avec des yeux de gosse, forcément.

E. : Dans une précédente rencontre avec le public, on vous avait demandé si un retour à la réalisation de films plus « classiques » ne vous paraîtrez pas trop fade. Vous aviez répondu que le tournage de films plus conventionnels rend des expériences comme Dans Les Forets de Sibérie si unique. Cela veut dire que vous n’aimeriez pas faire uniquement des films d’aventure comme celui-ci ? Vous avez besoin de faire des réalisations plus « simples » ?

S. : La singularité ne peut pas se répéter. Un film comme Dans les Forêts de Sibérie, je n’en ferai pas deux. Je n’ose pas trop penser à la perte de magie. Ce qui est agréable en tant que réalisateur, c’est quand on a envie de faire passer une émotion et qu’on voit que le public nous la renvoie. J’étais pas du tout en maîtrise pendant que je tournais. J’étais en intuition permanente. On avait un canevas, une structure mise en place, mais quand on va en Sibérie on a pas envie de s’enfermer dans un planning. On se donne beaucoup de liberté. Si je retentais l’expérience, ça serait ailleurs ! Tout serait différent. On ne peut surement pas s’en passer.

E. : Safy, il arrive que les adaptations de livre au cinéma soit mal reçues par les lecteurs de l’œuvre originelle.

S. : Il y a toujours des déçus car ils se sont fait leur propre film grâce à l’imagination. Je ne suis pas entré totalement dans les rails de Tesson. Mais il m’a donné son accord. Je me sens frère de sang de ce point de vue-là. Je pense que l’essentiel de Tesson est dans mon film. Ce qui m’a touché existe chez lui. Et ça existe dans mon film. Ce qu’on a inventé avec David Oelhoffen (co-scénariste), ça nous appartient à nous, c’est notre adaptation. Je me sens tout à fait légitime de ce point de vue. La raison de sa venue en Sibérie, sa démarche, ses objectifs, tout ça c’est dans le film. Tesson a vu le résultat final, il a beaucoup aimé. Ça aurait pu ne pas être le cas. Mais on a fait le film par étape. D’abord des discussions, puis lecture du scénario, et ça s’est fait de fil en aiguille.

E. : Vous seriez capable, vous, Raphael Personnaz, en tant qu’homme, de faire ce que fait votre personnage ? Vous couper de tout et partir en Sibérie profonde.

R. : Oui bien sûr, évidemment …. * rire * Non pas du tout. Là il le fait gratuitement. Tesson avait un but littéraire. Nous un but cinématographique. Mais sans ça, sans but, non je n’aurais pas pu le faire. Peut-être une semaine, deux semaines. Mais c’est tout. Mais c’est ça aussi la littérature, le cinéma. Rentrer sur des choses un peu extrêmes, que nous serions pas à même de faire, que nous ne ferions pas en réalité. Mais vous savez, ça nous ouvre des portes sur un ailleurs. En revenant de là-bas, l’équipe et moi savions que cet endroit existe. Je sais que ce lieu est réel. Et qu’il en existe d’autres ailleurs. La possibilité d’une trêve existe. Même quand vous êtes enfermé, vous savez qu’à un moment donné y’a la possibilité de s’échapper en Sibérie à un moment donné. Cela rend le quotidien plus acceptable.

E. : On vous voit bouger constamment dans le film. Vous vous êtes préparé, au moins physiquement si ce n’est pas psychologiquement ?

R. : Je ne me suis pas préparé. Le personnage ne se prépare pas non plus à vivre cette expérience. J’admets que j’ai fait deux ou trois choses en amont. Mais rien ne peut vraiment vous préparer à cela, à ce que j’ai vu et vécu. C’est comme un voyageur. Il a beau prendre ses guides de voyages, des précautions etc, à partir du moment où on ne connait pas un endroit et qu’on le découvre, il faut profiter. Si on se réfère toujours à quelque chose, on n’arrive pas à s’en détacher, on arrive pas à profiter pleinement et naturellement.

280797.tif

E : Comment avez-vous trouvé l’acteur russe qui joue l’ami de Teddy ?

S. : Je suis allé à Moscou et j’ai rencontré plein d’acteurs. Et j’ai eu un coup de cœur pour Evgueni Sidikhine. Tout simplement.

E. : Et vous Raphael, votre relation avec lui ? Vous avez gardé le contact ? Jouer une telle relation en Sibérie, ça doit créer un lien exceptionnel.

R. : Les liens entretenus avec Evgueni Sidikhine ne sont jamais passés par des mots. Pour la simple et bonne raison qu’on ne se comprenait pas du tout. Il ne parle pas anglais, moi je baragouinais russe. Mais ça passe par des gestes, des regards. Pour ne rien vous cacher, nous n’avons gardé aucun contact. Sauf la semaine dernière. Il est venu voir le film en France avec sa femme et sa fille. Directement j’ai eu l’impression de retrouver mon copain, mon ami. Il était ému, moi aussi. On a eu des retours de réflexes de personnages. Evgueni est un homme très doux, tout passe par la gestuel.

E. : Comment vous avez géré la déconnexion totale par rapport à votre vie restée en France ?

R. : Franchement on fait croire qu’on est triste de partir comme des marins qui prennent le large. Mais nous ne sommes pas tristes du tout. On sait qu’on va revenir. On sait que ce n’est pas une déconnexion totale. On est un peu triste mais bon, ça va. Si on l’est trop, de quitter les siens pendant 3 mois, on ne le fait pas, c’est pas la peine. Et puis les proches sont très content de ne pas nous voir pendant 3 mois aussi !

S. : Moi je n’ai pas de famille et pas d’amis donc c’est réglé. *rire*

E. : Vous accepteriez les comparaisons avec Into The wild, Sept ans au Tibet, ..?

S. : Ah oui j’accepte toutes les comparaisons possibles ! Je peux presque dire que ça ne me regarde pas. Après tout c’est au spectateur de juger. C’est normal que les comparaisons se fassent. Tous les films Jeremiah Johnson, Seul au monde, … Ils ont évidemment un lien avec Dans les Forêts de Sibérie. Ma seule vraie inspiration est le film Dersou Ouzala de Kurozawa.

E. : Les shoots de vodkas : vrais ou faux ?

R. : Vrai totalement vrai. Ça allait avec l’ambiance du film. Il fallait que ce soit bio, organique, il fallait que tout ça vrai. Ça fait tellement partie intégrante des choses là-bas … C’est comme ici, je prendrais un calva. J’ai vraiment dit « C’est comme ici, je prendrais un calva » ?

S. : Super ta réponse. Prochain titre d’un film !

Propos recueillis par Estelle Lautrou

_____________________________

Merci à Safy Nebbou et à Raphaël Personnaz pour cette interview.
Rendez-vous donc en salle dès le 15 juin pour Dans Les Forets de Sibérie ! En attendant, n’hésitez pas à aller lire notre critique ici.