Ils sont partout : une fable grinçante, nécessaire et percutante contre l’antisémitisme

Ils sont partout : une fable grinçante, nécessaire et percutante contre l’antisémitisme

Ils sont partout. Faux ! Chez Une graine dans un Pot, qui est un grand centre de décisions et de pouvoir, nous comptabilisons deux athées, un agnostique et une chrétienne orthodoxe. Les quatre compères sont de fieffés communistes pratiquants, saisissant la moindre occasion pour porter le fer contre la finance internationale. L’étroitesse d’esprit dont ils font preuve en considérant que la lutte des classes est le seul type de complot existant, pire, considérant que celui-ci est un complot sans complotistes dont les intérêts communs se suffisent à eux-même, ils pourraient facilement être traités de sionistes par la droite dure et antisociale qui se cache derrière les groupuscules d’extrème-droite dit “antisionistes”, pour mieux camoufler leur antisémitisme béat. Par béât, nous entendons qui tient de la foi, ils ne sont pas à une contradiction prêt. Dénonçant les “communautarisme”, ils n’en sont pas moins sectaires. Ils sont partout, comédie grinçante, d’Yvan Attal est une bouffée d’air frais, se payant le luxe de porter le fer de la dérision contre l’asphyxiant antisémitisme ambiant qui n’a finalement pas d’autre couleurs que celle de la bêtise éhontée et de la simplification rassurante.

Yvan (Yvan Attal) passe deux heures par semaine chez le psychiatre, à moitié convaincu par son entourage qu’il est paranoïaque et qu’il voit des antisémites partout.

Ils sont partout : une fable grinçante, nécessaire et percutante contre l’antisémitisme

Yvan (Yan Attal)

Reprenant les pensées de Brice Parain, Albert Camus déclara que « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. » Il n’aura échappé à aucun esprit lucide à quel point cette affirmation est véritable. Au café du commerce, au repas de famille du dimanche, à la caisse du supermarché, tout à chacun peut remarquer, avec effroi, à quel point les simplifications sont le fer de lance d’une pensée appauvrie et mortifère. Et de cette pensée prêt-mâchée émerge un mal pire que tous les autres car il contient en germe la dissension, la guerre et les persécutions : le racisme. Mère de tous les fascismes, la généralisation outrancière de clichés et de préjugés étendus à toute une ethnie ou une confession, sans soucis de cohérence intellectuelle et factuelle amènent des absurdités, des non-sens et des cheminements dangereux qui poussent aux crimes. Pour paraphraser un gourou célèbre : « Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Nous avons déjà entendu des phrases tels que « Je ne suis pas raciste bêtement ». Mais le racisme est intrinsèquement un blocage de la pensée, un règne de l’absurde auquel se heurte toute conscience apte à sortir d’un manichéisme malsain. C’est, avant tout autre chose, à ce règne de l’absurde que s’attaque Ils sont partout. « Ils sont partout », une diatribe qui porte en elle toutes ses propres incongruités. « Les arabes sont des voleurs », « les juifs sont riches », « les noirs sont fornicateurs », « les homosexuels sont pédophiles », etc. autant de formules incantatoires qui relèvent davantage de la croyance magique que de l’expérience sensible. Et c’est d’ailleurs ôté toute sensibilité, toute humanité à l’être social que de le réduire à une catégorie prédéfini. A travers plusieurs sketchs, certes inégaux, mais souvent jouissifs et drolatique malgré les sujets très sérieux qu’ils traitent, Ils sont partout tord le coup aux clichés antisémites mais également aux incohérences de ce discours. Ils sont partout prend parfois des airs d’Ubu Roi d’Alfred Jarry autant qu’on y entend les résurgences de Belle du Seigneur d’Albert Cohen.

Ils sont partout : une fable grinçante, nécessaire et percutante contre l’antisémitisme

Boris (Benoît Poelvoorde) et Eva (Valérie Bonneton)

Première séquence inspirée de l’épisode lepenien du bal des nazis autrichiens : Boris (Benoît Poelvoorde que l’on a vu dans Le tout nouveau testamentcœurs et Une famille à louer) et Eva (Valérie Bonneton), cela ne s’invente pas, sont les deux fers de lances de l’extrème-droite française. Alors que Boris s’inquiète qu’Eva, ayant réunie 25 % des électeurs autour d’elle aux Européennes, ne soit venu en si inconvenante compagnie, celle-ci exulte de ne voir aucune personnes « de couleurs » à la réception. Ayant la bonne idée de s’inspirer d’épisodes réels de la vie politique européenne, Attal s’inspire également pour cette séquence de la risible histoire de Csanad Szegedi, député européen de l’extrème-droite hongroise qui a découvert que sa grand-mère était juive et qui, dans un premier temps, si engoncé dans sa haine, ne l’avait pas remise en cause. Cela avait été l’occasion pour son parti de clamer qu’il n’avait rien contre les juifs. De la même manière que le Front National trouve des homosexuels et des arabes assez aliénés pour rejoindre leurs rangs et servirent de caution à leurs idées nauséabondes. Bonneton, et surtout Poelvoorde, sont aussi hallucinant qu’hallucinés. Il faut voir Poelvoorde se crachait à la figure devant le miroir en se traitant de « sale juif », un instant aussi nauséeux que, paradoxalement, drôle. Ce que révèle cette première fable, c’est qu’avant de détester les autres, les fascistes se détestent eux-mêmes. La première démarche, consciente ou inconscient, étant de nier le métissage ancestral de l’humanité. Souvent peu compétent en matière historique, ils cumulent les approximations qui leur laissent construire une pureté fantasmée. Pour être niçois, j’en sais quelque chose des identitaires niçois qui pensent que Nice fut italienne alors qu’il ne fut que Sarde et que les Sardes ne se considérait pas italien, incapable alors de comprendre correctement un romain.

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Pascal (Dany Boon) et sa mère (Marthe Villalonga)

Un autre sketch sur lequel il faut s’attarder est celui incarnait par Pascal (Dany Boon) et Mathilde (Charlotte Gainsbourg que l’on a vu dans Samba et cœurs) et qui explore les légendes de comptoirs tenaces qui attribuent aux juifs, pouvoir et richesse. Pascal est un juif sans le sous, habitant une banlieue pourrie et séparée de sa femme Mathilde. Celle-ci lui reproche de ne pas « jouer le jeu de la diaspora », de ne pas se servir du « réseau d’influence juif ». Mais lui, le pauvre bougre, il n’est pas au courant de la toute-puissance du lobby juif, il se démène comme il peut pour payer le pension alimentaire, il est comme tous les crève la faim de la cité qui parasite l’entrée des blocs. Il n’est pas au courant parce que le lobby juif est une vision de l’esprit, un bouc-émissaire bien utile qui permet de donner au peuple le grain à moudre nécessaire pour le détourner du vrai problème, la captation des richesses par 1 % des habitants de la planète. Parmi ces 1 %, l’on trouve aisément des Saoudiens musulmans, des français catholiques et américains juifs. L’argent n’a pas d’odeur, pas de patrie et surtout, pas de morale, pas d’éthique. Une éthique, que l’on peut acquérir en étant athée, mais que la religion, non instrumentalisée peut aiguiller comme n’importe quelle philosophie. Ils sont partout est avant tout une franche comédie et cet épisode est certainement le plus kafkaïen, et par la même le plus hilarant du long-métrage. Pascal, dont le colocataire est un dealer (Steve Kalfa), se laisse convaincre qu’étant pauvre, il ne peut pas être juif. Au cœur de l’aliénation et de l’acculturation, ce sketch a le mérite cinglant de faire de remettre l’individu au cœur de la discussion, précisant que si la culture d’origine peut façonner un homme, elle n’est qu’une part infime, et intime, de ce qu’il est.

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La mère de Pascal (Marthe Villalonga) et Mathilde (Charlotte Gainsbourg)

Parmi les sketchs inégaux, on peut signaler celui ou Norbet (Gilles Lellouche que l’on a vu dans La French, L’enquête et entendu dans Vice Versa), un agent du Mossad, est envoyé pour tuer Jésus avant qu’il ne devienne le Messie dans l’idée que l’acte fondateur de l’antisémitisme est la mort de Jésus. Par une pirouette scénaristique un brin potache, Norbert tombe amoureux de Marie, refuse de tuer l’enfant, et prend la place de Jésus sur la Croix. A nouveau, un juif est fondateur de la religion chrétienne. On ne peut voir ici que la volonté de montrer à quel point la haine des autres se niche parfois dans la haine de ses propres origines. Un seul sketch, à vrai dire, nous a laissé perplexe, et se pose en conclusion du récit. C’est celui très court selon lequel, si la France était peuplée de juifs, Paris aurait droit à son lot de tir de roquette comme Tel-Aviv, même si cela avait été décidé démocratiquement. Les commentaires de deux israéliens, en voix-off, laisse entendre, par glissement, que si Israël est attaqué, ce n’est que par antisémitisme. On peut entendre aisément que l’antisionisme est devenu un pare-vent, pour l’extrème-droite, de l’antisémitisme, une sorte de novlangue bienséante et l’on ne nie pas que l’antisémitisme puisse être prégnant dans certaines organisations arabes mais faut-il rappeler que cette situation désastreuse est avant tout le fruit d’une politique coloniale désastreuse ? Attal cite Malraux mais devrait s’y tenir jusqu’au bout. Si l’extrème-droite nomme mal les choses, il appartient à la gauche dont il se réclame de les énoncer clairement. On peut à la fois donc dénoncer la politique fascisante du Likoud et promouvoir la cohabitation pacifique entre israélienne et palestinien sans prendre aucunement en compte les religions des uns et des autres, seulement un point de vue anti-impérialiste et humaniste. Tel que définit par le Larousse, l’antisionisme est « l’hostilité à l’extension de l’État d’Israël », ce qui n’a rien à voir avec une quelconque haine des juifs mais repose sur le respect des conventions internationales et des droits de l’Homme.

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Mathilde (Charlotte Gainsbourg) et Pascal (Dany Boon)

Faisant écho à tout cela, le sketch de Roger (François Damiens que l’on a vu dans Le tout nouveau testamentLa famille Bélier et Des nouvelles de la Planète Mars) est juste génial, démontant les communautarismes idiots, vidés de leurs sens culturels premiers, et invitant au métissage, à s’attarder sur ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous divise, ce qui est finalement, le propos principal de Ils sont partout, véritable déclaration d’amour d’un juif à la France, symptôme malgré lui d’une République malade où l’on ne devrait pas avoir à se justifier de ce que l’on est, ni à prêter allégeance publique. Dès qu’un taré se manifeste, on demande aux musulmans de se justifier s’il est musulman. De la même manière, un juif français n’a pas à se justifier de la politique israélienne ou des propos du CRIF. Roger, donc, difficile de ne pas faire de digressions tant le sujet est vaste, Roger, donc, travaille dans une maison de retraite et lit des romans à des personnes âgées atteint d’Alzheimer. Il habite Drancy et devant chez lui se dresse Le Mémorial de la Shoah. Excédé par les nombreuses manifestations au pas de sa porte, il prend sa femme à témoin de la victimisation excessif des juives et de l’accaparation des enjeux mémoriels qu’il leur attribue. C’est une panacée insupportable des antisémites plus ou moins assumés que l’on entend partout et qui devient si agaçante que tentait de la démonter en restant maître de soi devient un exploit presque physique. Bien sur, il y a eu, entre autre effroyable entreprises humaines, l’esclavage, la colonisation et le génocide arménien, dont les enjeux mémoriels sont d’ailleurs excellemment traités dans Une histoire de fou, le dernier film de Robert Guédiguian. Mais la Shoah porte en elle un mal bien plus profond encore, non pas parce qu’elle concerne les juifs, mais parce qu’elle questionne aussi des méthodes qui ont poussés l’inhumanité dans ses retranchements. Parce que la Shoah a été théorisée comme une extermination totale qui va bien au-delà des déportations, parce que la Shoah a été un massacre industrialisé et que cette industrialisation s’est faite avec l’aide d’entreprise capitaliste qui aujourd’hui encore, ont pignons sur rue.

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Grégory Gadebois et Denis Podalydès (que l’on a vu dans Comme un avion), deux talmudistes

Cette industrialisation donne à la Shoah, une dimension de terreur inédite que nul ne peut nier et qui, heureusement, reste inégalé. Lorsque l’on voit, que moins de 80 ans après son commencement, les peuples d’Europe se tournent à nouveau vers les racines du mal, sollicitant par les urnes un durcissement des lignes à droite, nous ne sommes pas loin de partager la paranoïa d’Ivan Attal. Il faut être sournoisement inhumain, politiquement calculateur en exploitant les peurs des uns et la méfiance des autres ou complètement insensible pour chercher à remettre en cause l’abomination qu’à constituer la Shoah, la trace indélébile qu’elle laisse à jamais dans l’âme humaine. Roger, donc, nous allons arriver à conclure, Roger donc, est roux, et il décide de fonder une association mémorielle pour les roux ayant souffert de l’être. A Drancy, il fait des émules : les blondes, les brunes, les cul-de-jatte, les borgnes, les aveugles, les victimes d’Alzheimer, etc. et aveuglés par leurs différences de façade, ces communautés se livrent alors une guerre. Pourtant l’on peut être roux, juif et cul-de-jatte et que cela ne suffise pas à nous définir. C’est ce que va découvrir dans une conclusion très émouvante, Roger le roux, aide-soignant, invité à la Journée en mémoire de la mémoire perdue, lorsqu’un vieil homme va se rappeler des numéros qu’on lui a tatoué lorsqu’il fut déporté. Nous avons tous à apprendre de nos humanités différentes, voilà ce que clame haut et fort, Ils sont partout. Que nous sommes avant tout des êtres humains et que nos identités intimes n’ont pas à être mis en exergue, jetés en pâture aux vautours du capital, bien heureux que l’on s’entre-déchire entre frères, le laissant vaguer à ses affaires meurtrières.

Ils sont partout : une fable grinçante, nécessaire et percutante contre l’antisémitisme

Roger (François Damiens) et un patient atteint d’Alzheimer (Popeck)

Yvan Attal a réussit avec Ils sont partout à transformer un sujet sensible et difficile en fable comique et douce-amère. Véritable satyre au sens le plus noble du terme, Ils sont partout moque nos contemporains en manque de superstitions et de sens qui cherche dans la haine et la colère, la réponse à tous leurs maux. Alors même qu’au-delà de nos intellects rongés par la méfiance, perturbés par une propagande éhontée et omniprésente, nous devrions trouver en nos cœurs, la force de retrouver le goût du Perlimpimpin et de la poétesse qui nous rappelle l’essentiel :

« Pour qui, comment quand et pourquoi ?

Contre qui ? Comment ? Contre quoi ?

C’en est assez de vos violences.
D’où venez-vous ?
Où allez-vous ?
Qui êtes-vous ?
Qui priez-vous ?
Je vous prie de faire silence.
Pour qui, comment, quand et pourquoi ?
S’il faut absolument qu’on soit
Contre quelqu’un ou quelque chose,
Je suis pour le soleil couchant
En haut des collines désertes.
Je suis pour les forêts profondes,
Car un enfant qui pleure,
Qu’il soit de n’importe où,
Est un enfant qui pleure,
Car un enfant qui meurt
Au bout de vos fusils
Est un enfant qui meurt.
Que c’est abominable d’avoir à choisir
Entre deux innocences ! »

Boeringer Rémy

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