Sous ce titre qu'on pourrait penser hérité de la grande littérature américaine se cache en fait le dernier film du danois Anders Thomas Jensen. En 2003 et 2005, il s'était déjà illustré dans la dramédie loufoque avec les films Les Bouchers Verts et Adam's apples, à l'occasion desquels on retrouvait déjà Mads Mikkelsen. S'il s'agit de son quatrième long-métrage, Anders Thomas Jensen est également un scénariste prolifique. Il a participé à l'écriture de plus d'une vingtaine de films, dont et A Second Chance. Pour son retour derrière la caméra après dix ans d'absence, le réalisateur choisit naturellement de réaliser une fable décalée entre drame et comédie. Elias et Gabriel sont des frères très particuliers. Elias adore Gabriel. Gabriel un peu moins. A la mort de leur père et après le visionnage d'une cassette, ils découvrent qu'ils ont été adoptés. Ils décident alors de partir à la rencontre de leur père biologique, Evelio Thanatos, un généticien qui s'est établi sur une île isolée. Une fois arrivés à bon port, Elias et Gabriel vont découvrir une bien singulière fratrie et d'inquiétantes origines... Un pitch savoureux et intriguant pour une histoire complètement barrée.
Ce qui fait le sel de cette comédie danoise, outre son univers délirant, c'est bien entendu sa galerie de personnages et l'excellente prestation de ses acteurs. Anders Thomas Jensen a d'ailleurs pu compter sur ses acteurs fétiches, à savoir Mads Mikkelsen, Nikolaj Lie Kaas ou encore Nicolas Bro. Ils sont, tous autant qu'ils sont, totalement investis dans leurs rôles d'inadaptés sociaux. A tel point que l'on sent poindre en eux le plaisir d'incarner de tels guignols. C'est là un pari d'autant plus complexe que le réalisateur a souhaité rendre ces abominables guignols aussi humains et sympathiques que possible pour remporter l'adhésion du spectateur. Le défi est relevé haut la main pour le réalisateur qui parvient dès les premiers instants à installer un rapport d'amour-haine. Quant au jeu des acteurs, il oscille entre la folie furieuse et une extrême sensibilité. Si les quinze premières minutes ont quelque chose de déroutant, tant Anders Thomas Jensen cultive l'humour au dixième degré, le spectateur parvient plutôt bien à trouver ses marques dans cet univers qui n'en a pas. Il vogue de surprise en rebondissement, jusqu'à surfer entre les genres. Tantôt très burlesque, Men & Chicken se mue par moments en thriller psychologique, film fantastique ou encore en drame social et familial. Lorsqu'on lui parle d'humour, le réalisateur danois avoue s'inspirer de la série Breaking Bad dans laquelle il retrouve " un humour à la fois noir et sophistiqué ".
On rapproche d'ailleurs très facilement ce Men & Chicken de la série P'tit Quinquin de Bruno Dumont, où les anormaux sont rois. Dans un premier temps, on ne sait si l'on peut rire ouvertement ou si cette galerie de personnages ne cache pas une légère forme de mépris. La sortie du film a d'ailleurs été l'occasion d'une petite polémique au Danemark, où il a été accusé d'être discriminatoire en raison des difformités physiques de ses personnages. Ce à quoi le réalisateur explique : " il est très difficile de faire ce genre de comédies sans froisser qui que ce soit. " Il ajoute qu'il avait d'ailleurs réfléchi à la réception d'un tel film " surtout à notre époque où les sensibilités sont exacerbées sur le sujet des discriminations. " Pas de mauvais esprit donc de la part d'Anders Thomas Jensen qui souhaitait simplement établir un lien de familiarité entre tous ses personnages via de sûblimes becs-de-lièvre. Qui plus est, ce choix prend tout son sens avec la révélation qui intervient dans les dernières minutes du film. Peut-être ces critiques émanent-elles de personnes ayant quitté un peu trop tôt la séance... Quoi qu'il en soit, vous l'aurez compris Men & Chicken est très certainement l'ovni le plus réussi que vous pourrez découvrir en salle en ce moment. Attendez-vous à être largués !