Les Tortues de notre enfance reviennent avec de nouvelles aventures franchement poussives.
Qui a dit que la bêtise ne pouvait pas être bien faite, et donc s’avérer plaisante ? On pourrait résumer par cette interrogation la profession de foi de la Paramount et de son chouchou Michael Bay en rapport à leurs gros blockbusters. Car si le réalisateur de Pearl Harbor se révèle particulièrement compétent et intelligent quand on lui confie de plus petits budgets (No Pain No Gain, 13 Hours), il n’en va pas de même pour ses Transformers, sorte d’hommage à un grand n’importe quoi assumé mais réellement attractif grâce à sa mise en scène, à la fois ostentatoire (mouvements complexes, money-shots à la pelle) et immersive (des placements souvent audacieux de la caméra). Paradoxalement, le vide que sert le cinéaste est réfléchi, et lui permet, à ses réalisations comme à ses productions, de sortir un tant soit peu de la médiocrité d’autres divertissements abrutissants en affirmant un style en la matière. En cela, le premier Ninja Turtles n’était pas totalement inintéressant, notamment parce qu’il possédait à sa barre Jonathan Liebesman, sans doute le sous-fifre bayien (et ils sont nombreux) qui a su jusqu’alors le mieux adapter la patte du grand manitou. Malheureusement, le film souffrait de son besoin de rationnalisation inhérent au blockbuster moderne, alors qu’il est difficile de rendre crédible un concept aussi stupide (et à l’origine pensé pour le second degré) que celui de quatre tortues génétiquement modifiées ayant grandi dans les égouts aux côtés d’un rat qui leur a appris le kung-fu…
De ce fait, la seule force (si on peut appeler cela une force) de Ninja Turtles 2 est de gentiment se torcher avec l’ancrage de son univers dans une quelconque réalité. Loin du sérieux très actuel de l’industrie, le film sonne comme une anomalie, un bonbon pop sucré pensé pour les fans de la première heure, et qui évite toute prise de tête. La candeur de l’ensemble s’avère par instants grisante, surtout quand elle est servie par la qualité de ses effets spéciaux et un sens de la cinétique martelé de partis-pris tape-à-l’œil (travellings aériens et ralentis lourdauds). Ainsi, même s’il n’atteint jamais le talent de metteur en scène de Liebesman, notamment à cause d’un montage très aléatoire, Dave Green aurait pu amener son métrage vers les humbles sentiers du plaisir coupable amusant. Malheureusement, le ridicule de l’entreprise n’est que trop rarement un signe de fun, même si l’absurde de certaines situations provoque un rire immédiat. Rushant son intrigue comme on foncerait dans un mur, Ninja Turtles 2 confond sa dimension décomplexée avec un souci de logique interne. Bourré d’incohérences, le script fait lever les yeux au ciel à chaque minute, quand ce n’est pas pour nous asséner sans aucun travail de dramaturgie des concepts sortis de nulle part, à commencer par l’arrivée de Krang, l’antagoniste principal venu d’une autre dimension.
Mais au-delà de l’impact évident de Bay, qui semble créer une mécanique de production de plus en plus taylorisée, Ninja Turtles 2 est surtout révélateur des problèmes qui gangrènent le blockbuster actuel. Son inconsistance n’est pas tant en tort que sa volonté de trop en faire, de plaire aux aficionados au point de se remplir jusqu’à l’absurde, contre toute logique narrative. De Bebop et Rocksteady en passant par Casey Jones, le film matraque son aspect madeleine de Proust tout en le vidant de sa substance, tandis qu’il détourne notre regard avec la sexualisation de plus en plus outrée de Megan Fox. Les personnages ne sont que des pantins sans âme, perdus dans leur propre univers dont ils ne savent que faire, et privés d’une quelconque évolution. Nos chers Leonardo, Raphael, Donatello et Michelangelo sont les premiers à en souffrir, engoncés dans leur unique trait de personnalité avec la promesse de nous offrir plus dans une éventuelle suite. Le long-métrage n’est construit que dans une pure logique d’éphémérité, nous rassasiant d’une pluie de CGI bluffants et d’une 3D immersive en attendant de pouvoir exploiter notre temps de cerveau disponible avec des placements de produits bien putassiers, le film allant jusqu’à construire une scène autour d’un cosplay de Bumblebee des Transformers. Mais le plantage du film aux Etats-Unis est peut-être également révélateur du raz-le-bol des spectateurs envers ce type de produits qui les prennent ouvertement pour des idiots, en plus de violer leurs souvenirs d’enfance. Reste que Ninja Turtles 2 se présente par moments comme un nanar plutôt sympathique, servi par une connerie cosmique galvanisante et un sens du cliché très nineties (les méchants rient à longueur de temps ou promettent de venir se venger) qui le rapprochent le plus de l’ambiance du dessin animé. Alors oui, Michael Bay et sa bande assument toujours la bêtise des concepts qu’ils se réapproprient, mais ils pourraient tout de même les rehausser plutôt que de leur conserver la tête sous l’eau.
Réalisé par Dave Green, avec Megan Fox, Stephen Amell, Noel Fisher…
Sortie le 29 juin 2016.