THE WITCH : Que la bête meure ★★★★☆

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Pour son premier film, Robert Eggers écrase la concurrence par un retour à nos peurs ancestrales. Viscéral.

Nous l’évoquions il y a quelques mois à l’occasion du festival de Gérardmer (compte-rendu à lire ici) ; The Witch débarque enfin dans nos salles après avoir suscité énormément de fantasmes chez tous les fans de cinéma fantastique. Une attente plus que justifiée, en raison d’une réputation élogieuse bâtie de festival en festival depuis sa présentation fracassante à Sundance en 2015, d’où il repartit avec le prix du meilleur réalisateur. Pour son premier long-métrage, Robert Eggers a fait sensation en renouant avec tout un héritage oublié de la littérature et du cinéma fantastique, autant dans le style que dans la « carte » (pour reprendre l’expression de Stephen King) utilisée : le mythe de la sorcière. En se plongeant pleinement dans ce folklore perdu, The Witch fait presque office de manifeste militant au sein d’une production horrifique de plus en plus conformiste. C’est déjà en soi un petit miracle.

Ce n’est donc pas un hasard si le récit se situe dans l’Amérique du début de XVIIe siècle, terreau mythologique de nombreuses histoires fantastiques en même temps que période historique signifiante pour aborder le thème de la sorcellerie (période qui a vu naître les premières chasses aux sorcières). Le film suit ainsi l’histoire d’un couple pieu et de leurs cinq enfants qui se voient expulsés de la communauté après un comportement à la limite du fanatisme de la part du père. Retirés dans une ferme isolée, ils vont être amenés à se dresser les uns contre les autres lorsque le nouveau-né disparaît dans des conditions inexplicables. Comme l’indique justement le sous-titre de l’affiche originale (A New-England Folktale), The Witch s’inscrit directement dans la tradition littéraire, et plus précisément celle du XIXe siècle, dont l’imagerie rappelle immanquablement l’oeuvre d’Edgar Allan Poe. Ce parti-pris ne traduit pas seulement une forme de modestie vis-à-vis du genre, mais témoigne bien de la volonté du cinéaste de renouer avec la peur insidieuse d’antan, complètement à contre-courant de ce que propose le cinéma d’horreur américain actuellement. En effet, le rythme lent, l’atmosphère sensorielle à la limite de l’onirisme et l’ambiguïté des relations entre les personnages que met en place Eggers ressuscite une forme de terreur totalement abandonnée par les studios américains, dont la conception de l’horreur se limite à un simple train-fantôme fait de schémas éculés et d’effets artificiels. Ici, point de jump-scares ni de portes qui grincent, mais un véritable crescendo horrifique traduit au travers d’une mise en scène fascinante qui investit totalement la psyché de ses personnages. En plus de revenir à la source même du fantastique (à savoir le point de vue), ce procédé de mise en scène s’avère justifié pour matérialiser la principale thématique du film : la perception.

En effet, à l’instar de Robert Paxton dans Emprise (bien que très différent dans son registre), Eggers s’attaque au fondamentalisme religieux par le prisme d’un point de vue ambigu, de sorte que l’on puisse comprendre les personnages sans en approuver les actes. La grande force du film réside dans cette ambivalence constante qui pousse cette famille à s’entre-déchirer, laquelle cherche dans la religion une réponse à une menace métaphysique qui la dépasse. Dans ce petit huis-clos à ciel ouvert, le jeune cinéaste symbolise des thèmes universels sur nos peurs primaires qui poussent inévitablement à la projection de celles-ci sur un bouc-émissaire, ici incarné en la personne de la jeune Thomasin. Hélas, si ses fondations sont tout à fait solides, qui plus est pour un premier long-métrage, The Witch manque un peu d’ampleur dans son traitement et se voit un peu plus beau qu’il ne l’est en réalité. Malgré l’aisance avec laquelle le cinéaste met en place ses thématiques, il ne parvient pas à y apporter un regard véritablement neuf ni à les connecter avec aujourd’hui, ce qui est quand même regrettable au vu du potentiel de son sujet. Mais ce serait pinailler que de réduire The Witch a quelques maladresses de jeunesse, tant l’expérience viscérale qu’il propose suffit à enterrer la concurrence. Parsemé de quelques séquences proprement terrifiantes, d’une ambiance anxiogène et magnifié par une photographie splendide, ce premier film révèle un cinéaste appliqué et sincère, aussi connaisseur et respectueux du genre. Un jeune talent assurément à suivre.

Réalisé par Robert Eggers, avec Anya Taylor Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie

Sortie le 15 juin 2016.