La 5ème édition du Champ Elysées Film Festival a été marquée par une sélection de qualité mettant en avant aussi bien des fictions que des documentaires. C’est également l’occasion de revenir sur des films hors compétition qui ont été sélectionnés au Chicago International Film Festival et aussi de métrages de sections parallèles du Festival.
LA COMPETITION :
WEINER (Prix du Jury)
Réalisé par Josh Kriegman et Elyse Steinberg
Décider de suivre la candidature d’un ancien député (Anthony Weiner), entaché d’un scandale qui avait fait le tour des Etats-Unis, à la Mairie de New-York peut être un véritable défi, surtout lorsque la plupart des américains (dont Obama lui-même) en ont une mauvaise image. Ce défi est relevé haut la main par Josh Griegman et Elyse Steinberg qui arrivent à donner une vision plus nuancée d’Anthony Weiner sans pour autant tomber dans la caricature ou en donner une image trop lisse. Weiner est un documentaire très bien monté et rend compte avec justesse de la réalité médiatique des Etats-Unis. L’usage des divers réseaux sociaux et des extraits de JT américains en parallèle des séquences filmées auprès de l’intéressé est subtil et intelligent et indique que la vérité n’est pas toujours où elle semble être (en l’occurrence ici les médias américains). Josh Griegman et Elyse Steinberg parviennent à rendre une place d’être humain (avec ses faiblesses) à Anthony Weiner, qui avait été réduit à une simple caricature médiatique aux yeux du peuple américain, désintéressé par le programme qu’il proposait. Weiner mérite parfaitement son prix et sera à visionner dès sa sortie dans les salles françaises.
FROM NOWHERE (Mention spéciale du jury et Prix du public)
Réalisé par Matthew Newton
From Nowhere est à un film à la limite du documentaire et de la fiction. En effet, Matthew Newton décide de prendre le parti décrire le quotidien de trois lycéens sans papiers de différentes origines qui cherchent à légaliser leur statut pour poursuivre leurs études aux Etats-Unis. Ici, pour coller le plus à la réalité des personnages et de leur vécu, aucune musique n’est présente. Seul le jeu des acteurs (qui est excellent, par ailleurs) compte dans From Nowhere. Le cinéaste dresse ainsi un portrait très juste de cette jeunesse immigrée qui, en plus de gérer leurs problèmes quotidiens et communs à tous les adolescents, doivent vivre avec le risque d’être expulsés des Etats-Unis. Malgré quelques longueurs, From Nowhere est un long-métrage juste qui ne tombe ni dans la caricature ni dans le racisme et redonne une place à cette génération d’enfants immigrés souvent délaissée. From Nowhere est un film engagé qui remet le spectateur à sa place.
THE ALCHEMIST COOKBOOK
Réalisé par Joel Potrykus
Dans tout festival qui se respecte, il existe toujours un ovni cinématographique dans la sélection proposée au jury et au public. C’est le cas avec The Alchemist Cookbook qui suit les aventures de Sean, un jeune homme vivant reclus dans la forêt décidant de jouer à l’apprenti alchimiste. D’après Joel Portrykus, ce film est à la fois une comédie romantique entre un homme et son chat mais également l’histoire d’un être qui perd progressivement pied avec la réalité. Avec aussi peu d’acteurs (Ty Hickson, Amari Cheatom et le chat Fiji) et de moyens, Joel Portrykus arrive à ainsi installer une ambiance très particulière et un rythme lent en jouant avec le hors-champ et les différents plans fixes, cadrés de plus en plus bas pour illustrer le « mental breakdown » de Sean. La division en chapitres du film participe également à illustrer ce trouble. The Alchemist Cookbook est un film qui ne se prend pas du tout au sérieux et met tous ses personnages (même le chat) dans des situations aussi ridicules les unes que les autres. Par ailleurs, il rappelle par moments les films de la saga Evil Dead de Sam Raimi. Malheureusement, il n’est pas fait forcément pour toutes les audiences mais reste à découvrir.
THE LONER
Réalisé par Daniel Grove
Dans les circonstances actuelles, la culture iranienne est relativement peu connue et explorée dans le cinéma. Daniel Grove prend ainsi un parti pris très risqué mais le réussit avec brio, notamment du point de vue de sa mise en scène et avec le travail des lumières et de l’obscurité. The Loner arrive à construire son identité propre et à raconter l’histoire intéressante de Behrouz (Rexo Sixo Safai), un homme hanté par son enfance marquée par le régime de Saddam Hussein et qui doit gérer son ancien patron l’accusant à tort d’avoir volé de la drogue. De nombreuses séquences du film rappellent énormément Drive (par la musique notamment) mais The Loner est bien plus que cela car Daniel Grove parvient aussi bien à jouer avec les codes classiques du thriller qu’avec le public. En effet, il parvient vers la fin du métrage à briser subtilement le quatrième mur en faisant en sorte que Oksana (Helena Mattson) pointe son arme en direction du public. L’originalité de The Loner est de filmer les séquences de violence vécues par Behrouz hors champ, signifiant que lui-même est dépassé par la situation dans laquelle il se retrouve malgré lui.
MORRIS FROM AMERICA
Réalisé par Chad Hartigan
Lire la critique ici.
CARTE BLANCHE AU CHICAGO INTERNATIONAL FILM FESTIVAL :
CASH ONLY
Réalisé par Malik Bader
Comme l’indique le titre, tout est une question d’argent dans ce film et plus particulièrement pour Elvis Martini (Nickola Shrelia), un propriétaire immobilier qui tente au mieux de faire son travail et d’élever sa fille seul, après le décès de sa femme. Suite à une mauvaise décision, sa fille est kidnappée. Le grand défaut de Cash Only, même s’il reste très divertissant, est le fait qu’il reste très classique dans sa mise en scène et son scénario et ne présente pas de réelles nouveautés dans ce genre de cinéma. Par ailleurs, le personnage d’Elvis Martini est relativement antipathique au vu des décisions souvent peu sages qu’il prend. La relation qu’il développe avec sa fille est néanmoins touchante et se démarque un peu du reste. Cash Only sera cet automne sur la plateforme de téléchargement Netflix.
THE BIRTH OF SAKE
Réalisé par Erik Shirai
La Naissance du saké (ou sous son titre original The Birth of saké) est un documentaire sensible qui ne décrit pas seulement la création du saké de son stade initial à son stade final mais raconte une histoire humaine où chacun met la main à la pâte. Pendant quatre mois (de janvier à avril), Erik Shirai suit le travail de dix employés travaillant et vivant dans la brasserie Yoshida, l’un des rares établissements japonais traditionnels. Le cinéaste ici ne se restreint pas uniquement à décrire le labeur de ces hommes, notamment celui du Toji (maître brasseur) Yamamoto et de son futur successeur Yacchan, mais il cherche également à capturer l’humain derrière la fabrication du saké en les filmant dans leur vie quotidienne. Par le travail de montage et également de cadrage, Shirai arrive à rendre le tout très cohérent et nous rappelle qu’un travail bien fait implique un travail d’équipe, de la joie et de la bonne humeur. The Birth of saké est un documentaire poétique passionnant permettant de briser les stéréotypes sur la culture japonaise.
THE MIDDLE DISTANCE
Réalisé par Patrick Underwood
S’inspirant des films de Yasujiro Ozu ou encore de L’Heure d’été d’Olivier Assayas, The Middle Distance est une sorte de tranche de vie dans laquelle on suit Neil Mercer (Ross Partridge) qui doit revenir dans son village natal pour aider son frère James (Kentucker Audley) à vendre la maison de son père récemment décédé. Néanmoins, suite à un empêchement de dernière minute, Neil doit se retrouver seul avec la femme de son frère, Rebecca (Joslyn Jensen), liant progressivement des liens d’amitié très forts avec elle. The Middle Distance est ainsi un film léger qui traite de la frustration de ne pas avoir ce que l’on a toujours cherché. En réalité, cette frustration passe par plusieurs niveaux pour le personnage de Neil : frustration de venir vendre la maison de son père, frustration de rester avec Rebecca et enfin frustration de ne pas pouvoir rester avec elle. L’évolution des personnages de Neil Mercer et de Rebecca est également intéressante car on découvre au fur et à mesure qu’ils ne semblent pas être ce qu’ils paraissent. Ils parviennent à s’apprivoiser, tout comme ils charment le spectateur. Le choix des lieux de tournage (les magnifiques paysages enneigés) ainsi que la musique (que l’on peut découvrir dans le trailer) sont très judicieux et permettent d’illustrer au mieux le propos du long-métrage. L’originalité dans The Middle Distance, et qui en constitue sa force, est le fait de construire une relation d’amitié allant jusqu’à l’amour sans pour autant y inscrire une scène de sexe, ce qui aurait pu réduire totalement la portée du film. Tout est une question de juste milieu et Patrick Underwood le gère parfaitement.
THE EXPERIENCE IS PRESENT :
HEART OF A DOG
Réalisé par Laurie Anderson
Heart of a dog est un film expérimental dans lequel Laurie Anderson joue avec les possibilités de l’image et du son pour essayer de trouver un nouveau langage au cinéma. En utilisant une voix off tout le long du film, le spectateur est transporté dans toutes les réflexions de la cinéaste sur sa vie et la relation qu’elle a construite avec son chien Lolabelle. En réalité, Heart of dog possède des idées graphiques intéressantes mais il est relativement difficile de voir où Laurie Anderson veut en venir. En parlant de travail de l’image, nombre de ses choix artistiques rappellent certains utilisés dans les jeux vidéo (comme Hotel Dusk) et donnent une expérience très sensorielle au spectateur. Néanmoins, Heart of a dog semble par moments perdre l’objectif qu’il s’était donné au départ. Laurie Anderson se noie dans de nombreuses réflexions philosophiques et perd également le spectateur. Heart of a dog est un essai cinématographique, même s’il est très beau dans le fond et la forme, qui peut avoir du mal à convaincre.
SEANCE AVEC INVITE D’HONNEUR :
SEARCHING FOR PADRE PIO
Réalisé par Abel Ferrara :
Nouvelle création d’Abel Ferrara, Searching for Padre Pio est un documentaire au style road-trip suivant le cinéaste et son scénariste sur les traces du prêtre Padre Pio, prêtre italien relativement connu dans le monde ecclésiastique. Le film reste néanmoins un documentaire assez classique dans sa construction mais intrigue du fait de la personne prise pour sujet. En effet, Padre Pio est une personne qui passionne autant les personnes qui l’ont rencontré que les ecclésiastiques. Abel Ferrara utilise ainsi plusieurs sources et différents supports pour ses recherches, cherchant aussi bien dans des archives qu’en interviewant des ecclésiastiques ou des spécialistes (anthropologues, psychiatres etc.). Malgré sa construction très classique, Searching for Padre Pio suscite notre curiosité et arrive à nous donner de l’intérêt pour Padre Pio sans pour autant tomber dans le prosélytisme.