La Tortue Rouge, c'est le premier long-métrage d'animation de Michael Dudok de Wit. Il s'est auparavant fait connaître comme animateur et réalisateur avec des projets plébiscités par la critique. Ainsi, The Monk and the Fish , sorti en 1994, a remporté le César du meilleur court-métrage en 1996 et a également été nommé pour un Oscar. Le réalisateur remportera finalement l'Oscar du meilleur court-métrage d'animation pour Father and Daughter en 2000. Le réalisateur Néerlandais, après avoir officié sur Fantasia 2000 et La Prophétie des Grenouilles , se lance donc dans la réalisation de son propre long-métrage. Et quel long-métrage puisqu'il est développé en collaboration avec le Studio Ghibli et presque sur leur proposition. Dudok de Wit et Takahata se sont rencontrés plusieurs fois et c'est à l'occasion de la distribution de Father and Daughter par le Musée Ghibli au Japon, que le Néerlandais se voit proposer de développer son projet en collaboration avec le studio. Opportunité sur laquelle le réalisateur se jette et décide de développer une histoire qui occupait alors dans son esprit. Soyons honnêtes, il serait très difficile de pitcher La Tortue Rouge. Il n'y a pas d'histoire à proprement parler, si ce n'est celle d'un naufragé sur une île déserte. Je vous vois déjà imaginer un film de survie et de nombreuses péripéties trépidantes. Si péripéties il y a, La Tortue Rouge n'a rien d'un film de survie. Bien au contraire, il s'agirait plutôt d'une fable philosophique au propos universel.
Dès lors, le film s'inscrit dans une démarche très spirituelle et poétique, donnant tout son sens à cette collaboration franco-belgo-japonaise. Pour son premier long, Michael Dudok de Wit ne choisit pas la facilité : un conte philosophique sans paroles et très épuré, bref, voilà un projet aux antipodes de l'animation grand public. Et effectivement, le film est à bien des titres une expérience en soi, plutôt qu'un récit très construit et prêt à consommer. La Tortue Rouge brasse une multitude de thèmes et de sentiments qui animent nos vies : le temps et son absence, la mélancolie, l'attente et l'inexorable cycle de la vie. Afin de préserver les quelques lignes narratives qui traversent le film, je vous dirais simplement que La Tortue Rouge est une jolie allégorie de l'existence sur terre. Certains y voient une défense écologique, personellement je préfère penser que l'île déserte fait plutôt office de boîte de Petri. Elle est une sorte de témoin de l'existence humaine, traversée par ses aléas. Si, sur le plan narratif, le film de Dudok de Wit est totalement dépouillé, il n'en est pas de même pour l'aspect visuel. Les dessins ont d'abord été créés sur papier à l'aide de fusain. Une méthode artisanale qui confère une belle texture granuleuse à l'image. Une fois scannés, les graphistes ont réalisé la colorisation sous Photoshop. L'animation a été réalisée au Cintiq, un crayon numérique permettant une grande souplesse dans les corrections ainsi que de faire une idée assez précise et presque instantanée du rendu de l'animation. Enfin, la 3D se limite à deux éléments du film : la tortue rouge et le radeau. Un travail mené par une équipe réduite de graphistes et d'animateurs qui a nécessité deux ans de production. Le résultat est saisissant : grande fluidité de l'animation, couleurs et lumières nuancées, lignes fines et épurées et pourtant une impression de détails foisonnants.
La Tortue Rouge est une formidable invitation à la rêverie et au lâcher prise. Tantôt belle, tantôt cruelle, cette fable vous fera sans doute frissonner, sourire et même pleurer. Le projet a nécessité neuf ans de maturation, rien de moins. Au départ pourvu de dialogues, Michael Dudok de Wit, sous l'impulsion de Pascale Ferran, a choisi d'en faire un film presque muet, engageant ainsi le projet dans une recherche de l'expression par l'image seule. Un choix qui a de quoi déconcerter, d'autant plus le réalisateur, s'il est très à l'aise dans le genre du court, semble un peu plus hésitant dans l'exercice du long. Le film se développe ainsi sur un rythme long et délayé qui a de quoi surprendre et laisser par moments planer quelques longueurs. En dépit de ces quelques faiblesses, La Tortue Rouge demeure un délice pour les yeux et un moment plaisant de poésie. Les partis pris scénaristiques, la valeur universelle du propos et la présence du fantastique, font de cette belle fable un moment de pure instantanéité qui saura toucher chacun.