Le festival So Film Summer Camp s’est déroulé du 29 juin au 3 juillet 2016 à Nantes. Festival éclectique, il a été présenté Grave, de Julia Ducournau, en avant première. Grave avait fait sensation à la Semaine de la Critique à Cannes cette année. La projection a eu lieu en présence de la réalisatrice.
Grave raconte l’histoire de Justine, végétarienne, et toute nouvelle étudiante vétérinaire. Suite à un bizutage, elle est contrainte de manger de la viande crue, ce qui réveille en elle un certain appétit pour la viande…humaine.
1-Le film
Un film de genre français, réalisé par une femme. Autant dire que quand j’ai entendu parler du film à Cannes, j’espérais avoir la chance de découvrir Grave au cinéma. L’occasion s’est présentée grâce au festival So Film. Pour les nantais, la projection a eu lieu au cinéma Le Concorde, ciné que j’adore, avec des fauteuils en cuir confortables et de la place en veux tu, en voilà pour les jambes. Bref des conditions optimales de visionnage!
J’irai droit au but: Grave est le premier film de genre français féministe réalisé par une femme. Oui. Et en plus, c’est une petite pépite. Oui. Il me paraissait d’autant plus primordial (n’ayons pas peur des mots) de parler de Grave, qu’il me donne l’opportunité de parler du féminisme, et particulièrement d’une facette du féminisme.
Grave est ce qu’on appelle un crossover: horreur, humour, drame…on retrouve tous ces aspects dans le film. L’impression d’être dans une montagne russe, et comme les moments plus légers permettent de souffler, on ne se sent jamais sous pression. Les blagues sont plutôt drôles et fines, chose finalement assez compliquée dans les films de genre.
Garance Marillier porte le film de bout en bout, et retranscrit avec une belle justesse et innocence, l’évolution de Justine, jeune fille naïve qui grandit en même temps que son appétit. Comme toujours dans les films de genre français, on retrouve Laurent Lucas (Calvaire de Fabrice Du Welz, Alleluia de Fabrice Du Welz, Harry un ami qui vous veut du bien de Dominik Moll, Enragés d’Eric Hannezo, ou encore Dans ma peau de Marina De Van, ce dernier fait écho à Grave par ailleurs). Il faut dire qu’il dégage quelque chose d’énigmatique, on ne sait jamais où le situer.
Mention particulière à Ella Rumpf, qui joue la soeur de Justine, avec un rôle très ambivalent, entre la manipulation et le soutien.
Si vous vous attendez à un film de cannibale on l’on voit des cadavres entiers en guise de festin, rassurez vous ou passez votre chemin selon vos goûts, il n’y a rien de tout ça dans Grave. Certes c’est sanglant, j’ai même eu du mal à regarder frontalement une scène, mais ce n’est pas graphique, le but n’est pas de basculer dans un bain de sang. Si on connait des histoires de cannibalisme, force est de constater que Grave prend un tournent inattendu, suffisamment explicite mais sans prendre le spectateur par la main pour lui donner toutes les clefs.
Ce qui m’a beaucoup touchée dans Grave, c’est son aspect clairement féministe, mais qui par son sujet, propose une vision différente de ce qu’on peut voir d’habitude. Ici le combat pour l’égalité se fait dans le traitement des personnages féminins sur différents points. Anodins, comme le fait qu’elles jouent aux jeux vidéos habituellement plutôt joués par des hommes au cinéma, voire carrément novateurs comme l’acte sexuel vécu pour la première fois par l’héroïne qui n’est ni hésitant, ni ressenti comme une culpabilité, ni questionné. D’ailleurs, lors des questions réponses après la projection, Julia Ducournau a précisé que c’était important pour elle de montrer une première fois de cette façon, qu’elle était lassée de voir toujours des jeunes filles hésitantes, ou se culpabilisant. Elle lança même « ba oui desfois c’est juste qu’on a envie de baiser après tout! ».Portée par un récit qui s’y prête, cette première fois est vécue de façon bestiale, où le désir est maître mot. On peut aussi noter le moment où la soeur de Justine montre à cette dernière comment uriner debout, sans parler du final, qui peut être interprété comme une revanche, une domination.
Ca fait plaisir de voir un film qui défend le féminisme, autrement que par des discours, des idées, des biopics…C’est aussi par des actes en apparence anodins, que des idées peuvent germer dans la tête des spectateurs.
2-Les questions réponses après la projection-Julia Ducournau (SPOILERS)
Ca été un vrai plaisir d’écouter Julia Ducournau, qui est visiblement passionnée par ce genre de cinéma. Visiblement stressée, j’ai su qu’elle allait devenir ma nouvelle héroïne dès le début des échange. Morceaux choisis:
Spectateur:
-« Bravo pour votre film. Le fait qu’une femme réalise ce type de film contient toujours un intérêt particulier tant c’est rare. Une certaine douceur…. »
Julia Ducournau:
-« Douceur? On est pas du papier toilette. »
Spectateur:
-« Comment expliquez vous qu’il y a moins de réalisatrices que de réalisateurs? »
Julia Ducournau:
-« J’avoue que c’est un sujet qui m’est cher, j’y suis particulièrement sensible donc je peux vite m’enflammer! Il n’y en a pas moins, seulement comme dans la plupart des secteurs, les femmes subissent des discriminations, et on fait moins confiance aux femmes pour gérer un budget pour monter un film, mais elles sont bien là. »
J’adore.
Pour en revenir à Grave, elle a expliqué plusieurs choses intéressantes. Notamment le fait qu’il était primordial pour elle que les décors soient le plus possible à terre: lits, frigo…pour que les personnages ne se tiennent pas droit, qu’on y voit une démarche animale.
Au début du film, l’accueil des nouveaux.elles étudiant.e.s se fait alors qu’ils.elles sont en pyjama. Le film s’achève également sur cette image. Julia Ducournau explique l’allégorie politique que l’on peut y voir: rien ne change, la société ne change pas, et le bizutage représente la violence que subissent les individus. Cette violence provoque un déclenchement d’actions qui elles, vont changer la vie de Justine et sa perception des choses, contrairement à la société qui l’entoure. Cette image est complétée par le final, où Laurent Lucas montre ses blessures en disant à sa fille, Justine, qu’elle et sa soeur arriveront sûrement à trouver une solution, que celle ci est finalement entre leurs mains. Message pour la jeunesse actuelle? Il était en tout cas important pour la réalisatrice, que le personnage dise clairement ces mots, qu’il est possible d’agir.
Pourquoi faire un film sur le cannibalisme? Julia Ducournau explique qu’elle est fascinée par le corps et par ce qu’on peut faire avec, ainsi que ce qu’il représente dans la notion d’identité. Si on coupe/insère/change/ajouter un élément du/au corps, notre identité est elle toujours la même? Quelle place prend le corps dans l’identité de chaque individu?
Ce rapport au corps rappelle La Mouche, de David Cronenberg, que la réalisatrice admire particulièrement. Il est pour elle, le meilleur cinéaste philosophe, qui pose des questions face au corps et à son identité.
Julia Ducournau explique que Grave ne sortira qu’en mars 2017 (sous combien de copies…?), car il sort à cette période aux USA, et le film est distribué par Wild Bunch. Gardez l’oeil ouvert, il ne faudrait pas le louper…