Superstitions et dissimulations dans un village coréen en proie à la folie.
Depuis le début des années 2000 et le désormais culte Memories of Murder de Bong Joon-ho, le cinéma sud-coréen s’est largement imposé en matière de polars poisseux et de thrillers sinueux. Seulement, aujourd’hui, cette « nouvelle vague » au pays du matin calme produit la même écume à force de charrier les mêmes flots. Combien de succédanés d’enquêtes policières, artistiquement aboutis au demeurant, avons-nous vus ? Beaucoup, c’est certain. Trop, sans doute. Pourtant, on en redemande… et à raison. Loin du formatage hollywoodien, qui gangrène la plupart des productions du genre, la relève sud-coréenne propose une alternative bigarrée, haute en couleurs, qui à défaut de se réinventer, recèle toujours de mille et une curiosités pour nous, occidentaux. Alors quand se présente un film qui échappe au simple exotisme et ose davantage, nous voilà autrement ravis. S’il ne réussit pas tout, The Strangers est indéniablement de cette trempe.
Qui sont les étrangers du titre ? Quel secret se cache derrière les accès de folie et les crimes perpétrés en toute impunité ? C’est ce que tente de découvrir Jong-gu, policier et père de famille, bientôt aux prises avec des forces qui le dépassent lorsque sa fille, Hyo-jin, tombée malade, devient hors de contrôle. Sans trop en dire, évoquons d’emblée la roublardise de Na Hong-jin, réalisateur de The Chaser et The Murderer, qui épaissit puis dissipe le mystère à sa guise, dans un constant jeu de dupes qui sollicite notre faculté à discerner le vrai du faux. Là se tient la zone de mouvance du film qui, jusqu’à son terme, sème le trouble chez le spectateur comme chez son protagoniste, Jong-gu. D’abord à la peine dans son métier puis de plus en plus coriace face à l’ennemi, il ne cesse de vaciller, ne sait plus qui croire et comment y croire. Le folklore local, riche de traditions et de pratiques chamaniques, alimente le flou et induit l’existence d’un envers mystique, surnaturel. Il faut citer cette formidable séquence à mi-parcours où deux rituels se déroulent en parallèle, sans qu’il soit possible d’identifier avec certitude leurs liens de cause à effet. La mise en scène et le montage s’amusent ainsi à fausser le sens de l’action avec une redoutable ingéniosité, alternant les points de vue, insistant sur un détail plutôt qu’un autre.
Précisons ensuite la durée du film : 2h30. Une force mais aussi un inconvénient, tant l’intrigue se met difficilement en place lors d’une première demi-heure trop anarchique pour convaincre, malgré quelques scènes déjà foncièrement marquantes. Dès l’instant où Hyo-jin présente des symptômes inquiétants, l’histoire trouve son point d’ancrage sentimental et une ligne directrice cohérente. Les ruptures de ton servent alors au mieux les enjeux narratifs et contribuent à susciter stupeur et malaise. Il faut dire que les acteurs excellent dans un registre qui frôle l’hystérie, comme souvent au rayon des polars sud-coréens. Néanmoins, la nuance n’est pas exclue. Kim Hwan-hee, la jeune comédienne qui interprète la fille du héros, impressionne, passant d’une humeur à l’autre sans sourciller, donnant corps au mal qui la ronge. Idem pour Kwak Do-won, le père donc, qui inspire une empathie croissante à mesure que la situation dégénère. Enfin, l’ermite japonais, principal suspect, incarné par le charismatique Jun Kunimura, achève de porter aux nues l’interprétation unanimement complexe. Vous l’aurez compris, The Strangers nous mystifie pour notre plus grand plaisir, et explore un versant risqué et original dans le cinéma sud-coréen. A l’issue du film, alors que plusieurs questions demeurent, une réplique rejaillit pourtant, celle associant les étrangers du titre à des hameçonneurs, poussant leur proie à mordre à l’appât.
Réalisé par Na Hong-jin, avec Kwak Do-won, Kim Hwan-hee, Jun Kunimura…
Sortie le 6 Juillet 2016.