Une suite insipide pour un film déjà inexplicablement culte.
Dans son Godzilla de 2014, Gareth Edwards construit l’une de ses scènes comme une pique évidente au cinéma de Roland Emmerich. Alors qu’un tsunami s’apprête à frapper les Philippines, la caméra s’attarde sur un chien attaché à un arbre. Il parvient à se libérer et rejoint la foule. Et c’est tout. Qu’advient-il de lui ? On ne sait pas, tout en songeant à la probable éventualité qu’il soit happé par les vagues comme le reste de la population. Avec cette simple séquence, Edwards crée un effet dramatique simple et efficace, ne perdant en rien de la gravité de son action tout en subvertissant les œillères putassières auxquels nous a habituées Hollywood. En somme, le génie trop peu considéré du Godzilla de 2014 s’est posé implicitement comme une volonté de renouveau, voire de rébellion face à un cinéma d’action/catastrophe perdu dans ses propres clichés, et dont Independence Day a été (est encore ?) l’un de ses paroxysmes. Ainsi, dans celui-ci, l’une de ses scènes de destruction devenues cultes présente une route en proie aux flammes, avec des voitures volant dans tous les sens. Mais plutôt que de s’attarder sur les milliers de victimes, Emmerich préfère se focaliser sur la femme de Will Smith, son fils et… leur chien, ce dernier échappant in extremis au feu dans un money shot au ralenti franchement douteux. Néanmoins, si des cinéastes tentent aujourd’hui de proposer une alternative, c’est qu’Independence Day a bien eu un impact, redéfinissant la charte du blockbuster spectaculaire, fun, décomplexé et solaire dans son patriotisme (et ce même si Emmerich espérait de son public un regard plus ironique). La mise en chantier d’une suite n’était donc qu’on ne peut plus évidente, n’intriguant pas tant par son potentiel que par la place qu’elle pourrait occuper vingt ans tout pile après le premier volet, dans un monde qui a su amplement transcender le modèle qu’il représente.
Dès lors, Independence Day : Resurgence ne pouvait pas éviter un minimum d’introspection de la part de son réalisateur, dont l’unique maturité est de reconnaître sa propre obsolescence. Il sauve par moments son métrage par une prise de conscience, aussi bien sur son premier opus que sur la carrière qui en a découlé. Le film prend ainsi la forme parfois tendre mais souvent gênante d’une revanche sur ses héritiers, comme un vieillard sénile voulant prouver à ses petits enfants qu’il court encore aussi vite qu’eux. Cependant, Emmerich le prend la plupart du temps avec humour et se dédouane de ses erreurs passées par quelques gags bien sentis (le sauvetage d’un chien, on y revient toujours !), quitte à abuser d’un cynisme bêta sur les codes du genre. Il parvient même à surprendre, notamment en offrant la meilleure partie du film dans son troisième acte, alors qu’il met en scène une reine alien gigantesque tout droit sortie d’un kaiju eiga. Et quand on se souvient de ce ratage infâme que fut son Godzilla (à savoir l’antithèse de celui de Gareth Edwards), on se dit que le bougre a révisé ses classiques. Resurgence s’avère alors plus réussi lorsqu’il se veut Cloverfield que La Guerre des mondes, notamment grâce à une mise en scène moins pépère que sur le reste du métrage, où les contrastes d’échelle nous font réellement sentir la peur d’une menace globale.
Pour le reste, le film tombe avec fracas dans les mêmes travers que son aîné, à commencer sur son soi-disant riche panel de personnages, censé évoquer une humanité plus générale, et donc l’amplitude de l’attaque alien. Mis à part son iconisation de Jeff Goldblum et Bill Pullman, les autres personnages sont privés d’un véritable arc narratif, et dotés d’une personnalité réduite à peau de chagrin. Le montage achève alors le je-m’en-foutisme de l’entreprise, accumulant par petits bouts des saynètes qui ne prennent jamais le temps d’installer une dramaturgie (la mort de certains personnages sont expédiées en quelques secondes), en plus de confirmer la faiblesse de la réalisation d’Emmerich. Certes, les VFX sont merveilleux, mais ils ne suffisent pas à nous immerger dans des dogfights aussi fades que celles du premier film. Pour quelqu’un désirant être au plus près de ses personnages, il est incompréhensible que la mise en scène du cinéaste soit aussi abstraite, bourrée de plans larges qui ne conviennent que partiellement au spectaculaire, mais auquel il est nécessaire d’imposer une focalisation, pour qu’une trace humaine se fasse ressentir dans cet amas de destruction. Au moins, le premier Independence Day avait pour lui son aspect fortement organique, même dans ses effets spéciaux. Aujourd’hui, le numérique semble encore plus lisser ses mises en situation, laissant le public passif même dans ses moments les plus impressionnants. Le plus triste n’est donc pas de voir Emmerich réitérer des erreurs du passé, mais qu’il les accompagne de défauts évidents venus du blockbuster contemporain, jusqu’à ce cliffhanger absurde finissant de tuer le spectateur sur place.
Independence Day : Resurgence a pour autant quelques éléments de consolation, mais qui corrèlent avec sa dimension funeste, comme vaincu avant même de s’être battu. A vrai dire, seuls semblent compter ces vingt ans qui séparent les deux films, y compris dans leur diégèse. Emmerich se pose en de trop rares occasions les bonnes questions autour d’un monde évolué grâce à la technologie des aliens, ainsi que sur un protectionnisme planétaire rendant les humains plus agressifs. A l’heure du terrorisme international, Resurgence est peut-être involontairement plus en accord avec son temps qu’il ne le laisse supposer, tel un révélateur d’une pensée vengeresse généralisée. En cela, la concentration d’Emmerich sur le peuple américain n’est pas sans ironie, mais il n’enfonce jamais suffisamment le clou pour offrir un vrai objet critique, loin de son sympathique White House Down. Car au final, malgré ses quelques aberrations de scénario aux relents patriotiques, le film se révèle bien assez sage, dans la norme du blockbuster monochrome et sans envie, au point que l’on en viendrait à regretter le jusqu’au-boutisme de son aîné. Téléfilm de luxe qui affirme la chute de son auteur dans le monde qu’il a en partie créé, Independence Day : Resurgence est un produit triste, flemmard et fatigué. Là encore, l’image du chien révèle les possibilités proposées à Roland Emmerich : il doit soit laisser d’autres cinéastes le faire mourir, soit assumer pleinement son sauvetage.
Réalisé par Roland Emmerich, avec Jeff Goldblum, Liam Hemsworth, Bill Pullman…
Sortie le 20 juillet 2016.