Genre : expérimental, trash, inclassable (interdit aux - 16 ans)
Année : 1996
Durée : 1h31
L'histoire : Un laboratoire mène des expériences pour le compte d'une organisation secrète. Ces expériences, pratiquées sur des cobayes humains, ont pour but de développer un pouvoir psychique encore inconnu. Lorsqu'un premier volontaire meurt, les commanditaires arrêtent de financer le projet. Mais les scientifiques refusent de se plier aux ordres et en l'absence d'autres cobayes, commencent à s'appliquer à eux mêmes leur drogue dévastatrice.
La critique :
Attention mes amis, voilà un film qui décape sévère. J'ai nommé Rubber's Lover de Shozin Fukui, réalisé en 1996. Une bombe cyberpunk méconnue mais qui détruit tout sur son passage. Prenez une pincée d'Eraserhead, ajoutez un soupçon de Philosophy of a Knife, balancez une grande dose de Tetsuo, secouez le tout très fort (secouer est vraiment le terme exact !) et vous obtenez l'un des films les plus rock'n roll de ces vingt dernières années. Tetsuo... impossible de parler de ce genre très particulier qu'est le cyberpunk sans mentionner le nom de la référence du genre.
Mais ne retenir que le film (génial certes) de Shinya Tsukamoto serait considérablement réducteur. Ses deux séquelles, bien qu'inférieures à l'original, s'avèreront assez intéressantes. En 1991, Fukui (déjà lui) réalise le très déjanté 964 Pinocchio. Cinq ans plus tard, il récidive et tape beaucoup plus fort avec Rubber's Lover, un film absolument frappadingue. Rubber's Lover c'est avant tout une expérience. Un bad trip sous acides qui met la tête à l'envers et agresse en permanence le spectateur. Celui-ci, plongé dans un monde totalement chaotique, assailli de sons métalliques et submergé d'images destroy, sort abasourdi par le spectacle proposé.
Avec ce film, Fukui nous entraîne dans un univers onirique où cauchemars et réalité sont intimement liés. En fait, Rubber's Lover est une oeuvre très proche de l'expérimental qui se vit plus qu'elle ne se raconte. D'ailleurs, le réalisateur lui même pose les données en ces termes: "Le pouvoir psychique se révèle lorsque l'angoisse mentale excède la douleur physique". Ok, sur ces belles paroles, bienvenue dans un film de tarés... Attention spoilers: Une puissante organisation dirige en secret des expériences. Son objectif ? Développer au centuple le pouvoir psychique de l'être humain.
Reclus dans un laboratoire discret, des scientifiques travaillent sans relâche à l'élaboration de ce projet. Ils mettent au point une drogue qu'ils couplent à un procédé auditif révolutionnaire, le D.D.D (Digital Direct Drive). Ainsi, le sujet, déjà sous l'emprise de la drogue, se retrouve casqué et bombardé de sons qui ont pour but d'accroître ses facultés mentales. Après quelques succès lors de tests théoriques, la première expérience sur un cobaye humain se termine par la mort de celui-ci dans d'atroces souffrances.
A la suite de cet échec et avant de retirer définitivement le projet aux scientifiques, l'organisation envoie une jeune secrétaire dans un rôle de médiateur afin que chacun trouve un accord. Hélas, cloîtrés dans un univers déshumanisé et rendus fous par leurs travaux, les scientifiques violent la secrétaire et s'inoculent à eux mêmes, leur soit disant sérum miracle. Le résultat sera apocalyptique... Rubber's Lover est un film extrêmement éprouvant à regarder. Fukui nous bouscule jusqu'à atteindre un point de non retour. Il nous emporte avec lui dans son delirium et l'esprit du spectateur se retrouve littéralement passé à tabac par l'hystérie visuelle et sonore qui déboule sur la pellicule.
Toutefois, difficile de comparer ce film à Tetsuo; chacun est unique à sa manière. Ici, l'homme ne devient pas une machine, il devient fou à cause de la machine. Les décors sont froids, aseptisés et la (très belle) photo noire et blanc est parfaitement léchée. Le côté sensitif, porté à son paroxysme, exacerbe le malaise du spectateur devant son écran et le cloue littéralement à son siège.
Arrivé à la moitié, le film perd toute structure narrative cohérente et bascule dans une violence terriblement graphique. Le réalisateur fait alors preuve d'un savoir-faire assez exceptionnel pour nous faire vivre et presque ressentir en même temps qu'eux, la dégénérescence des protagonistes. Les effets gore, dont l'impact est diminué par le noir et blanc, sont plus grand-guignolesques que réellement choquants et sont employés à bon escient. Mais attention tout de même, certaines scènes sont assez gratinées et peuvent heurter un public non averti (selon la formule consacrée).
Enfin et surtout, Rubber's Lover offre une dernière demi-heure absolument démentielle qui, à elle seule, vaut la peine de regarder le film. Évidemment, préciser qu'une oeuvre aussi barge ne plaira pas à tout le monde relève de l'euphémisme. Il est impératif de se laisser envahir par le délire du réalisateur pour mieux pénétrer son univers sinon vous risquez de trouver le temps très long. Car ce délire va loin, très loin... Pas facile de résumer un tel OVNi et je dois avouer que j'ai pris bien du "plaisir" à rédiger cette chronique ! Mais peu importe car le film de Fukui mérite vraiment le détour et il aurait été dommage que les amateurs de curiosités cinématographiques n'aient pas eu vent de son existence.
Au final, à travers ses angoisses d'une déshumanisation programmée de la société et de ses dérives inévitables, Fukui nous délivre un message quasi existentiel. Une phobie sous jacente dont il nous communique l'obsession par la démesure d'un film dantesque. Furieux et assourdissant, Rubber's Lover éparpille façon puzzle tous les autres films de sa catégorie et s'impose définitivement comme le must du genre cyberpunk.
Note : 17/20