Décidément la franchise American Nightmare frise le génie horrifique autant qu’elle excelle dans la satire en dépeignant sans crier gare une vision vitriolique de notre société. A l’image du travail de George A. Romero qui écrivit, avec sa saga zombiesque, d’épisode en épisode, un véritable manifeste politique, James DeMonaco clôt son triptyque, génial, avec une maturité que beaucoup pourrait lui envier. Il y est question de résistance citoyenne, de bravoure révolutionnaire et d’éthique politicienne. Trois visions de l’engagement en société que l’on voudrait opposer avec un populisme certain, manipulation par jeu de miroir déformant qu’American Nightmare – Élections balaye d’un revers de la main.
Après des années de Purge, cette nuit de non-droit organisée par Les Nouveaux Pères Fondateurs, le parti au pouvoir, une nouvelle va avoir lieu où les citoyens américains pourront relâcher leur pulsions violente en s’adonnant au meurtre. Menacés par la popularité de la sénatrice Charlène Roan (Elizabeth Mitchell), le pasteur Edwige Owens (Kyle Secor que l’on a vu dans American Horror Story), candidat du parti d’extrème-droite aux prochaines élections décide de lever l’immunité concernant les personnalités politiques. Il s’agit d’éliminer sa rivale. Cette dernière est protégée par le sergent Leo Barnes (Frank Grillo que l’on a vu dans American Nightmare 2 : Anarchy et Captain America : Civil War) qui soutient son programme politique dont le premier but est de mettre un terme à la purge. De leur côtés, les révolutionnaires mené par Dante Bishop (Edwin Hodge que l’on a vu dans American Nightmare 2 : Anarchy) poursuivent leurs propres buts.
Joe Dixon (Mykelti Williamson) et Marcos (Joseph Julian Soria)
Après avoir frappé un grand coup avec American Nightmare où Ethan Hawke campait un marchand de système de sécurité pris à son propre jeux, aux prises avec une réalité dont il se jouait cyniquement comme un marchand d’arme européen pleurant après chaque attentat, après avoir enfoncé le clou avec American Nightmare 2 : Anarchy poussant le vice jusqu’à supposer que le populisme et la haine de l’autre fut institutionnalisé dans l’optique de se débarrasser des plus pauvres, James DeMonaco établit une synthèse fracassante dans American Nightmare – Élections et, la première fois, s’octroie une touche d’espoir concernant une humanité perdu pour elle-même. Les mécanismes qu’ils décortiquent à travers le prisme de l’horreur sont des biais idéologiques déjà mis en œuvre dans nos sociétés et qu’y couvent des dérives aussi graves que celle que permet cette fresque d’anticipation. Aucun des personnages choisis, soigneusement prévu par DeMonaco, également scénariste, n’est là par hasard et les interactions sont si essentielles, si porteuse d’intérêts et de messages que l’aspect terrifiant de la péloche devient réellement secondaire, servant tout juste à appuyer la violence inhérente d’un système dont les manifestations cathartiques (comme ce film) n’en sont que des succédanées. Autour d’un premier groupe, celui des citoyens lambda se dressent une infographie des oubliés de l’Amérique, de ceux que l’on voudrait voir réduit au rang de main d’œuvre corvéable, que le capital ne rêve que transparent et à qui il nie une autre existence qu’une existence marchande. On y retrouve Laney (Betty Gabriel) et Marcos (Joseph Julian Soria), deux enfants des ghettos, la première étant un pur produit de la ségrégation de classe, l’autre de la mise au pas des ouvriers étrangers bon marché, un émigré mexicain. Ces deux jeunes gens sont néanmoins décrits comme des cas d’école ayant réussi à s’en sortir, la première ayant quitté les gangs et le deuxième les cartels de Juarez. Ce qui rend, sur ce point, American Nightmare : Élections particulièrement engagé est la présence à leur côté de Joe Dixon, un petit commerçant de quartier qui les a recueilli et encouragé. Il n’est donc nul question ici du mythe du self-made man, du prolétaire échappant à son milieu par son propre mérite mais bel et bien d’une histoire d’entraide humaniste. Pas de rêve américain donc, mais le rêve qu’un américain trouve le courage de partager à trois.
L’oncle Sam (Roman Blat), Leo Barnes (Frank Grillo) et Charlene Roan (Elizabeth Mitchell)
D’un deuxième groupe s’extrait Dante Bishop, un homme posé et réfléchi qui a pesé le pour et le contre de la lutte armée et s’est engagé dans une guérilla qui n’a rien de personnel. Figure du résistant et du révolutionnaire, ce noir-américain, touché dans sa chair comme peuvent l’être tant de noir-américain de nos jours devant la résurgence d’un racisme crasse, fait du sort des opprimés sa préoccupation principale. Bien sur, les choix martiaux qu’il fait sont discutés par le film. On peux en effet discuter de la nécessité de l’action violente, craindre qu’une fois le pouvoir acquis, l’on s’identifie aux anciens bourreaux, en reprenant le rôle et en changeant les victimes, mais jamais DeMonaco ne met en doute l’intégrité de son personnage et de ses idéaux. Pour une raison simple, la foi est plus belle que Dieu. En d’autres termes, si les idées peuvent être perverties par une certaine bureaucratie ou par des ego mal placés, toutes ne se valent pas. Et Bishop défend la concorde entre les hommes, la Liberté, l’Égalité et la Fraternité. Autant d’idées qui n’ont de sens que dans la recherche du bien commun. En voulant rapprocher les extrêmes, ce que se garde bien de faire American Nightmare, on oublie consciemment de distinguer causes et conséquences, l’utopie vers laquelle on tend et les chemins de traverses que la malhonnêteté humaine peut faire traverser. Mais face à ce Bishop, il y a cette Liberté pervertie, cette liberté du commerce et des biens, cette Liberté libérale qui donne aux choses autant de consciences qu’aux êtres. Il y a une idéologie mortifère en elle-même, incompatible avec cette recherche du bonheur que tant de vrais pères fondateurs des États-Unis eurent peur d’inscrire dans le marbre de leur constitution. C’est celle qui ne fait pas appel à la foi en l’être humain mais perverti le divin pour en faire un instrument de coercition, c’est celle qui rassemble les marchands d’armes et les marchands de sécurité, les banquiers, les exilés fiscaux et les trafiquants de toutes envergures dans la même communauté d’intérêts. Celle qui rassemble, financés par ses premiers, les fanatiques de tout bord. Et au milieu de la mêlée, s’ébrouant dans le chaos, certains hommes politiques. Et le peuple éclaboussé par ces trahisons perd confiance dans la chose publique alors même qu’il est essentiel de se la rapproprier. C’est un sujet de conversation dont les protagonistes du long-métrage sont friands.
Marcos (Joseph Julian Soria), Laney Rucker (Betty Gabriel) et Joe Dixon (Mykelti Williamson)
Intervient alors le personnage central d’American Nightmare : Élections, celui-là même qui est censé nous redonnait espoir. Charlène Roan, la sénatrice qui s’oppose aux Nouveaux Pères Fondateurs est régulièrement soupçonné de trahir le peuple quand elle aura le pouvoir mais la plupart des personnages finissent par lui accorder leur confiance. Plusieurs points sont à développés ici. Les événements extrêmes qui force la sénatrice à sortir de sa tour d’ivoire, la forçant à confronter la théorie au terrain la pousse également à devoir écouter ses concitoyens avec une ferveur certaine. Comme si DeMonaco voulait appuyer qu’il n’est pas tant de la faute des hommes politiques d’être corrompus que du peuple de ne pas exercer ses droits fondamentaux en exerçant sur eux une pression constante pour qu’ils appliquent leurs mandats. Ensuite, Roan restant droit dans ses bottes et ne trahissant pas, American Nightmare : Élections ne cède pas aux sirènes populistes et entame un discours qui devient malheureusement inaudible de nos jours : il y a encore des personnes honnêtes, des hommes et des femmes pour qui la politique est moins pensé comme un métier que comme un tremplin pour réaliser de grandes choses progressistes. C’est un plaisir de voir tordre le coup au bêtifiant « tous pourris » dans une œuvre grand public bénéficiant d’un budget convenable. Finalement, nous avons les dirigeants que l’on mérite. Enfin, véritable œuvre de combat, American Nightmare : Élections prend soin de laisser poindre la nécessaire coalition de la force révolutionnaire et de la négociation politique. Rarement, les grandes avancées sociales n’ont pu être obtenu sans un véritable rapport de force. Les adversaires d’une humanité heureuse et solidaire sont peu nombreux mais ils sont puissants, il faut donc s’unir comme la sénatrice Roan, Laney, Marcos, Joe et Leo au-delà des apparences premières que sont l’ethnie ou la religion, le nerf véritable de la guerre étant la finance qui maquillent ses propres guerres en guerres de civilisations. Si nous cédons le pouvoir aux populistes de toutes les droites, il y a fort à parier qu’on nous le retire définitivement. A l’aune d’une guerre civile qui point à la toute fin du film et dont les premières victimes, et la boucle est bouclé, seront ceux qui n’ont pas les moyens de se protéger.
Edwidge Owens (Kyle Secor) et Charlene Roan (Elizabeth Mitchell)
American Nightmare : Élections conclut un triptyque dont la puissance évocatrice et la ligne de fond s’est peu à peu étoffé pour proposer une lecture dense et complète des problématiques qui se posent à nos sociétés repliées sur la peur de l’autre, dans la méconnaissance d’elle-même et recherchant des solutions faciles et expiatoires, invoquant, comme aux pires heures de notre histoire contemporaine, des figures tutélaires de boucs-émissaires. C’est toujours du côté de l’underground qu’il faut chercher les portes-paroles des sans-vois et l’on ne peut que se réjouir que l’audience de tels œuvres, redonnant leurs lettres de noblesses aux films de genre, ne s’élargissent.
Boeringer Rémy
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