Genre : Fantastique, Drame
Année : 1926
Durée : 1h47
Synopsis :
Tourmenteur de l'humanité avec la guerre, la peste ou la famine, Méphisto considère que la terre lui appartient. L'Archange Gabriel lui évoque le nom de Faust, un vieux savant, un juste dont la vie entière est la preuve que la terre n'est pas totalement soumise au Mal. Méphisto promet de détourner de Dieu l'âme de Faust. Alors la terre sera tienne, promet l'Archange... Dans son village décimé par la peste, Faust, désespéré, trouve un grimoire lui permettant d'invoquer le Diable et signe avec lui un pacte de 24 heures pour sauver les malades. Mais les villageois s'en aperçoivent et veulent le lapider. En proie au suicide, Faust accepte une nouvelle proposition de Méphisto : retrouver sa jeunesse en échange de son âme…
La critique :
Aujourd'hui, j'ai décidé encore une fois d'innover dans les chroniques que je rédige avec plaisir. Si ma précédente chronique se basait sur de la pornographie déviante, celle d'aujourd'hui va se baser sur un film muet, une première (je pense...) sur le blog. Le film muet reste un genre cinématographique très peu accessible à notre époque où le cinéma en couleur et les paroles sont entrées comme des fondements essentiels dans la réalisation d'un film. Bien évidemment, il est logique de se rendre compte que le cinéma se doit d'évoluer car qu'est ce que l'art s'il n'évolue jamais ?
Pour autant, il est impensable de ne pas se rendre compte des qualités cinématographiques incomparables du début du cinéma. Début du cinéma qui était largement représenté par l'expressionnisme allemand ayant marqué durablement l'art cinématographique. Pour cela, remettons nous dans le contexte de l'époque, la 1ère guerre mondiale s'est achevée avec une Allemagne se remettant difficilement. Suite à la récession économique frappant ce pays, l'Allemagne a bien du mal à faire face aux productions hollywoodiennes et va alors focaliser son cinéma sur l'atmosphère pour faire face au manque de moyens évident.
Cela passera par la construction de décors abstraits aux motifs géométriques donnant cette impression d'évoluer dans un rêve éveillé avec son lot de thèmes romanesques et d'aventure. Chose en totale opposition avec le cinéma existant. Ici, on se retrouve embarqué dans un cinéma traitant à de nombreuses reprises de sujets psychologiques et moraux profonds. Un témoignage d'un pays alors à genoux économiquement et sombrant en plein marasme. Ce n'est d'ailleurs guère étonnant que l'expressionnisme allemand est considéré comme le point de départ du cinéma fantastique avec des titres entrés désormais au panthéon des oeuvres majeures cinématographiques : Le Cabinet du Docteur Caligari, Le Golem, Les Trois Lumières ou encore Nosferatu pour ne citer que ceux-ci.
Au-delà de ces exemples, si ce courant cinématographique a logiquement influencé le cinéma d'horreur, il a aussi influencé le polar noir et nous retrouverons d'autres films qui bénéficieront de ces influences comme La Nuit du Chasseur. Dans cette nouvelle chronique, j'ai décidé de m'atteler à un poids lourd du genre du nom de Faust.
Le réalisateur derrière la caméra n'est évidemment pas n'importe qui puisqu'il s'agit de Friedrich Wilhelm Murnau connu essentiellement pour avoir pondu Nosferatu ainsi que L'Aurore, 2 films dont les qualités ne sont plus à démontrer. Faust représente aussi un tournant important dans la carrière du réalisateur puisqu'il s'agira de son dernier film allemand avant de poursuivre sa carrière aux Etats-Unis. Après cette petite note historique, attelons nous au film en lui-même.
ATTENTION SPOILERS : Méphisto, tourmenteur de l'humanité semant la mort et le désespoir partout où il passe rencontre l'archange Gabriel lui prédisant l'existence de Faust, un vieillard dont la vie entière est juste et montrant que la Terre n'est pas encore totalement soumise au Mal. Méphisto lance un défi à l'archange en lui affirmant qu'il détournera Faust du droit chemin. Le vieillard exténué par la présence de la peste décimant son village fait un pacte de 24h avec le Diable pour sauver les malades mais en échange, il ne pourra plus s'approcher de tout ce qui est divin. Il est aperçu par les villageois qui tiennent à le lyncher. En proie au suicide, il décide de faire un second pacte afin de retrouver sa jeunesse en échange de son âme. Quelques temps plus tard, Faust est attiré par une jeune fille et en tombe amoureux : FIN DES SPOILERS.
Voilà un aperçu accrocheur qui démontre, comme je l'ai dit avant, les thèmes de prédilection de l'expressionnisme, à savoir les aventures romanesques et les sujets moraux généralement pessimistes tels le désespoir ou la trahison. Effectivement, nous voici embarqués dans ce film incarnant la notion même du film fantastique et romanesque, où nous sommes face à un combat entre le Bien et le Mal se débattant pour le devenir d'une humanité en pleine déliquescence. Disons clairement les choses, Faust est un film aux multiples thématiques le rendant fascinant à analyser.
On retrouve ici l'âme humaine décortiquée face aux malheurs s'abattant sur elle. Ainsi, il n'est guère étonnant de voir que face au désespoir et dépassée par les évènements, l'humanité cherche à se protéger en se tournant vers un Dieu qui pourra les sauver. Un témoignage d'une époque où la religion était omniprésente dans les moeurs au détriment de l'explication scientifique. Il est difficile à dire si le réalisateur effectue une critique de la religion et de ses coutumes à ce niveau cependant.
D'autre part, Murnau nous offre un tableau peu reluisant de l'humanité qui est montrée du doigt comme corrompue et prête à vendre son âme au Diable, à détruire son honneur et sa morale en échange de son bonheur personnel. Si la religion est montrée du doigt après le premier pacte, la condition humaine est passée au fer rouge après le deuxième pacte. Face au désespoir et à la solitude, Murnau montre que l'homme est prêt à tout, y compris à vendre son âme, pour retrouver un bonheur faussement naturel, un bonheur vain tendant plus vers la facilité voire le matérialisme physique et sentimental. Cela se vérifiera avec Faust échangeant son âme par ce besoin d'amour, de jeunesse, de royaume, de plaisirs et de reconnaissance sociale. Nous pouvons observer d'ailleurs la recherche du bonheur absolu dans la vie de tous les jours où le paraître supplante la définition même du bonheur.
Après tout, est il nécessaire d'afficher son bonheur à tout prix et au monde entier ? A ce niveau, Faust nous offre un véritable cheminement introspectif au travers d'une métaphore nous questionnant à la fin.
Le bonheur simple ou le bonheur obtenu grâce au matérialisme et au paraître ? Brillant tout simplement et c'est ce qui le rend aussi intemporel dans les thématiques abordées. On pourrait même aller bien plus loin avec un parallèle sur les réseaux sociaux où nombre de gens cherchent à s'afficher et à prouver aux autres qu'ils sont heureux. Au-delà de la mise en abîme admirable du récit et de ses multiples questionnements, Murnau a su aussi travailler son film de manière visuelle et à ce niveau, on reste subjugué par ce visuel absolument somptueux tant dans le choix des couleurs que des ombres, des plans, des cadrages et des décors qui sont à tomber par terre de par leur majestuosité.
Faust n'est pas seulement épique dans son histoire mais aussi dans la plastique même du film et c'est un vrai régal pour les yeux pour tous les amoureux d'esthétique. Le sommet sera atteint lors de cette séquence dans une sorte de jardin verdoyant et moultement fleuri où nous sommes là à saliver devant cette construction visuelle irréprochable. D'autre part, il est intéressant de voir que Murnau a judicieusement travailler ses couleurs avec ces 2 couleurs phares, le noir et le blanc, représentant respectivement le Bien et le Mal. Le noir et blanc n'aura pour ainsi dire jamais été aussi bien intégré à un film.
Mais ce n'est pas tout car que serait l'image sans la musique ? Et à ce niveau, encore une fois, on peut observer un choix judicieux de musiques parfaitement en accord avec la tonalité pessimiste du récit. N'étant absolument pas un passionné de musique classique, là je suis clairement tombé sous le marche de toutes ces mélodies. Faust est bien le premier film muet à m'avoir tant marqué dans le travail lié aux musiques. Un point très important dans le cinéma muet où la musique fait partie intégrante du film. Tantôt sombre, tantôt plus joyeuse, Murnau varie le style tout en restant dans la même gamme et c'est franchement admirable.
Mais que serait une chronique si nous n'abordions pas la performance des acteurs ? Au niveau du récit, on retrouvera notamment Gostä Ekman, Emil Jannings et Camilla Horn. Tous ces acteurs délivreront une performance plus qu'honorable avec leurs expressions faciales travaillées, un point de vue plutôt subjectif à ce niveau car c'est un paramètre difficile à évaluer. De son côté, Camilla Horn crève l'écran par sa beauté, sa sensualité et sa candeur qui en font un personnage touchant en proie à une grande sensibilité. Il est encore une fois intéressant de constater que le Diable, incarné avec brio par Emil Jannings, est représenté par un homme laid vêtu de noir et à l'expression faciale malsaine tandis que Faust jeune, incarné par Gostä Ekman, est un homme grand et vertueux vêtu de couleurs claires.
Tout a été pensé et cette dualité permanente présente dans tous les rouages du film en font davantage un film travaillé et de très grande qualité.
De même, la mise en scène se pare aussi d'effets spéciaux savamment dosés avec cette mention à l'ombre de Méphisto enveloppant le village comme nous pouvons l'observer dans la première image de la chronique. Malgré ses 90 ans au compteur, cette scène impressionne et les apparitions de Méphisto se confrontant à l'archange Gabriel se montrent de toute beauté. Le clou du spectacle se révèlera être cette fin absolument déchirante, tragique et d'une grâce absolue clôturant en beauté le film.
Peu de films sont arrivés à un tel résultat et je vais être honnête en vous disant que c'est l'une des plus belles fins qu'il m'ait été donné de voir. A dire vrai, il est difficile de s'embêter devant le film si nous adhérons dès le départ à l'ambiance et au principe du film muet. La construction narrative est pensée et reste accrocheuse malgré les 1h50 de film qui pourrait déstabiliser certains, mais il est compréhensible de se rendre à l'évidence que beaucoup auront du mal.
En conclusion, vous aurez compris sans trop de surprises que nous avons là affaire à un véritable chef d'oeuvre du cinéma se montrant fascinant sous tous les plans. C'est un film beau sur une histoire tragique et cela ne pourra que bouleverser le spectateur qui se laissera prendre par l'histoire. Logiquement difficile d'accès aujourd'hui avec ses 90 bougies soufflées, Faust n'en demeure pas loin une perle qui aura marqué l'expressionnisme allemand et le cinéma dans sa globalité et qui s'offre le luxe de se hisser parmi mes films préférés, au côté d'un autre classique expressionniste, qui est Le Cabinet du Docteur Caligari. Si vous n'avez aucun mal avec le cinéma muet, je vous conseille vivement de vous y jeter. Vous ne le regretterez pas.
Note : 18/20