[INTERVIEW] Natalie Vrignaud – Directrice des Fauvettes

Si vous n’avez jamais encore entendu parler du cinéma Les Fauvettes, prenez d’abord connaissance de notre article écrit il y a quelques mois en cliquant juste ici. Pour les autres, vous connaissez déjà notre amour pour ce cinéma, spécialisé dans la diffusion d’anciennes réalisations. La programmation fonctionne par cycle, c’est-à-dire par période dédiée à un artiste en particulier, ou à un type de film spécifique. Mais plein de questions nous viennent à l’esprit chaque fois que l’équipe de Pulp Movies foule le sol de cet établissement si particulier.

Pour répondre à ces interrogations, nous avons été reçus par Natalie Vrignaud, la directrice du cinéma.

natalie vrinaud figaro

(Crédit photo : Le Figaro)

Arrivés au rendez-vous, quelle surprise de voir une personne jeune représenter un poste à charge tel que celui-ci. Et pourtant, Natalie Vrignaud sait de quoi elle parle. Elle a d’abord passé 2 ans à la FEMIS (la célèbre école publique de cinéma dont la renommée n’est plus à prouver) en section « distribution exploitation ». Là, elle fait de très nombreuses rencontres ainsi que des stages très formateurs. Parmi ces expériences, elle passe quelques mois chez Gaumont Pathé. Finalement, à son plus grand bonheur, elle n’en est jamais sortie. C’est avec le sourire qu’elle nous informe qu’elle travaille chez Gaumont Pathé depuis 6 ans. Un véritable parcours en or pour elle. D’abord animatrice au Gaumont Parnasse (l’animateur est au contact des clients à l’intérieur du cinéma), elle passe très vite responsable d’exploitation. Cette nouvelle fonction lui donne de nouvelles responsabilités : il faut diriger une équipe, établir les plannings, gérer les commandes de confiseries… Puis Natalie Vrignaud passe au Pathé Beaugrenelle au moment de l’ouverture de ce nouveau cinéma. Là, on lui propose de devenir la directrice adjointe d’Arnaud Surel, toujours actuel directeur. Vient ensuite le projet des Fauvettes, où l’on propose à cette ambitieuse femme de devenir directrice d’établissement. Aujourd’hui, Natalie Vrignaud nous accueille dans son cinéma et elle n’hésite pas à nous dire : « pour l’instant je ne me vois pas dans un autre métier que celui-là ». Parcours enviable, métier a priori passionnant. Le cœur de son métier : la programmation des cycles aux Fauvettes. Elle collabore avec Jean-Pierre Lavoignat, le célèbre journaliste cinéma. Ensemble, ils décident de ce que vous irez voir.

Mais cela n’est pas si simple. Comment fonctionne réellement Les Fauvettes ? Réponse dans l’interview accordée par Natalie Vrignaud à l’équipe de Pulp Movies.

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HALL

Estelle Lautrou : Comment sont choisis les cycles ? Par exemple, en ce moment, vous avez un cycle Marvel et un cycle Meryl Streep… C’est très différent.

Natalie Vrignaud : Il y a plusieurs manières de programmer, de faire ce choix de cycles. Il n’y a pas de règle. Là, sur Meryl Streep, c’était parce qu’on avait la sortie de Florence Foster Jenkins. Au début, on voulait travailler sur Stephen Frears (ndlr : le réalisateur de Florence Foster Jenkins), mais on s’est dit que Meryl Streep était plus appropriée. Et puis on avait plus de films disponibles. On a donc choisi de faire un cycle sur elle, le but étant de voir les différents visages de cette actrice dans le cinéma américain et anglais.

Pour Marvel, on voulait quelque chose de plus pop, de plus jeune et de plus contemporain. Le cycle prochain est sur Terrence Malick. Et ça, même si ce sont des films assez récents, on est dans un autre type de cinéphilie. En fait, on essaie d’alterner pour que le maximum de personnes puisse s’y retrouver.

Votre cible est donc large, ou est-ce que pour l’instant vous vous concentrez vraiment sur les cinéphiles ?

Elle est assez large. L’idée des Fauvettes, le concept initial, est vraiment d’ouvrir le cinéma patrimoine au plus grand nombre, à des spectateurs qui n’auraient pas forcément l’idée de franchir les portes de la Cinémathèque. Non pas que celle-ci soit élitiste : quand on la fréquente, on se rend compte que c’est un lieu très convivial, où se passent des choses assez riches et parfois des choses très intellectuelles. Mais il y a quand même une barrière psychologique qui fait que la Cinémathèque, c’est un lieu un peu particulier. C’est pareil pour certains cinémas du quartier latin. Beaucoup de spectateurs n’iraient pas forcément d’eux-mêmes dans ces salles, tout simplement parce qu’ils n’y pensent pas. L’idée des Fauvettes, comme on appartient au groupe Gaumont Pathé, c’était de dire aux gens qui vont voir de nouveaux films « Vous pouvez aussi, de temps en temps, voir des films plus anciens chez nous, aux Fauvettes. Votre carte Le Pass est valable aussi chez nous. Ou venez avec votre carte 5 places achetée à Opéra, à Montparnasse ou dans n’importe quel cinéma Gaumont Pathé ».

On peut dire que le frein est moins grand. Et puis ce public retrouve aussi aux Fauvettes le standard qu’ils ont l’habitude d’avoir dans les salles d’actualités : fauteuils confortables, service au bar, etc. On a beaucoup de transferts de public. Par exemple, on a énormément de personnes habituées au Pathé Beaugrenelle qui viennent chez nous, ici.

Pourquoi spécifiquement Beaugrenelle ?

Franchement, je ne sais pas. C’est sûrement dû au placement numéroté. Là-bas aussi les gens doivent choisir leur siège. C’est ce qu’on a aussi ici. Je pense qu’ils retrouvent ce service-là et comme ils l’aiment bien, ils se dirigent vers des cinémas qui offrent cela. Je pense aussi qu’il y a beaucoup d’abonnés Le Pass là-bas. Je connais bien Beaugrenelle puisque j’y ai travaillé. Au moment de l’ouverture, on a fait énormément d’abonnements de ce genre. Les personnes détentrices de la carte Le Pass sont plus susceptibles de venir aux Fauvettes. Elles font partie de notre cible.

Vous parliez de placement numéroté. Quels sont les avantages pour vous, en tant que cinéma, de proposer ce système ? Au niveau des spectateurs, les avis là-dessus sont quand même très divisés.

Ah oui, les avis sont vraiment mitigés. Pour nous, dans l’absolu, on n’en tire aucun bénéfice. C’est juste un service qu’on offre aux spectateurs. En termes de gestion, ce n’est pas forcément un avantage pour nous de placer les gens. C’est quelque chose que le public nous avait demandé à l’époque. C’est un système très anglo-saxon. Nous l’avons d’abord testé à Beaugrenelle parce qu’on avait un cinéma haut de gamme et on a ouvert en placement numéroté. Ça a été détesté. Des gens nous disaient qu’ils ne reviendraient jamais, c’était le bazar ! On l’a quand même laissé, et maintenant ça cartonne littéralement. Si aujourd’hui on enlevait le placement numéroté à Beaugrenelle, je pense qu’on aurait une baisse vertigineuse des visites. Les gens se sont habitués au fait de choisir leur fauteuil. Notamment pour les familles, c’est un véritable confort de savoir qu’ils seront tous assis côte à côte même en arrivant au dernier moment. Sans le placement numéroté, une famille peut être séparée, avec des personnes seules, d’autres au premier rang, certains au dernier rang… « Votre fauteuil vous attend ». La catchline de la communication des Gaumont Pathé avec ce service, c’est ça, mais c’est aussi la réalité. Vous pouvez arriver au dernier moment, vous savez que vous avez votre place.

On perd quand même en spontanéité… le « tiens, je me ferai bien un ciné maintenant » n’est plus tout à fait possible dans ce cas.

C’est vrai. Et si vous voulez faire venir quelqu’un avec vous au dernier moment, ce n’est pas simple. Nous après, on peut effectuer des changements pour arranger tout le monde.

SALON 1

Vous appuyez beaucoup sur le fait d’appartenir à Gaumont Pathé. Pourtant, Les Fauvettes ont une identité complètement à part. Par exemple, vous avez votre propre site internet, chose que n’ont pas les autres cinémas Gaumont Pathé. Même au niveau du lieu physique, l’architecture est très chic, très épurée, c’est quelque chose qui saute aux yeux.

Effectivement, sur l’enseigne on ne mentionne pas Gaumont ou Pathé. On ne s’appelle pas « Gaumont Les Fauvettes » ou « Pathé Les Fauvettes ». On a voulu ne pas donner de « marque » pour, justement, ne pas marquer le lieu. Gaumont peut être associé à un certain type de cinéphilie, tout comme Pathé. On voulait vraiment que le cinéma soit à part, mais dans le réseau. On avait aussi surtout très envie de reprendre le nom historique du lieu. Vers 1900, ici, c’était un lieu de spectacle, une sorte de salle de bal, qui s’appelait justement Les Fauvettes. Il est devenu un cinéma dans les années 1910/1920. On avait envie de retrouver ce nom-là puisqu’il a vraiment une histoire.

Par contre, l’architecture n’est pas vraiment spécifique aux Fauvettes. En réalité, chacun des cinémas Gaumont Pathé à Paris, comme en province, a une touche architecturale différente. Tous les architectes sont différents. À l’époque, dans les années 90, au moment où ont été construits tous les multiplexes, c’était un architecte et on dupliquait. La déco était un peu la même partout. Là, l’idée c’est que chaque lieu ait vraiment sa patte. On vient d’ouvrir le Gaumont Alésia dans le 14e, travaillé par Manuelle Gautrand, architecte des Fauvettes ou Beaugrenelle, qui propose des choses très différentes.

Pour Les Fauvettes, pourquoi ne pas avoir opté pour un style plus ancien afin de mettre votre public dans un univers en concordance avec vos programmations ?

Justement, on ne voulait pas jouer là-dessus. On ne voulait pas jouer la carte de la nostalgie et du vintage. Ça nous permet d’appuyer le fait que les films sont anciens, mais restaurés ! On voit des réalisations anciennes, dans un lieu moderne et ça c’est très important pour notre identité. Ça fait notre spécificité. Et puis les salles du quartier latin, du fait de leur âge et qu’elles ne soient pas rénovées, proposent déjà une atmosphère particulière. C’est d’ailleurs ce qui en fait tout le charme !

Plus techniquement, comment obtenez-vous les droits de diffusion des vieux films ? Par exemple, pour le cycle Tarantino que vous avez fait il y a quelques mois, Boulevard de la mort n’était pas diffusé parce que vous n’aviez pas les droits.

Tous les exploitants, donc toutes les salles de cinéma, obtiennent des films par des distributeurs. C’est le même fonctionnement pour les films anciens que pour les nouveaux. Par exemple, en ce moment, Suicide Squad est distribué par Warner. Warner a un catalogue dans lequel on trouve des films anciens. Ces distributeurs ont des droits sur des réalisations. Ces droits peuvent être renouvelés. Par exemple, pour un film comme Les Hommes du Président, ils ont les droits 10 ans et ils peuvent les renouveler s’ils pensent en avoir besoin.

Pour vous répondre concernant Boulevard de la Mort pendant le cycle Tarantino, c’est juste qu’il n’y avait plus d’ayants droit en France. Tout simplement.

On ne peut alors pas diffuser de films sans ayant droit en France. Pourquoi ? Parce qu’on doit suivre des règles mises en place par le CNC (Centre National de Cinéma). Les règles sur la billetterie sont très strictes : quand vous achetez une place de cinéma 10 €, une partie part dans diverses taxes (environ 20 %). Le reste, hors taxe, est divisé entre le distributeur (50 % du reste) et le reste pour nous, la salle de cinéma. Tout cela est régi par le CNC, en France. Le distributeur a lui-même des droits pour avoir des recettes sur le film. Lui, forcément, paie pour pouvoir récupérer sa part. Donc sans distributeur, on ne peut rien diffuser. C’était le cas pour Boulevard de la Mort. C’était une espèce de no man’s land juridique sur ce film.

En plus de cela, certains films ne sont disponibles qu’en 35 mm. Nous ici, nous avons le matériel pour projeter ce format. Mais certains films sont clairement inutilisables car la copie est beaucoup trop abîmée. Le cinéma numérique existe depuis seulement 5 ans, alors numériser l’histoire du cinéma qui a plus de 100 ans, ça va prendre du temps.

Vous ne passez pas de films muets. Pourquoi ?

On est localisé pile en face de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé. C’est très différent de nous en termes de fonctionnement. Nous sommes un cinéma « normal » avec 30 séances par jour, de 10h30 à minuit. La Fondation, elle, a une programmation vraiment dédiée aux films muets. Ils ont une salle conçue spécialement pour ça. Il y a un piano en bas de la salle et toutes les séances, sans exception, sont accompagnées d’un pianiste. Il improvise, il crée une ambiance. Ça fonctionnait comme ça dans les cinémas très anciens, à l’époque, et la Fondation a repris cela. Ils font une programmation avec les catalogues de films muets du monde entier. Et eux ne sont pas un cinéma d’exploitation, ils sont une fondation, donc ils n’ont pas de billetterie CNC. C’est pour cela qu’ils peuvent collaborer à l’international. C’est plutôt l’équivalent d’une billetterie de musée. Ils ont 2 séances par jour, c’est très particulier. Et avec ce travail monstrueux qu’ils font, nous, on ne se sent pas forcément légitimes de diffuser aussi des films muets. Après, on ne se l’interdit pas. Si on a la ressortie d’une réalisation importante, on le fera. Mais il sera clairement mieux mis en valeur par la Fondation qui est située juste en face.

Au début de tous vos films, ici, aux Fauvettes, il n’y a pas de publicité de marques comme on peut voir dans les autres cinémas Gaumont Pathé. Pas de pub de mode ou de parfum… Comment compensez-vous financièrement ? Ces pubs sont un sacré apport normalement.

Et si ! Nous avons une marque diffusée à chaque début de film : c’est Renault ! Effectivement on n’a pas de régie publicitaire comme tous les autres cinémas (Jean Mineur, Médiavision, etc.). On essaie un modèle économique différent. On compense ça par un sponsor exclusif qui est Renault. Le logo Renault est associé aux Fauvettes, même sur le site internet : juste en dessous notre logo, il y a le leur. Et en première partie de ce qui est diffusé avant le film, il y a toujours une pub Renault. Forcément, eux ont investi dans ce partenariat-là. Ce n’est pas aussi important que si on avait des pubs tout le temps, toute l’année, mais ça permet de compenser un peu.

Au niveau du nombre d’entrées que vous faites, vous remplissez vos objectifs ?

Non. Pas encore. On se laisse encore au moins 2 ans. Sur un cinéma « normal », il faut attendre au moins 1 an pour atteindre le rythme de croisière. Là, sur un concept très spécifique comme celui des Fauvettes, on se fixe au moins 3 ans. Cela ne fait même pas 1 an que nous sommes ouverts. On a encore du pain sur la planche. Après, il faut avouer que nos séances événementielles marchent très bien. Mais en séances standard, les chiffres sont plus compliqués pour nous. Quand on a La Grande Vadrouille ou Fargo, une séance moyenne, sans journaliste, sans invité, sans talent, nous avons encore un peu de mal à remplir nos sièges. Mais ça va venir.

Il y a quand même une petite croissance depuis le début, non ?

Ça dépend vraiment. On a bien marché en janvier avec Tarantino. James Bond en février, c’était bien aussi. Après on a eu un cycle David Lean, ça n’a pas du tout fonctionné. Polanski, vraiment moyen… Donc en fait on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre. Ce n’est pas toujours facile de savoir ce que les gens attendent. Le début d’année était bon, puis on a eu un petit creux mais le cycle Almodovar a bien remonté le nombre de visites. Maintenant, on verra bien à la rentrée !

Finalement, la programmation dépend quand même beaucoup de ce qu’il se passe autour. Vous parliez de James Bond, mais il y a l’exposition à la Villette. Tarantino, c’était pour la sortie des Huit Salopards. Almodovar, vous l’avez fait au moment du Festival de Cannes où Julieta était très attendu.

Oui, évidemment on essaie de surfer sur les actualités. Des fois ça prend, des fois ça ne prend pas. Finalement, c’est comme les films normaux. Les distributeurs ne savent jamais si le film va être un vrai succès ou un flop. Il y a des bides inattendus. Mais cela fait aussi le charme du métier, vous savez. On ne sait jamais vraiment ce qui va arriver, ce qui va fonctionner et ce que le public va aller voir.

Vous pensez que le téléchargement ralentit vos nombres d’entrées aux Fauvettes ? Quand on a envie de voir un vieux film, aujourd’hui on pense plus facilement à l’avoir sur internet qu’à venir ici.

À mon sens, c’est aussi à cause de ça qu’en séance standard on ne remplit pas les salles. Dans ces séances, on n’a pas le « plus » qu’on a en séance événementielle qui fait que les gens se déplacent. Après, quand les gens viennent aux Fauvettes, c’est aussi pour vivre une expérience. À moins d’avoir un super home-cinéma chez soi, il faut avouer que le grand écran est toujours mieux. Il faut aussi bêtement penser que les Parisiens n’ont pas des espaces énormes pour projeter leur film. À vivre, le grand écran est toujours plus fascinant.

Propos recueillis par Estelle Lautrou

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Merci à Natalie Vrignaud d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Et n’hésitez pas à consulter régulièrement la programmation des Fauvettes sur leur site internet et à les suivre sur leur page Facebook pour avoir l’oeil sur tous leurs événements !

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