La Source (L'ancêtre du rape and revenge)

Par Olivier Walmacq

Genre : drame 
Année : 1960
Durée : 2h10

Synopsis : Deux bergers violent et assassinent une jeune fille. Les deux meurtriers s'enfuient et trouvent refuge chez un riche propriétaire terrien. Ils ignorent qu'il est le propre père de la victime.

La critique :

Est-il nécessaire de rappeler l'illustre carrière d'Ingmar Bergman ? Metteur en scène de théâtre, scénariste et cinéaste suédois, l'artiste est considéré comme l'un des plus grands réalisateurs de l'histoire du cinéma. On lui doit plusieurs grands classiques du noble Septième Art, entre autres, Le Septième Sceau (1957), Les Fraises Sauvages (1957), Persona (1966), Cris et chuchotements (1972), Scènes de la vie conjugale (1973) et Sonate d'automne (1978).
Vient également s'ajouter La Source, réalisé en 1960. En l'occurrence, La Source est souvent considérée comme une oeuvre mineure dans la filmographie d'Ingmar Bergman. A l'époque, le réalisateur est en plein marasme. Répudié et ostracisé par les critiques, le cinéaste semble avoir perdu sa fougue de jadis.

Selon la presse cinéma, La Source ne serait qu'un film "technique" réalisé par un virtuose de la caméra... Et pourtant, ce nouveau "cru" (c'est le cas de le dire) d'Ingmar Bergman va influencer plusieurs générations de cinéastes, notamment Wes Craven. En effet, en 1972, le maître de l'épouvante réalise La Dernière Maison du la Gauche, souvent considéré comme le tout premier "rape and revenge".
Profondément marqué et troublé par le film d'Ingmar Bergman, Wes Craven s'approprie le scénario de La Source. En outre, La Dernière Maison sur la Gauche reprend exactement la même structure narrative. Lui aussi situe son script et les inimitiés à l'orée d'une forêt. Pour de nombreux cinéphiles avisés, La Source serait donc l'ancêtre du rape and revenge. Certes, le film contient en effet tous les ingrédients d'un genre qui va connaître son apogée dans les années 1970.

Pourtant, avant d'être un rape and revenge, La Source est avant tout un drame familial avec une forte consonance religieuse, métaphysique et symbolique. A l'origine, le long-métrage s'inspire d'une légende suédoise du XIVe siècle, qui raconte l'histoire d'une famille de paysans aisés et de leur fille adolescente. La distribution du film réunit Birgitta Pettersson, Gunnel Lindblom, Max Von Sydow, Birgitta Valberg, Axel Düberg et Tor Isedal. Attention, SPOILERS !
(1) Au XIVe siècle en Suède, Karin (Brigitta Pettersson), fille du plus riche fermier de sa région, apporte à dos de cheval pour les vêpres des cierges à l’église la plus proche. Chemin faisant, deux chevriers accompagnés de leur petit frère la violent, la battent à mort et la dépouillent de ses habits de fête sous les yeux d’Inger, sa sœur adoptive cachée non loin dans le bois.

Ignorant son ascendance, ils prennent refuge pour la nuit dans la ferme de ses parents. (1) Si La Source a effectivement inspiré la mode du rape and revenge, en particulier La Dernière Maison sur la Gauche, le film s'inspire lui-même du scénario et du tournage de Rashomon (Akira Kurasawa, 1950). A travers La Source, Ingmar Bergman pose déjà le décor symbolique de tous les rape and revenge qui sortiront dans les années 1970 : un décor naturel et en l'occurrence un cadre buccolique, néanmoins marqué par la présence d'un courant d'eau aux sinuosités incertaines, une jeune femme à l'existence pieuse mais guillerette au sein d'une famille bourgeoise, puis l'apparition impromptue de trois gueux psychopathes qui s'en prennent à la malheureuse. Certes, à priori, ce schéma narratif semble rudimentaire.

Pourtant, Ingmar Bergman parvient à transcender et à complexifier son récit. Ainsi, la première partie du film pourrait presque s'apparenter à un conte féérique, avec cette jeune demoiselle (Karine) qui s'aventure dans la forêt sur son fidèle destrier. Portant des vêtements de couleur d'albâtre, cette jeune femme prude symbolise évidemment la pureté, bientôt souillée par l'apparition de trois demeurés (deux hommes et un enfant). Dans un premier temps affables et courtois, les trois individus n'éveillent pas les soupçons de Karine. Cette dernière partage même le pain et ses victuailles avec ses trois nouveaux compagnons. Puis, la tension monte crescendo, jusque l'inexorable.
Les deux hommes se montrent de plus en plus oppressants et se jettent sur la jeune fille sous le regard hébété de l'enfant.

La scène est également visualisée par Ingeri, une jeune femme hystérique qui accompagnait Karine... Certes, la séquence de viol est plutôt élusive et dénuée de toute effusion sanglante. Pourtant, la scène est d'une violence inouïe, notamment dans la façon qu'a Ingman Bergman, de juxtaposer le décor à priori champêtre, aux lubricités de nos deux sauvageons. Karine se relève éplorée.
Elle scrute brièvement le ciel avant d'être assommée par l'un de ses agresseurs. Gisant dans le feuillage, la dépouille de Karine est laissée à l'abandon en pleine nature. Le conte féérique vient soudainement de se transmuter en tragédie infrangible. Les trois brigands viennent quémander l'aumône et un toit pour la nuit. Ils sont alors accueillis par Töre et Maretta mais ils ignorent que ces derniers sont les parents de Karine.

Très vite, Töre et Maretta s'inquiètent du comportement étrange de leurs nouveaux convives et ne tardent pas à les soupçonner de la disparition de leur fille. Peu à peu, l'étau va se resserrer sur nos trois psychopathes. Premier constat, le film repose sur plusieurs dichotomies fondamentales : une dichotomie entre le décor agreste et les faits perpétrés par nos trois jocrisses, une dichotomie entre cette jeune fille pudibonde et ses trois agresseurs qui suintent surtout la laideur et la sauvagerie, et enfin une dichotomie entre les principes ecclésiastiques des parents de Karine et la vindicte qu'ils appliquent sur les trois tortionnaires. Ingman Bergman opacifie son propos en multipliant les symboles, notamment par la présence d'un arbre puis d'une source qui jaillit de la terre lorsque le cadavre de Karine se retrouve dans les bras de son patriarche.

Le réalisateur est pleinement conscient de la gravité de l'acte (celui du viol évidemment...) et de ses corollaires, tous préjudiciables aux différents protagonistes. Tout d'abord, c'est le jeune enfant témoin de la scène qui perd l'appétit. Puis, c'est le comportement suspect de ses deux acolytes qui attise la curiosité de Töre et de sa femme. Enfin Geri, qui elle aussi a assisté passivement au viol, se transmue en jeune fille éplorée, révélant le meurtre aux parents de la défunte. 
Bref, vous l'avez compris. On tient là une oeuvre éminemment complexe, notamment dans les thématiques et les symboles qu'elle assène et déploie tout au long de son scénario. Tancé et vilipendé au moment de sa sortie, La Source retrouve néanmoins un regain de notoriété au fil des années. On tient probablement là l'un des meilleurs films de Bergman.

Note : 18.5/20

 Alice In Oliver

(1) Synopsis du film sur : http://www.dvdclassik.com/critique/la-source-bergman