Année : 1974
Durée : 1h53
Genre : Drame (interdit aux moins de 16 ans)
Réalisatrice : Liliana Cavani
Résumé
L'histoire se déroule à Vienne en Autriche en 1957. Max (Maximilian Theo Aldorfer), un ancien officier S.S., est portier de nuit dans un hôtel hébergeant d'anciens nazis. Lucia Atherton accompagnant son mari, chef d'orchestre, loge dans cet hôtel. Max reconnaît immédiatement en elle une ancienne déportée avec qui il eut une passion sadomasochiste. Lucia se trouve attirée par son ancien bourreau et redevient sa maîtresse. Cette liaison contre nature entre une ancienne victime et son bourreau se répète, obsédante, dramatique et névrotique. Les amants maudits sont traqués par d'anciens nazis qui tentent de faire oublier leur passé. Ils finiront par être abattus.
Mon avis
Et voici ma toute nouvelle chronique de retour de vacances. Et j'ai décidé de frapper fort. En effet, Portier de nuit est de ces films sulfureux et au parfum de scandale. De film d'auteur confidentiel, il est devenu célèbre à la fois par la polémique qu'il a engendrée et par ses (indignes) successeurs qui ont voulu surfer sur la vague. En effet, Portier de nuit a initié une série de films pudiquement (!) appelés Nazisploitation ou même Naziporn (si si !) dont le plus illustre (hum) représentant est Ilsa la louve des SS (ou la chienne, ça dépend). Et il est regrettable qu'on ne se souvienne de ce film que par ces films nauséabonds (et d'une nullité affligeante atteignant des sommets de la profondeur de la bêtise la plus crasse). Car Portier de Nuit n'est pas un film gratuit qui explore la relation bourreau/victime dans les camps de la mort à coup d'expériences médicales complètement délirantes ou de violence sexuelle gratuite à seul but voyeuriste. Il n'en reste pas moins un film perturbant, choquant psychologiquement.
Liliana Cavani avait interviewé de nombreuses victimes de l'Holocauste et l'une de ses victimes a reconnu que "ce que firent les nazis de pire, ce fut de révéler la part de mal qui est en chacun de nous". Attention, il n'est absolument pas question de négationnisme, une telle chose m'horrifie que des gens puissent nier les horreurs des camps de la mort malgré les preuves et les témoignages et accusent les victimes d'avoir formenté un complot. Mais, comme l'a souligné Primo Levi dans Si c'est un homme et les naufragés et les rescapés, pour survivre, certains ont dû renoncer à nos valeurs et à notre morale d'humain libre. C'est dont ce qu'il est question dans Portier de nuit, la fameuse zone grise évoquée dans Les naufragés.
Portier de nuit a été réalisé dans un contexte particulier, l'Italie des années 70, les "fameuses années de plomb" où des attentats d'extrême gauche comme d'extrême droite ont secoué le pays rongé par la corruption et la mafia. A travers ce film, Cavani a voulu dénoncer à travers la métaphore du nazisme, les tentations du fascisme et une certaine redécouverte (et peut-être fascination morbide) du nazisme et de la tentation totalitaire. Comment ne pas citer ce passage symbolique du film où les anciens nazis veulent vivre en paisibles citoyens mais font le salut nazi de la façon la plus sérieuse et automatique qui soit ? Le film a été très violemment critiqué et même classée X en raison... d'une scène où Lucia chevauche Max dans une étreinte désespérée ! (On peut se demander ce qui a pu passer dans la tête des censeurs à part le fait que, je cite, "une femme qui chevauche un homme, quelle indécence !")
Pourtant, Portier de Nuit n'est absolument pas pornographique, très loin de scènes outrageuses d'un Ilsa ou même d'un KZ9 avec gros plan sur le sexe des personnages et autres scènes gores et bizarres.
Tout au contraire, les scènes restent très suggestives et sont étonnemment d'une pudeur sensuelle. Le propos n'est pas de délivrer une marchandise de voyeurisme malsain, mais bien de souligner le lien complexe qui peut unir une victime à son bourreau. On ne peut que penser au syndrome de Stockholm. Concernant le film lui-même, on y retrouve la jeune Charlotte Rampling (Lucia) en amante troublée et troublante, tour à tour ange maladif aux cheveux courts ou jouant sensuellement la bête traquée, et un Dirk Bogarde (Max), tourmenté et torturé par son passé de tortionnaire SS et ne pouvant nier sa passion destructrice avec Lucia.
Ils incarnent avec brio le thème des amants maudits. Roméo et Juliette trouve ici un La célèbre scène où Lucia chante et danse du Dietrich, seins nus et vêtue du pantalon et de la casquette SS est évidemment l'essence même du film et, pour moi, l'une des scènes érotiques (si j'ose dire) les plus magnifiques qui m'est été donnée de voir.
Liliana Cavani en appelle à Mozart et sa flûte enchantée pour retranscrire les souvenirs atroces de la détention de Lucia et des tortures qu'elle a subies dans le camp. Les éclairages sont au diapason, passant de couleurs froides d'une Vienne déserte et étrangement silencieuse à des couleurs bleutés et verte dans les flash back. La noirceur des personnages, en particulier les anciens nazis qui entourent Max, n'est contrecarrée que par la sincérité qui lie Max et Lucia dans leur quête désespérée de se sentir vivre. En effet, tous deux ont ressenti des sensations si extrêmes du pouvoir, de la domination et de la souffrance qu'ils ne peuvent que vivre une demie vie après leur expérience passée.
La tragique conclusion de leur relation est le fruit d'une logique implacable. Leur relation avait voué dès le départ à la destruction de leurs êtres.
Il est à noter que ce ne fut pas un hasard si Liliana Cavani choisit Rampling et Bogarde, remarquables dans le drame Les Damnés de Visconti qui, ô chose curieuse, évoque comme par hasard la décadence d'une famille lors de l'ascension d'Adolf Hitler et, plus précisément, tout commence le soir où le dictateur devient le maître de l'Allemagne. La perversité des relations entre les personnages dans les Damnés va beaucoup plus loin dans Portier de Nuit, souligné par cette réplique d'un des anciens nazis : "On ne vit en paix qu’une fois en accord avec ses amis et les règles établies" mais n'a aucune hésitation à éliminer toute personne pouvant les compromettre, contredisant cette profession de foi.
On peut considérer Portier de nuit comme en continuité avec l'oeuvre de Visconti (qui fut d'ailleurs parmi les réalisateurs à se dresser contre la censure de Portier de nuit).
Autre chose à souligner, le choix du thème musical qui n'est pas non plus choisi par hasard, La Flûte enchantée de Mozart qui raconte le parcours initiatique de Tamino qui veut conquérir Pamina à travers une série d'épreuves. Pour se retrouver à nouveau, Max et Lucia devront eux aussi Tout comme lorsque Lucia danse et chante du Dietrich (là aussi présente en tant que idole homo-érotique des SS), clin d'oeil évident encore et toujours envers le film qui a permis à Portier de Nuit d'exister.
Inversion des rôles. Là où Helmut Berger était travesti en femme, Lucia a revêtu les oripeaux SS, du mâle, et prend le pouvoir. Savante reprise du mythe de Salomé ouvertement évoqué puisqu'elle obtient en récompense la tête d'un autre prisonnier qui la tourmentait. A partir de ce moment, le film change. Enfermés de nouveau, cette fois dans l'appartement de Max, leurs dérélictions les amènent inévitablement à la mort, seule issue possible à leur relation inacceptée et inacceptable.
Cavani connaît visiblement ses classiques et a su les réintrerpréter dans ce film. En conclusion, Portier de nuit est une petite perle de romantisme noir très anti-romantique. C'est un film plus que jamais d'actualité qui nous rappelle les dangers et les conséquences de l'oubli mais aussi du fascisme quelque soit la forme qu'il revêt. Deux ans après ce film, sortait le génialissime Salò ou les 120 Journées de Sodome du non moins génie Pier Pasolini qui le vrai et digne successeur de Portier de nuit.
Ma note (au risque de choquer) : 17/20
Seconde Chronique :
Aujourd’hui, j'ai décidé de vous parler d’un film culte des années 1970, un film scandale qui déchaîna la polémique à l’époque. Ce film, c’est Portier de Nuit réalisé par Liliana Cavani. En réalité, ce film est devenu célèbre car il a involontairement été l’initiateur de la nazisploitation. Quelque part, c’est dommage que l’on ne se rappelle du film uniquement pour ça. Car en effet, Portier de nuit est loin d’être un banal film graveleux. C’est une œuvre complexe, profonde et osée car elle aborde des sujets encore tabous aujourd’hui. Attention SPOILERS !
A Vienne en 1957, Max est portier de nuit d’un hôtel de luxe. Il fait bien son boulot et satisfait la clientèle. Cependant un jour, aux portes de l’hôtel Max voit, surgir un fantôme du passé, Lucia. Cette dernière est en voyage avec son mari, un chef d’orchestre.
En réalité, Max fut jadis un officier SS dans un camp de concentration et Lucia qui faisait partie des prisonnières fut son jouet sexuel. Tous deux eurent donc une relation sadomasochiste. Les deux anciens amants se reconnaissent et des images du passé ressurgissent. Parallèlement, Max est lié à un groupe d’anciens officiers nazis qui se serrent les coudes et mettent tout en œuvre pour éliminer les preuves et les témoins de leur passé. De son côté Lucia demande à son mari de quitter Vienne sans lui révéler ses raisons. Mais quand ce dernier s’absente, elle se retrouve seule avec Max.
Le couple renoue alors sa relation amoureuse sado-maso. Cependant, les amis de Max savent que Lucia est de retour et la voient alors comme une menace qui pourrait révéler leur passé. Max sait que Lucia est en danger de mort et a bien l’intention de la sauver. Portier de nuit est donc un film qui, par son histoire, avait forcément vocation à créer le scandale. Beaucoup de gens ont vu à travers ce film une provocation !
Pourtant, Portier de nuit n’est pas un film gratuit, c’est au contraire une œuvre ambitieuse, profonde et intelligente. Tout d’abord, évoquons la forme du film. Liliana Cavani, réalisatrice italienne, signe ici ce qui est probablement son chef d’œuvre. La mise en scène est très travaillée, on peut notamment évoquer la scène du manège ou celle de l’officier nazi dansant avec virtuosité devant ses collègues dans la salle d’un camp de concentration. Bien sûr, la scène la plus célèbre reste celle où Charlotte Rampling chante Marlène Dietrich, déguisée en SS. Bref le style est de mauvais goût mais un mauvais goût subtil et léger. Le film alterne donc entre la Vienne luxueuse des années 1950 et les camps de la mort vus au travers des flashback, ce qui lui confère une certaine qualité esthétique. C
eci dit, ne cherchez pas une vision ultra réaliste des camps, ce n’est pas là le but du film. Seul bémol, des longueurs dans certaines scènes.
Ensuite, Portier de Nuit peut s’appuyer sur un très bon casting. Dick Bogarde est remarquable ! C’est un personnage magnétique qui dégage un charme incroyable et surtout en tenue de Nazi ! Quelque part, il pourrait avoir inspiré le personnage de Helmut Berger pour Salon Kitty en ce qui concerne le côté « Nazi beau gosse ». Bogarde parvient à créer un personnage ambigu et au final assez attachant. Honteux de ses actes passés, il ne cherche pas à se réhabiliter contrairement à ces anciens collègues. Il cherche une vie paisible qui lui permettra d’assouvir sa relation amoureuse avec Lucia.
Parlons donc de Charlotte Rampling, l’actrice sera à jamais marquée par ce personnage et sera par la suite condamnée aux rôles sulfureux. Elle livre elle aussi une interprétation remarquable. C’est sans doute le personnage le plus complexe.
Victime des camps de concentration, elle a été soumise aux délires et aux fantasmes sexuels de Max. D’abord effrayée par ce personnage lorsqu’elle le retrouve, Lucia réalise qu’elle a en réalité peur de ses pulsions et non de Max. C’est ainsi qu’elle finit par renouer sa relation avec Max, le tout sur fond de sadomasochisme, le but étant de retrouver la nostalgie de leur passé sombre. L’actrice est donc très convaincante. On retrouve aussi Gabrielle Ferzetti au casting. Parlons maintenant du fond du film. A première vue, Portier de nuit apparaît surtout comme un film psychanalytique mais c’est bien plus que cela. En vérité, le vrai débat de Portier de nuit, c’est l’après guerre.
Liliana Cavani analyse ici la fascination inavouée pour le mal des sociétés d’après guerre. Cette fascination est représentée ici par l’acte sexuel, le sadomasochisme, le fétichisme nazi. Quelque part, Portier de nuit semble nous parler des nouvelles sociétés dans lesquelles l’être humain ne retrouve plus que ses sensations dans l’évocation du mal et de la souffrance du passé.
Un débat qui, des années plus tard et dans un style totalement différent, peut se retrouver dans le cinéma de Shinya Tsukamoto. Au final, cette relation sadomasochiste entre l’ancien nazi et l’ancienne détenue des camps de concentration apparaît comme positive et réellement sincère, contrairement au monde hypocrite qui entoure les personnages. Bien évidemment, le débat était osé pour l'époque, mais Portier de nuit peut se voir comme une critique des sociétés d’après guerre, à la fois formatées et déshumanisées. Le film fait office d'exutoire en exorcisant les souffrances du passé.
Une fois encore, Liliana Cavani analyse la noirceur de l’âme humaine et sa fascination pour le mal. Mais l’histoire est racontée avec beaucoup d’émotion. Portier de nuit est donc un film plus complexe qu’il n’y paraît et qui donne l’une des visions les plus originales jamais réalisées sur les conséquences de l’après guerre. A voir absolument !
Note : 16/20