À LA PESÉE !
Ils sont velus, ils sont tous là, dès qu'ils ont entendu ce cri : " C'est l'heure de la bataille des Kong ! ".
En effet, vont s'affronter sous vos yeux ébahis les trois King Kong les plus célèbres de l'histoire du cinéma : celui de Schoedsack et Cooper de 1933, celui de John Guillermin de 1976 et celui de Peter Jackson de 2005. Et comme ce grand gorille mythique n'est pas près de prendre sa retraite (on annonce un Kong : Skull Island pour 2017, et un Godzilla vs. Kong pour 2020), on s'est dit que ça valait vraiment la peine de se pencher sur lui (même si, vu la taille de l'engin, c'est plutôt lui qui va se pencher sur nous !).
ON VEUT DU CULTE !
Nous sommes en 1933. Les réalisateurs Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack décident de mettre en scène un film qui mêlerait exotisme, érotisme, onirisme et épouvante. Vaste programme ! Ainsi naît l'idée d'inventer King Kong, un singe gigantesque très amateur de blondes à fortes poitrines.
New York, années 30. Le réalisateur Carl Denham prépare un tournage sur une île paumée et mystérieuse au large de Sumatra. Il engage Ann Darrow, une actrice blonde, bien roulée et sans le sou. Tout le monde embarque à bord d'un rafiot et hop ! direction l'île du Crâne. En chemin, Ann noue une idylle avec un membre de l'équipage viril et musclé. Puis c'est l'arrivée sur l'île. Roulement de tambours. La joyeuse troupe accoste et interrompt une tribu indigène en pleine célébration païenne. Ça leur flanque un peu les miquettes alors ils retournent à bord.
Mais, la nuit venue, les sauvages enlèvent Ann et l'offrent à Kong, un gorille monstrueux. Celui-ci, pas habitué à voir du cheveu blond et de la gambette hollywoodienne, a le coup de foudre immédiat et lui arrache délicatement sa robe, histoire de la voir toute nue (scène mémorable qui fut longtemps censurée). Pendant ce temps, l'équipe du film part à la recherche de la jeune femme. Après plein de combats avec des bestioles préhistoriques (wtf ?), ils finissent par la récupérer, encore tremblante et hurlante. Et là, Denham décide de capturer Kong et de le présenter dans un spectacle inédit à New York. Sitôt dit, sitôt fait. Sauf que, le soir de la première, le singe se libère de ses chaînes et grimpe en haut de l'Empire State Building, non sans avoir à nouveau agrippé Ann entretemps...
Donc si quelqu'un découvre ce Là, attention les gars, on est dans du film-culte. Au moment de sa sortie, il a marqué les esprits par ses effets spéciaux révolutionnaires et l'aspect sulfureux de l'attirance de Kong pour Ann. Cependant, même le culte ça peut se prendre un méchant coup de vieux. Clairement, les effets spéciaux font bien rigoler aujourd'hui et ce Kong amuse plus qu'il n'effraie. L'actrice Fay Wray, très dénudée et très sexy, présente deux grands axes au niveau de son jeu : la peur et les braillements (ou vice-versa). Les bébêtes jurassiques ressemblent à des chaussettes animées. Quant à Kong, on dirait plus un homme déguisé en singe qu'un vrai gorille, et puis au long du film il change de look, de tête, de taille, un peu à la va-comme-je-te-rugis. King Kong aujourd'hui, il risque plus de se payer une bonne tranche de marrade qu'une pure tranche d'épouvante.
Ne tapons pas trop sur le ventre du primate rétro néanmoins. Cette œuvre conserve un charme suranné, elle est le reflet d'une époque cinématographique et, à ce titre, elle mérite sa bonne place dans toute vidéothèque qui se respecte.
MOI KONG, TOI JESSICA
Nous sommes en 1976. Le producteur Dino De Laurentiis souhaite créer un remake du King Kong de 1933. Il veut moderniser le mythe, en présenter une version plus émouvante et moins " monstrueuse " que l'originale. Il confie la tâche à John Guillermin.
L'intrigue reprend le fil narratif du premier film mais situe son récit au milieu des années 70. Ce n'est plus une équipe de tournage qui part à la recherche de l'hypothétique île noyée dans le brouillard mais une société pétrolière. La blonde en détresse ne s'appelle plus Ann mais Dwan, et elle est jouée par une jeune actrice débutante : Jessica Lange. Elle ne s'amourache pas d'un matelot mais d'un professeur animalier (incarné par un Jeff Bridges aussi barbu que Kong est poilu). La suite reprend la trame du premier Kong : arrivée sur l'île, enlèvement de la blondasse par les indigènes, offrande au Dieu-Singe, course-poursuite dans les bois pour la retrouver, capture du babouin, présentation à New York dans la liesse et la bonne humeur, évasion du babouin beaucoup moins dans la liesse et la bonne humeur et, pour finir, escalade nocturne de gratte-ciel.
Outre l'époque, ce Kong présente deux différences notoires par rapport à son prédécesseur. D'abord le singe ne grimpe pas en haut de l'Empire State mais en haut du World Trade Center (difficile, d'ailleurs, de revoir la scène sans un pincement au cœur). Ensuite, comme l'a voulu De Laurentiis, le scenario insiste sur le lien qui se noue entre Dwan et Kong. Certes, il la regarde quand même d'un œil égrillard et ne manque pas de la tripoter un peu salacement un soir de pleine lune, mais comme elle est bonne fille, elle ne lui en tient pas rigueur. Limite elle est touchée par l'affection que lui témoigne le quadrumane - une bonne fille, on vous dit ! Elle parle à Kong, lui raconte sa vie, crée avec lui un contact que ne créait pas du tout l'Ann de 1933. Grâce à cela, on s'attache vraiment au primate et on n'a pas envie qu'il lui arrive des carabistouilles. De Laurentiis avait raison, cela donne une dimension émotionnelle supplémentaire qui est intéressante.
Comment ce film-là supporte-t-il le passage du temps ? En fait, ça dépend. D'un côté il a des rides marquées. Notamment au niveau des effets spéciaux ou du côté à la fois très cul et très cucul du rôle féminin principal. D'un autre côté, ce film a des qualités qui le sauvent : une réal efficace, de très beaux décors extérieurs, une bande-son magnifique composée par mister John Barry himself, une ambiance seventies bien sympathique... Bref, on comprend sans peine qu'il ait ses fans inconditionnels.
Pour la petite histoire, le tandem De Laurentiis-Guillermin a sorti en 1986 une suite à ce King Kong. Dans King Kong II, le grand singe, ô joie, est ressuscité par une gentille toubib (jouée par Linda Hamilton qui s'est vue sarahconnorisée deux années plus tôt par James Cameron). Une bonne nouvelle n'arrivant jamais seule, Kong se voit doté d'une fiancée, une charmante lady Kong à mamelles, découverte par un aventurier à Bornéo. Le mignon petit couple s'enfuit alors dans les montagnes y vivre d'amour velu et d'eau fraîche...
Mais honnêtement, même pour les fans absolus de King Kong ou de Linda Hamilton, cette suite irregardable est à se mordre les cheveux de crétinerie... Même la bande-annonce est infecte.
MINESTRONE À LA SAUCE KONG
Nous sommes en 2005. Peter Jackson, qui vient tout juste d'en finir avec les hobbits et les trolls, décide de dépoussiérer le bonhomme Kong (il clame d'ailleurs partout que c'est le film de 1933 qui est à l'origine de sa vocation de réalisateur). Et youkaïdi youkaïda, nous v'là repartis sur l'île archaïque peuplée de créatures bizarres !
Pour l'intrigue, c'est exactement la même que celle du Kong de 1933. On a de nouveau les années 30, un Carl Denham ( Jack Black) réalisateur, une Ann Darrow ( Naomi Watts) au chômage, une île lointaine et sauvage, une offrande de blonde, des combats, des poursuites, un show à New York qui tourne mal, et enfin une visite gratos en haut de l'Empire State. Jackson pousse l'hommage jusqu'à reprendre le même design pour le générique, et il truffe son film d'allusions appuyées au long-métrage en noir et blanc.
Toute la première partie est réussie : la reconstitution du New York thirties tient la route, c'est beau, c'est bon, on s'y croirait. Et puis, on arrive sur l'île et là ça devient du grand n'importe quoi. Jackson prend des trucs à droite à gauche. Jurassic Park, Alien, La Nuit des Morts-Vivants, Godzilla, l'attaque des Monstroplantes : il ratisse large le mec, on trouve de tout dans son minestrone. C'est tellement laid pour les yeux que c'en est dérangeant. Et puis c'est long ! Il y a une bonne heure en trop. Les scènes entre Kong et Ann sont les plus touchantes, les plus poétiques, les plus esthétiques et les plus réussies.
L'incontournable séquence où Kong combat des T-Rex menaçant Ann est l'une des plus virtuoses en plus d'être une séquence-charnière : elle montre en effet le lien qui est en train de se tisser entre la belle et la bête puisqu'Ann, d'elle-même, se place sous la protection de Kong face aux méchants T-Rex.
Le reste ressemble à du remplissage. En outre, tout au long de son film, Jackson fait ce qui nous paraît être un puissant contresens. Là où les deux films précédents présentaient des Kong beaucoup plus humanoïdes que " gorilloïdes ", Peter J., lui, opte pour un Kong totalement numérisé, dénué de tout anthropomorphisme, vieux et couturé qui, du coup, ne regarde jamais Ann avec lubricité. Au contraire, il a avec elle un rapport platonique, amical, presque paternel. Or, toute la fascination que suscite King Kong, justement réputé pour être mi-homme mi-bête, tient à l'aspect sexuel non négligeable de l'histoire. Faire de Kong un genre de grand animal de compagnie, c'est sans doute bien pour un reportage de 30 Millions d'Amis, mais au cinéma ça casse grandement l'aura du mythe...
En conclusion, même si on respecte l'hommage sincère qu'a voulu rendre Jackson à Cooper et Schoedsack, son Kong était loin d'être indispensable...
Quant aux prochaines adaptations qui débarqueront bientôt, on émet juste le souhait que, pour une fois, l'histoire se finisse bien et que King Kong retourne sur son île sain et sauf, avec ou sans sa blonde...
POUR LES FLEMMARDS : Sans conteste, le vainqueur est le King Kong de John Guillermin. Il est celui qui réussit le mieux le subtil mélange de kitsch, de sensualité, d'émotion, d'exotisme et de grand spectacle qui fait toute la saveur de l'histoire du célèbre primate...