Personnages & emotions

Par William Potillion @scenarmag

Une réponse émotionnelle n’est possible qu’au-travers d’un investissement émotionnel dans les personnages.
Les dialogues, les situations, les événements déclenchent les émotions.

Mais sans cet investissement préalable du lecteur envers les personnages, les émotions ne peuvent être éprouvées.

Le premier interlocuteur est le lecteur

Même dans une histoire qui se concentre essentiellement sur l’action, le lecteur doit pouvoir être concerné par ce qui arrive aux personnages.

Ce sont les personnages qui font l’histoire ou qui peuvent la détruire. Un lecteur n’ira pas au-delà de la  séquence d’ouverture s’il ne s’implique pas dans l’histoire.
C’est-à-dire s’il n’est pas préoccupé par ce qui arrive aux personnages.

il est nécessaire de construire des conflits inhérents aux personnages. Mais il est certain aussi que si un personnage vit une vie sans incident, sans obstacle, sans entrave, il sera ennuyeux.

Faire ressentir des émotions, c’est faire en sorte que le lecteur s’inquiète vivement au sujet de quelque chose et que les enjeux soient forts.

La motivation du personnage au cœur du problème

Ce qui motive le personnage est ce qui le rend crédible.

Toutes nos expériences passées façonnent ce que nous sommes aujourd’hui. Il en est de même pour nos personnages. Chacun de nos personnages a besoin d’une motivation qui gouvernera ce qu’il fait dans le présent de l’histoire.

Il faut aussi qu’il ait connu un incident majeur qui alimentera cette motivation.
Quelle que soit la nature de ses expériences et comment le personnage aura réagi aux situations influenceront et détermineront ce qu’il pense, ce qu’il dit et comment il se comporte actuellement.

Ainsi, pour obtenir une réponse émotionnelle de la part du lecteur, le terrain doit être préparé. Il doit apprendre qui sont les personnages. Il doit comprendre pourquoi ils agissent et réagissent de la manière qu’ils le font.

Si votre héros agit d’une manière immorale, il peut être difficile d’en comprendre les raisons. Par exemple, si votre personnage fait preuve de lâcheté alors qu’il aurait pu sauver quelqu’un d’une mort effroyable dans un appartement en feu, cela ne passera pas auprès du lecteur s’il ne comprend pas la terreur qu’il éprouve face au feu.

Pour ce faire, le lecteur doit être au fait que votre héros a perdu plusieurs membres de sa famille dans un incendie.
Ainsi, nous pouvons comprendre son attitude, comprendre sa peur.

Et l’empathie s’installe. Tout comportement doit être expliqué par une motivation. Sinon, il sera jugé irrationnel et non crédible.

Une information parcimonieuse

Cependant, vous ne pouvez passer tout le premier acte à délivrer de l’information sur le passé de vos personnages. Trop ennuyeux !

Au lieu d’un personnage trop jacasseur, optez plutôt pour un comportement qui va impliquer votre lecteur.
Une jeune femme qui pleure devant la photographie d’un amant à jamais disparu implique davantage le lecteur que le discours d’une mère qui explique la détresse de sa fille.

Trop d’information sème la confusion. Pour éviter de diluer les informations précieuses, établissez dès le premier acte l’objectif du personnage principal et comment il pense pouvoir l’accomplir. Vous pourriez ainsi définir par quelques lignes de dialogues l’importance de cet objectif en fixant des enjeux importants.

Dans Rock, Stanley Goodspeed est chargé de désamorcer les missiles qui menacent la vie des touristes et celle de milliers de personnes de San Francisco. Son objectif est fixé et nous savons aussi comment il doit s’y prendre à l’aide de Mason.

Mais ce n’est pas suffisant pour charger cet objectif avec des émotions. Il manque un enjeu important pour Stanley. Cet enjeu est incarné par la petite amie de Stanley qui attend leur enfant. Cette fois, nous pouvons solliciter de la part du lecteur un engagement émotionnel envers Goodspeed.

Les informations sont ainsi distribuées de manière logique. Nous apprenons que Stanley est un spécialiste des armes chimiques. Puis, de retour chez lui après sa journée, nous apprenons que Carla est enceinte.
Nous digérons lentement les informations tout en faisant plus ample connaissance avec Stanley. C’est ainsi que ces informations parcimonieusement réparties et choisies permettent au lecteur de s’investir émotionnellement dans ce qui peut advenir à Stanley lorsqu’il sera sur le terrain.

Le passé des personnages influence toute l’histoire

Le développement des personnages, les conflits ainsi que la mise en place de votre histoire dépendent en grande partie du passé de vos personnages.

Afin de déterminer la motivation majeure du héros, vous piocherez dans le passé de celui-ci.
Ensuite, vous aurez besoin d’exprimer cette motivation. Ce sera dans l’incident déclencheur.

Une technique consiste à exciter la curiosité du lecteur. Vous donnez juste les informations nécessaires pour l’inciter à se poser des questions. Il veut savoir.
Lorsque l’empathie s’est réalisée, que le lecteur commence à ressentir des émotions qu’il partage avec le personnage, vous pouvez compléter la définition de votre héros.

Dans Un monde meilleur de Leslie Dixon d’après Catherine Ryan Hyde, le passé de Eugene Simonet est crucial à l’histoire.
Mais il ne sera révélé que lorsque ce passé deviendra important à la fois pour les autres personnages et pour l’histoire.

Voilà en quoi consiste cette technique narrative destinée à mettre en place des émotions.
Faire en sorte que les autres personnages aient besoin de connaître ce qui s’est passé dans la vie d’un personnage (avant le début de la fiction).
Si les autres personnages ont ce désir, le lecteur aura le même.

A la condition cependant qu’il éprouve une empathie certaine pour le personnage en question. Sinon quel intérêt aurait-il à se préoccuper de ce qui a  pu lui arriver avant ? Pourquoi serait-il concerné ?

Cependant, Il faut qu’il soit important pour les autres personnages que ces informations soient connues. Il faut donc préparer ce moment et ne pas hésiter à le retarder jusqu’au moment où cette vérité se doit d’être révélée.

Autre exemple d’application :

La nuit des fous vivants de George A. Romero et Paul McCollough

Lors d’une scène, un personnage nommé Deardra aperçoit la moissonneuse-batteuse de la ferme tourner en cercle dans le champ.

Dans une des didascalies, les auteurs précisent :
Lit up like a nebula against the night sky, the billowing dust cloud gives the combine an otherworldly aura. A killing machine circling for prey, the thresher a gaping mouth of giant spinning teeth.
Illuminé comme une nébuleuse sur le ciel nocture, le panache du nuage de poussières donne à la moissonneuse-batteuse une aura surnaturelle. Une machine tueuse maraudant à la recherche d’une proie, à la bouche béante de dents géantes tournoyant.

Cette didascalie tente de communiquer au lecteur le point de vue de Deardra. Les émotions ressenties passent par le personnage.

Puis Deardra n’obtenant aucune réponse décide de rejoindre son mari qu’elle pense assis aux commandes de la machine.
Mais personne ne s’y trouve. Après un court moment de surprise de Deardra où elle reste immobile enrubanné de mouvements et de bruits assourdissants, elle stoppe la machine.

Soudain, le silence. Notez le contraste avec la scène précédente emplie de fureur. De nouveau, les auteurs préparent les émotions futures. Pour l’instant, seuls le chant des cigales et le balancement des épis de blés sous le vent traduisent une sorte de répit dans l’attente d’un événement annoncé.

Il faut faire fluctuer la tension dramatique afin de permettre au lecteur de reprendre son souffle.
Mais nous sommes encore dans une phase d’interrogation. Il manque quelque chose.

C’est alors que Deardra entend un cri à glacer le sang. Celui de son fils.
A partir de ce cri de terreur, l’enjeu pour Deardra est de taille. La vie de son fils en dépend. Elle se précipite à perdre haleine vers la ferme.
Puis un second cri. La tension monte et cette fois, le lecteur est véritablement concerné. Il comprend la course effrénée de Deardra.

Le lecteur ne réfléchit plus. Il succombe à ses propres émotions. Les mêmes exactement qu’il partage avec Deardra par empathie.

Quand l’empathie s’installe, tout est permis

A bout de souffle, Deardra pénètre dans la maison plongée dans la pénombre. Elle stoppe à l’entrée alors qu’une chape de silence s’écrase sur ses épaules.

Seule, à l’étage, une lampe oscille comme le balancier d’une horloge comtoise projetant alentour des ombres étranges.
Lorsqu’un lien émotionnel est établi avec le personnage, il est facile alors de susciter d’autres émotions telles qu’une peur infantile.

Pour renforcer le contact entre le lecteur et Deardra, les auteurs précisent que le jeu d’ombres et de lumières de l’ampoule vacillante se reflète sur le visage du personnage.
Et il est alors précisé que
No sane person would up go there, except a mother for a child.
Aucune personne censée ne monterait, exceptée une mère pour son enfant.

C’est ainsi qu’une personne censée fuirait. Mais Deardra va faire le contraire.
Et nous le comprenons.
Nous ne jugeons pas son acte irrationnel car la vie de son enfant est en jeu. Il n’y a pas d’enjeu plus important dans ces conditions.