Une suite efficace pour l’équipage de l’Enterprise, qui perd en singularité ce qu’elle gagne en amour pour ses personnages et son univers.
Malgré sa promotion inquiétante voulant surfer sur l’arrivée de Justin Lin (réalisateur de Fast and Furious 3, 4, 5 et 6) aux commandes, Star Trek Beyond (ne me demandez pas de l’appeler Sans Limites, cette traduction est affreuse !) est pourtant un vrai film Star Trek, peut-être même le plus fidèle à l’univers créé par Gene Roddenberry depuis le début de la nouvelle saga lancée par J.J. Abrams. Le renouvellement nécessaire qu’a dû insuffler le créateur de Lost a pourtant conservé l’essence de l’une des plus grandes fresques de la science-fiction. Appel à l’aventure lié à des interrogations géopolitiques en corrélation avec son époque, Star Trek a su s’adapter à un XXIème siècle apeuré par l’extérieur de ses frontières et la menace d’un terrorisme aveugle en limitant l’exploration pour la préservation de la Terre, très présente dans les deux premiers volets. En somme, Abrams n’a fait que suivre avec panache les problématiques des blockbusters de SF contemporains, surtout avec l’excellent Into Darkness, où l’humain exprime sa peur de l’inconnu et sa volonté de protéger sa planète de potentielles invasions (comme dans Transformers, Man of Steel, Avengers, Independence Day Resurgence, et bien d’autres). Néanmoins, ses films ont également cherché à redonner une touche d’espoir, à motiver de nouveau le voyage spatial, la curiosité de l’homme et son besoin de se transcender. Avec ce nouvel opus, Justin Lin trouve le bon équilibre entre la continuité de la logique développée par Abrams et un retour aux sources dû en partie à la présence de Simon Pegg (interprète de l’ingénieur Scotty et geek devant l’Éternel) à l’écriture.
En effet, Beyond offre à la saga un récit plus posé que ceux d’Abrams, spécialiste des scénarios à tiroirs renouvelant constamment leurs péripéties. Il s’agit peut-être de la meilleure idée du film, en même temps que de son défaut principal. Loin de l’esprit défensif initié par les deux premiers volets, il est cette fois-ci question d’une mission sauvetage dans une nébuleuse inconnue, piégeant les membres d’équipage de l’USS Enterprise sur une planète hostile après la destruction de leur vaisseau par un étrange essaim de modules ennemis. En s’inspirant de la forme d’un épisode de la série originale, ce volet ne divague jamais pour rester concentré sur ses protagonistes, tout en parvenant à suggérer l’étendu de l’infini par une mise en scène ample et quelques références à un ailleurs. Néanmoins, il manque à Lin l’élégance de son prédécesseur quant à la fluidité de sa structure. Là où Abrams développe ses personnages et leur synergie au sein même de l’action, jouant sur les facultés et les différences de chacun dans des moments d’urgence, son successeur est piégé par une écriture plus mécanique, se forçant à des moments de pause afin de s’attarder sur le background de ses héros, à commencer par Jaylah (Sofia Boutella), nouvelle venue maline et badass elle aussi échouée sur cette planète qu’elle souhaite quitter. Mais le principal touché par ce syndrome n’est autre que Krall, l’antagoniste interprété par un Idris Elba tentant au mieux de rendre charismatique un personnage qui ne gagne d’intérêt qu’avec le troisième acte et les révélations délivrées à son sujet.
Ainsi, si Beyond souffre d’un aspect un peu routinier, il puise sa force de sa prédominance de l’humain sur l’action, fait assez rare pour des blockbusters de plus en plus calibrés pour déborder de péripéties. Lin redynamise la question du travail d’équipe avec une partie de son deuxième acte, où les membres de l’équipage se retrouvent disséminés en divers groupes (Spock/Bones, Kirk/Chekov, Sulu/Uhura et Scotty/Jaylah). Au-delà de développer quelques beaux instants d’intimité, notamment quand le rationalisme de Spock fait face au cynisme de Bones, le cinéaste insuffle immédiatement une sensation de manque, de vide dans des décors où seuls quelques corps s’égarent. Le casting existe comme une entité, où chaque personnalité se complète avec celle des autres. Visuellement, le réalisateur le traduit avec un vrai sens du détail, même au sein de ses scènes les plus spectaculaires, s’attardant sur des mains crispées dans une scène de tension, sur un pied battant la pulsation à l’écoute d’un morceau des Beastie Boys, ou encore sur les yeux émus de Jaylah lorsque son vaisseau quitte enfin ce monde qu’elle rêvait de fuir. Cette victoire du collectif à l’heure où même le cinéma populaire prône l’individualisme, voire l’affrontement (Batman V Superman, Civil War) pourra être critiqué par les plus cyniques pour sa bien-pensance, mais Justin Lin l’aborde avec le plus grand naturel, rappelant que la beauté de Star Trek réside dans son utopie pacifiste mise en danger par une volonté de guerre permanente, ici explicitée par le plan de Krall. La science-fiction offre la possibilité de nous imaginer ne plus reproduire les erreurs du passé, de privilégier un progressisme qui n’a pas besoin d’être appuyé pour être accepté, à l’instar d’un couple homosexuel présenté en une poignée de plans.
Néanmoins, cette problématique de l’évolution est également la plus grande contradiction de Star Trek Beyond, puisqu’il est l’épisode le moins original et le plus ouvertement rétro d’une saga fière de son héritage, au point d’en appeler une dimension parallèle pour renvoyer à la série d’origine. Nous évoquions plus tôt dans l’année avec 10 Cloverfield Lane l’humilité de la « patte Abrams » par rapport à ses inspirations, mais surtout son sens de l’artisanat et du savoir-faire érigés comme modèles d’un cinéma immersif toujours pensé pour le plaisir du spectateur, et avec la volonté de ne jamais se moquer de lui. En soi, ce nouveau Star Trek répond parfaitement à cette charte. Justin Lin a beau reprendre de nombreux effets de style de son producteur (la caméra débullée, les lens flares), il démontre à nouveau sa maîtrise du rythme et de l’espace, tout particulièrement lors d’une poursuite finale sur plusieurs niveaux, floutant le rapport entre premier et arrière-plan dans une mise en scène à la tridimensionnalité spatiale bluffante. Cependant, on peut s’interroger sur la volonté du film de renouveler son univers, alors même qu’il est désormais libéré des contraintes pesantes d’un reboot qu’Abrams a su aborder avec malice. Il serait pour autant malhonnête de ne pas constater que cette remise en cause est au cœur même du scénario, prenant pour point de départ les doutes existentiels de Kirk et Spock (toujours joués avec justesse par Chris Pine et Zachary Quinto). Le premier est sur le point de devenir plus âgé que son père – figure exemplaire de Starfleet s’étant sacrifié pour son équipage – ne l’a jamais été, tandis que le second apprend la mort de son lui alternatif dans un hommage sobre et émouvant à Leonard Nimoy. Comment vivre après ses figures tutélaires ? Telle est la question que semble poser une grande partie des productions Abrams dans leur revival de licences et de genres ayant forgé la cinéphilie du réalisateur. Si ce dernier a réussi à prouver qu’il pouvait transcender ses inspirations avec des bijoux comme Super 8 ou Star Trek Into Darkness, il fait aujourd’hui face à son propre impact sur les générations futures après avoir ressuscité son plus grand amour de fiction (Star Wars). Que vaut-il en tant qu’artiste propre, délaissé de tous ses modèles ? Cette interrogation trouvera probablement sa réponse avec le temps, même si nous avons déjà affirmé qu’Abrams sera sans nul doute un mécène important pour un cinéma de genre exigeant (cf. notre critique de 10 Cloverfield Lane). D’un autre côté, difficile d’en vouloir à l’optimisme d’un homme persuadé du pouvoir universel, et donc immortel, de certains univers. Beyond questionne d’ailleurs ce lien entre répétitivité et lassitude, alors que ses héros perdent foi dans une mission par essence impossible à conclure (explorer l’infini). Mais leur aventure est là pour qu’ils retrouvent leur motivation. Il n’est pas étonnant que le plan final, décrivant la reconstruction de l’Enterprise, se fasse en time lapse. Le mythique vaisseau semble renaître comme par magie, tel un phœnix dont la flamme est perpétuée par le simple amour de ses fans, dont les créateurs font clairement partie. C’est cette sincérité, couplée à la modestie de l’entreprise, qui fait de Star Trek Beyond l’un des blockbusters les plus aimables et honnêtes de l’été, répondant à la seule prétention que devraient avoir les divertissements populaires : nous faire voyager, ou comme le disait si bien la série : « to boldly go where no man has gone before ».
Réalisé par Justin Lin, avec Chris Pine, Zachary Quinto, Simon Pegg…
Sortie le 17 août 2016.