Date de sortie 3 août 2016
Réalisé par Cristi Puiu
Avec Mimi Branescu, Judith State, Bogdan Dumitrache,
Dana Dogaru, Sorin Medeleni, Ana Ciontea, Rolando Matsangos
Genre Drame
Productions Roumaine, Française, Bosniaque, Croate, Macédonienne
Synopsis
Quelque part à Bucarest, trois jours après l'attentat contre Charlie Hebdo et quarante jours après la mort de son père, Lary (Mimi Branescu), 40 ans et docteur en médicine, va passer son samedi au sein de la famille réunie à l'occasion de la commémoration du défunt.
L'évènement, pourtant, ne se déroule pas comme prévu. Les débats sont vifs, les avis divergent.
Forcé à affronter ses peurs et son passé et contraint de reconsidérer la place qu'il occupe à l'intérieur de la famille, Lary sera conduit à dire sa part de vérité.
Cristi Puiu est né à Bucarest en 1967. Alors étudiant en cinéma à l’École Supérieure d’Arts Visuels de Genève, il réalise dans les années 1990 plusieurs courts métrages et documentaires. Passionné de peinture, de retour en Roumanie, il continue à peindre. En 2001, il réalise son premier long métrage, Le Matos et la Thune, road movie filmé à l’épaule dans un style quasi-documentaire. Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes, le film remporte plusieurs prix dans les festivals, notamment à Thessalonique. Lauréat de l’Ours d’or du meilleur court métrage à Berlin en 2004 avec Une Cartouche de Kent et un Paquet de Café, Cristi Puiu tourne ensuite La Mort de Dante Lazarescu, qui reçoit le Prix Un Certain Regard à Cannes en 2005, et de nombreuses autres récompenses. Il signe en 2010 avec le film Aurora le deuxième volet de la série Six histoires des banlieues de Bucarest.
Sieranevada est son quatrième long métrage.
Entretien avec Cristi Puiu relevé dans le dossier de presse.
Qu’est-ce qui vous a inspiré l’histoire de Sieranevada ?
C’était en août 2012, durant le festival de Sarajevo, j’étais chez moi. Mirsad Purivatra, le directeur du festival m’appelle et me demande si j’ai un scénario. Non, je n’ai pas de scénario, mais je vais en écrire un. Ce sera un huis clos. Il y aura de nombreux personnages.
Ce qui a amené le contexte d’une commémoration ?
En 2007 mon père est mort. J’étais au jury dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes. Je suis immédiatement rentré chez moi, et la première commémoration, qui a eu lieu juste après l’enterrement, s’est passée d’une manière très bizarre. Il y avait des personnes que je ne connaissais pas, des amis de mon père avec lesquels il buvait des coups, des voisins aussi. Je me souviens que je me suis engueulé avec une collègue de ma mère, à propos de l’histoire du communisme.
Comme dans le film avec ce personnage qui regrette le temps du communisme ?
Oui. Des années plus tard, j’en parle avec mon frère, je lui dis : "j’écris un scénario sur la commémoration de Papa, tu te souviens comme on s’est engueulés à propos du communisme ?". Mon frère qui avait participé à ce débat enflammé, me répond qu’il ne se souvient de rien. Pourtant la discussion a été si animée que cette femme a fini par quitter les lieux ! Je commence à exprimer ma version des faits à mon frère, qui persiste : "excuse-moi, mais je ne me souviens vraiment pas de ça". Ça m’a rendu malade, fou furieux, parce que je voulais qu’il me donne des détails supplémentaires. Ça m’a pas mal déprimé. Donc, parfois on retient ou on enregistre différemment les choses.
Les souvenirs, justement, la mémoire des faits sont au coeur de votre histoire. Une mémoire qui constitue et impose une société, comme celle que l’on voit dans le film ?
Au moment où on prend conscience de nous-mêmes, vers l’âge de dix ans, on est déjà éduqué, formaté par l’histoire de notre pays. On va voir les choses d’une manière déjà très balisée. Tout cela mène vers l’inertie. On est prêt à accepter une vérité donnée. On ferme les yeux face aux erreurs possibles.
C’est le prix pour devenir un membre de la communauté, en être accepté.
C’est très important pour vos personnages d’appartenir à la communauté ?
C’est une question de structure. Comme les abeilles, comme les fourmis, les humains vivent en communauté. Si l’on retire un élément de cette communauté, on doit tout reconfigurer. Tout va se recomposer. Quelqu’un meurt, et tout change pour les petites communautés que sont les membres d’une même famille. Il y a une lutte de pouvoir. On va chercher à savoir qui va finalement gagner ce pouvoir. Et chacun vient avec son propre discours, comme dans une campagne électorale.
Un discours qui peut aussi évoquer les grands événements historiques comme le personnage qui parle du 11 septembre 2001.
Il est perturbé par tout ce qui se dit autour de cet événement et il a raison de l’être dans le sens où il faut discuter de tout. Mais lorsqu’il construit son raisonnement avec des éléments dont certains sans doute conspirationnistes, trouvés sur internet, là il a tort. Plus généralement, on ne sait jamais qu’une parcelle de la réalité dans l’Histoire. On ne peut pas trouver de réponses définitives. Au fond, la fiction la plus présente dans notre vie, c’est l’Histoire, l’Histoire telle qu’on la raconte à l’école. Moi, je suis très bien placé pour parler de ça, parce que j’ai appris à l’école une certaine Histoire durant le communisme. Le Mur de Berlin est tombé quand j’avais vingt-trois ans. Avec lui une Histoire a disparu, et aussitôt une autre Histoire a surgi, une autre version des faits. Des choses que je ne connaissais pas, moi qui ai beaucoup aimé l’Histoire. J’étais vraiment bouleversé.
Le 11 septembre n’est qu’un prétexte pour parler de l’Histoire ?
Oui, j’aurais pu prendre la seconde guerre mondiale. Il se trouve que jusqu’au 11 septembre 2001, mes lectures portaient sur des témoignages des prisons communistes. Je voulais revisiter l’histoire communiste. Les communistes ont falsifié l’Histoire, avec un programme bien clair. Encore une fois, depuis, je pense que personne ne peut croire à une stabilité quelconque de l’Histoire, ni à une vérité immuable. Je crois que l’histoire de l’Homme bouge sans fin et que l’on doit perpétuellement effectuer des réajustements sur ce que l’on croyait être les événements du passé. Tout le temps, tout le temps, tout le temps. Car ce sont des approximations.
On est dans la confusion la plus totale. Aujourd’hui il y aurait peut-être une issue de secours, la foi. Mais je ne suis ni catholique, ni orthodoxe.... Mais même si on a tous beaucoup d’idées sur toutes les religions, en réalité on ne sait rien de la spiritualité. On ne fait pas ce chemin-là.
Vos personnages ne font pas qu’échanger, argumenter ou s’invectiver, ils s’intéressent aussi beaucoup à la nourriture, élément très important et très convivial du film !
Oui, et pourtant personne ne réussit à manger, finalement ! Le repas, c’est une ritualisation des choses, c’est compréhensible pour toutes les cultures car c’est présent dans toutes les cultures. Il y a la table, on s’y retrouve. Pour simplifier, la récurrence de la table est une tradition, mais cela donne aussi un faux sentiment de solidarité. Il ne s’agit pas seulement de nourriture, de tout ce dont le corps a besoin, et qui dans le film devient urgent car ils finissent tous par avoir vraiment faim, non, ça devient urgent pour montrer que lorsqu’ils ont faim, ils oublient tout sentiment de solidarité, d’amitié. Cela dit, j’ai montré le film à des amis et ils étaient très contents, car ils avaient envie de manger après l’avoir vu.
Les rituels scandent votre film (préparation du repas, bénédiction du pope…), à quoi cela sert-il ?
Cela permet au débat d’être centré sur des sujets qui n’ont rien à voir avec la commémoration du mort, comme avec celle de mon père. En Roumanie, ça se passe comme ça : il y a l’enterrement, on se retrouve après. Puis on se retrouve à nouveau quarante jours plus tard pour commémorer une première fois. Puis un an après l’enterrement, on se réunit à nouveau. Et enfin sept ans plus tard. En ce qui concerne mon père, nous avons fait la commémoration des sept ans en 2014.
Pourquoi avoir situé pratiquement tout le film dans un seul lieu : un appartement ?
On vit dans un monde dont on connaît les limites. Ce qui veut dire que le film ne peut pas être conçu autrement que comme un monde en soi, géographiquement limité. C’est pour ça que l’espace est fermé, que cela se déroule dans un appartement en vase clos. Cet espace est la réflexion d’un miroir du monde à l’échelle réduite. Le jour comme la nuit : il y a les deux dans cet appartement. Il y a des pièces plus sombres, d’autres plus claires, avec des décorations différentes, comme des paysages. On ne peut pas s’échapper de cet appartement comme on ne peut pas s’échapper de la planète. Donc il faut assumer et entrer dans toutes les pièces, aller au-devant de l’Autre. La chose la plus importante alors, c’est la rencontre avec l’Autre. Il y a un sens à tout cela. Créer un monde alvéolaire sans communication où chaque individu est enfermé dans sa bulle, sans savoir qu’il y a un autre, ou aller à la rencontre des autres, choisir parmi cette alternative peut tout changer.
Et quand un personnage hésite à entrer dans une pièce ?
Il décide d’arrêter la réflexion au moment où ça l’arrange, d’une manière artificielle. Il s’arrête sur le palier du confort. Dès que ça devient inconfortable, on n’y va pas, et là il y a plein de questions qu’on se pose, et qu’on n’ose pas soumettre, débattre… L’appartement permettait d’exprimer tout ça.
Il a été difficile à trouver ?
Avec l’appartement, des choses étranges se sont passées. On a trouvé un logement dont le propriétaire venait de mourir, et le jour où je l’ai visité, on commémorait les quarante jours de sa mort. Cet homme habitait avec ses deux chats. Il est mort, il a laissé les chats dont un qui pleurait. C’était un appartement envahi par la poussière, les poils et les toiles d’araignée, un lieu sans doute intouché depuis longtemps. On a gardé beaucoup d’éléments d’origine pour le film, dont une grande partie du mobilier, des tableaux et même la photo du propriétaire que l’on peut voir à certains moments. Le grand avantage de ce lieu était que l’on pouvait imaginer la trajectoire des personnages dans un espace où très vite on intègre les frontières, les limites de chaque pièce qui renferment toutes un monde. Tout un concert de portes qui s’ouvrent et qui se ferment. Les portes sont très présentes dans le film. Ce ne sont pas seulement des portes qui s’ouvrent pour laisser passer, ce sont des portes qui enferment aussi, qui empêchent. Cela construit visuellement mon histoire.
Il y a aussi un travail sur le son que font ses portes, et la résonance en général de cet appartement.
Le premier plan du film est très important parce qu’on entend des choses et pas d’autres, ce qui oblige le spectateur à construire l’histoire avec l’information parcellaire dont il dispose. À l’intérieur de l’appartement, les portes ouvertes ou fermées produisent exactement le même effet : ça on l’entend, ça on ne l’entend pas. Ce sont des bouts d’histoires, des bouts de paroles, avec lesquels on compose des événements. Et on en revient toujours à cela, dans la vie, on ne détient pas toute l’histoire, l’histoire de la communauté ou l’histoire d’un événement personnel. C’est un puzzle mais la plupart des pièces nous manquent, et quand je dis la plupart des pièces, c’est qu’on a seulement dans nos mains une poignée de pièces issue de la montagne de pièces que représente l’histoire de l’humanité. Nous n’avons à notre disposition que des pièces disparates et nous allons supposer qu’entre ses pièces il faut tout imaginer, c’est ça la fiction. La fiction de notre vie, notre histoire personnelle, et nous sommes convaincus de détenir toute la vérité.
Pourquoi avoir choisi une caméra en permanence à hauteur d’hommes ?
Le cinéma permet de faire en sorte, de manière tacite, que la place du spectateur soit celle de la caméra. C’est très intéressant parce que chaque spectateur pense que c’est lui qui voit l’histoire. On se trouve dans la peau de l’observateur. C’est très drôle. La caméra est donc un homme invisible, ou dans le cas de mon film : le mort ! Moi j’ai des choses à régler avec la mort, et là je me suis dit : "c’est l’histoire idéale !". Dans la tradition orthodoxe, l’âme du mort est en liberté pendant quarante jours, elle bouge. Je me suis posé la question de comment faire pour raconter l’histoire à travers les yeux du mort qui circule ? En mettant la caméra à la place du mort, cet homme invisible. C’est ce que j’ai voulu voir, c’est le regard du mort.
Qu’est-ce que ça veut dire le regard du mort ?
C’est le regard d’un homme qui a ce privilège de dire au revoir d’une manière silencieuse à ceux qu’il laisse derrière lui, c’est-à-dire les observer. Comment regarde-t-on les choses en sachant qu’on ne va pas revenir ? Qu’est-ce qu’on va regarder ? Ou pas ? Les sentiments que je souhaitais obtenir alors, c’était l’émotion, c’était la curiosité, mais aussi une sorte de déroute de la caméra. J’imagine que les choses sont comme ça.
Comment interpréter votre titre Sieranevada ?
C’est venu d’une réflexion : "pourquoi selon les nationalités change-t-on les titres du film ?" Ça m’énerve tellement. Au départ je me suis même dit : "je vais faire moi-même les titres pour chaque langue". Et puis j’ai tranché pour un titre qui ne peut pas être changé. Ce qui est intéressant dans Sieranevada c’est de voir que le nom habituellement est séparé : Sierra Nevada. Mais en roumain normalement, c’est en un mot, comme quand on le prononce. J’ai altéré le titre en y mettant un seul "r", pour qu’on me dise : "mais ça ne s’écrit pas comme ça". Alors comment ça s’écrit ? Et en japonais ? Et en géorgien ? C’est complètement idiot, cela me fait penser à cette expression "le diable est un comptable".
Alors c’est un jeu, cette altération/intervention dans l’orthographe de Sieranevada ?
Le fait que le diable soit un comptable, que des gens comptabilisent et viennent me dire sur le tournage : "cela ne s’écrit pas comme ça", ça m’a plu. Mais la vérité, au fond, c’est que : on s’en fout ! Mais notre cerveau a un tel besoin de sens qu’il va construire du sens là où il n’y en a pas, où il n’y a rien. En réalité n’importe quel titre peut convenir, mais ça on ne peut pas le dire, donc il faut livrer un titre et c’est celui-là ! C’est une question personnelle, c’est un titre qui est apparu dans ma tête. Comment il est apparu ? Ça, c’est mystérieux, et beaucoup de choses sont mystérieuses.
Ce titre évoque effectivement du mystère, de l’aventure. L’aventure de la vie de ces personnages agités.
Oui, il fallait que cela parle d’un endroit, d’un espace. C’est la seule chose rationnelle qui m’a tenu jusqu’à la fin de ma recherche du titre. Le titre Sieranevada possède des résonances de western, même s’il n’y a pas de western célèbre qui porte ce titre. Ça évoque la neige, une autre langue : l’espagnol, la musique de cette langue. Sieranevada, c’est beau. Ça évoque enfin les chaines de montagnes enneigées qui ressemblent aux immeubles communistes, des chaines de blocs de pierre claires. Pour l’affiche roumaine du film, j’ai photographié ces chaines de blocs d’immeubles, ce monde alvéolaire avec ces fenêtres, sont autant de symboles du manque de confiance de la communauté des Roumains.
Mon opinion
Tourné essentiellement dans un petit appartement, bien réel, la mise en scène, parfaite, arrive à s'imposer entre portes qui s'ouvrent et claquent, sans cesse.
Le réalisateur a déclaré : "La caméra est un homme invisible, ou dans le cas de mon film : le mort ! ". Il faut supporter la première scène d'une longueur excessive et patienter un bon moment avant de savoir qui est est qui.
Étouffant pour la plus grande partie, ce film n'offre que quelques bouffées d'air venant d'un extérieur bien maussade et triste. Les plans séquences souvent trop longs et n'apportent pas grand chose. Ils restent les témoins d'un flot de dialogues dont certains sont savoureux, parfois drôles, à l'instar de certaines situations comme celles d'un costume trop grand, qu'il faut garder, puisque béni par un pope, ou une sérieuse altercation pour une voiture mal garée.
Le scénario survole des sujets difficiles parmi lesquels, la politique, celui de l'ancien régime en Roumanie, auxquels viennent s'ajouter l'adultère, les attentats du 11 novembre ou encore la situation au proche Orient, sans toutefois approfondir aucun d'eux. Compte tenu de la longueur, cela aurait été un plus.
La plus grande réussite de ce film, résolument trop long, reste sans contexte un casting remarquable.
Un autre avis, celui de Dasola en cliquant ici.