Date de sortie 31 août 2016
Réalisé par Philippe Lioret
Avec Pierre Deladonchamps, Gabriel Arcand, Catherine de Léan,
Marie-Thérèse Fortin, Patrick Hivon, Pierre-Yves Cardinal
Genre Drame
Production Française et Canadienne
"Le Fils de Jeann’est évidemment pas un film à énigme, mais il repose néanmoins sur une révélation que nous tous, comédiens, techniciens et moimême, faisons en sorte de ne pas dévoiler pour conserver intacte sa découverte par le spectateur.
Aidez-nous à la préserver. Merci d’avance."
Philippe Lioret
Synopsis
À trente-trois ans, Mathieu (Pierre Deladonchamps) ne sait pas qui est son père. Un matin, un appel téléphonique lui apprend que celui-ci était canadien et qu'il vient de mourir. Découvrant aussi qu’il a deux frères, Mathieu décide d'aller à l'enterrement pour les rencontrer. Mais, à Montréal, personne n'a connaissance de son existence ni ne semble vouloir la connaître…
Pierre Deladonchamps
Entretien avec Philippe Lioret relevé dans le dossei de presse.
D’où vient ce film ?
De la lecture du roman de Jean-Paul Dubois, Si ce livre pouvait me rapprocher de toi. C’est un grand livre, l’un de ses meilleurs. Je l’avais lu il y a longtemps et, même si je ne voyais pas quel film en faire, il m’en était resté quelque chose de fort et je n’arrivais pas à le ranger sur l’étagère. Après Welcome et Toutes nos envies, j’avais envie d’un film solaire et il m’est venu un point de départ qui n’est pas dans ce livre, mais que celui-ci m’a inspiré : celle d’un homme qui découvre qu’il a deux frères inconnus et veut les rencontrer.
Nous avons pris les droits du livre, mais je ne l’ai pas rouvert ; il n’a été qu’une source d’inspiration, un point de départ, donc. Mais sans lui, il n’y aurait pas de film. D’ailleurs, à la lecture du scénario, Jean-Paul m’a dit : “Faites le film, j’écrirai le livre après”. Pourtant, les fondements de son livre sont bien là, mais ce ne sont plus que des mots, comme des mots clés : père, découverte, fratrie, Canada, soeur. L’essentiel en fait. Mis à part le plaisir qu’ils procurent quand on les lit, les livres peuvent aussi servir à ça : inspirer. Les adapter littéralement est rarement possible et surtout assez vain car un bon livre peut susciter une impression de gigantisme qu’aucun écran, si grand soit-il, ne pourra jamais rendre. Et puis cette histoire existait
déjà. Il fallait aller ailleurs. Les personnages du Fils de Jean, je les connaissais bien. Ce garçon qui cherche une famille qu’il n’a pas connue et en trouve une autre de substitution, il m’accompagne depuis longtemps. Et paradoxalement, cette histoire-là, il n’y a pas mieux qu’un film pour la raconter. Le cinéma a une telle force d’immersion que, si l’on parvient à s’identifier aux personnages, ils nous embarquent avec eux.
Il y a une technique pour cela ?
Personnellement, je n’en ai pas. Je connais mes limites et, pour les dépasser, je travaille. Je sais juste qu’il faut emmener le spectateur dans un voyage qu’il n’a pas encore fait, alors je le fais d’abord moi-même. Pour Le fils de Jean, j’ai essayé de ne pas me cantonner à “raconter une histoire”, mais de faire en sorte qu’en suivant le parcours de Mathieu, Pierre, Bettina et Angie, il arrive un moment où l’on se sente à deux doigts de percer un mystère qui nous concerne. Je crois que les films qui m’ont troublé, touché et qui sont restés en moi, y sont parvenus grâce à cette sensation de proximité. Et aussi grâce à la rigueur et la simplicité apparente du récit. Alors j’essaie de faire en sorte que le film soit un témoignage que je vais partager. Que celui qui le regarde ait l’impression durable de vivre ces moments-là avec les personnages, d’être à leurs côtés et concerné par ce qu’il leur arrive. Qu’il puisse se dire : "J’y étais". Ma seule "technique" en écrivant le scénario, c’est de ne pas faire version sur version, mais d’avancer avec eux pas à pas. Et tant que les pages derrière moi ne me semblent pas abouties, je n’avance plus ; ça ne sert à rien de construire sur des fondations instables. Et puis, à force de vivre avec eux, il arrive un moment où l’on connait bien les personnages et où ce sont eux qui guident presque le récit, il n’y a plus qu’à les suivre, mais en ayant bien en tête que le moindre détail suspect peut détruire la valeur de l’ensemble ; les dialogues trop explicites, par exemple. "Le mot est dans le regard", disait je ne sais plus qui. C’est peut-être pour ça que ce scénario, même s’il était précis, était moins "vissé" que les précédents. Ce qui nous a donné, aux acteurs et à moi, la possibilité d’y apporter des changements de dernière minute ; j’ai parfois réécrit des scènes la veille de les tourner et, sur le plateau, les propositions nouvelles étaient les bienvenues. Il n’était pas question d’improviser, mais que les acteurs se donnent le droit d’inventer, comme des musiciens qui laissent des allitérations filer sous leurs doigts en oubliant la partition.
Comment avez-vous trouvé ces acteurs ?
Puis j’ai rencontré Pierre Deladonchamps et, dès nos premiers échanges, j’ai cru déceler cette part d’enfance en lui.
Il a aussi très vite posé les bonnes questions sur Mathieu et nous avons découvert ensemble la nature de cet homme. Après, il n’y avait plus qu’à tourner. Je l’aime beaucoup, il est sensible, impliqué, malicieux et son sens de l’humour m’a plu.
Les autres personnages étant canadiens, en écrivant je n’arrivais pas à me projeter, ni à les voir. J’ai visionné beaucoup de films québécois, jusqu’à tomber sur Le Démantèlement le magnifique film de Sébastien Pilote où Gabriel Arcand tient le rôle principal, un film que je vous recommande. Au bout de trois minutes, je savais que Pierre, l’ami de Jean, c’était lui. À tel point que je me souviens m’être dit (et ce n’est pas une formule) : “S’il ne peut ou ne veut pas le faire, je ne le fais pas”.
Il a un tel charisme et aussi une telle fusion instinctive avec son personnage, qu’il a rendu très beau ce type qu’on pourrait, au départ, prendre pour un lâche ou un salaud. Après lui, plusieurs semaines de casting à Montréal m’ont permis de rencontrer Catherine De Léan (la grâce, la fêlure et la beauté réunies) ; Pierre-Yves Cardinal (que j’avais vu admirable dans Tom à la ferme de Xavier Dolan) ; Marie-Thérèse Fortin, une merveille de subtilité (que sait exactement Angie et quand a-t-elle su ce qu’elle sait ?) ; Patrick Hivon… Tous des acteurs inouïs. Même s’ils sont francophones, ces “cousins” – tous des premiers rôles là-bas – sont aussi Nord-américains et ils ont l’engagement des acteurs anglo-saxons. Par exemple, Pierre (Gabriel Arcand) doit, dans le film, jouer une valse de Chopin. Gabriel avait commencé le piano à six ans et arrêté à neuf, et il en a aujourd’hui soixante-cinq. Devant la difficulté technique, je lui ai demandé d’apprendre la première mesure en pensant le doubler pour la suite. Après trois mois d’acharnement, il l’a jouée toute entière et très bien. Et Catherine a fait la même chose. Ils m’ont soufflé.
C’est aussi pour travailler avec ces têtes nouvelles que vous êtes allé au Canada ?
Non. Il fallait juste que ça soit loin et qu’on y parle français. C’était donc ça ou à Tahiti… Il fallait partir. Si Mathieu apprend que son géniteur vivait dans le Jura, son engagement pour aller rencontrer ses frères n’est pas le même. Là, il doit prendre l’avion et s’expatrier trois jours, c’est un acte volontaire qui laisse entendre une nécessité intérieure forte. Il débarque aussi dans un monde où les codes sont différents des nôtres et les découvre. Par ailleurs, le Canada est un pays “qui respire“ et cela contribue au voyage que nous allons faire avec le film. Le pays compte plus de deux millions de lacs, dont deux cent cinquante mille rien qu’au Québec. La nature y est un personnage. À ce propos, la scène où Mathieu et ses deux frères (qui ne savent pas qu’il est leur frère) cherchent le corps de leur père dans le lac est l’une des premières qui m’est venue ; c’est une image qui a été déterminante, mais il y fallait cette démesure de la nature.
Gabriel Arcand, Pierre-Yves Cardinal, Patrick Hivon et Pierre Deladonchamps
Le tableau légué à Mathieu tient une place importante, aussi…
Il s’appelle Jeune garçon les yeux au ciel. J’ai mis des mois à le trouver. J’ai d’abord pensé : pas de visage, rien d’identifiable. Alors quoi ? Une esquisse, un motif abstrait ? Je cherchais... Et puis j’ai fini par tomber sur ce tableau et il m’a saisi. Son histoire aussi m’a plu : on ne sait pas qui l’a peint. Sa cote n’est pas celle de son peintre, c’est la sienne propre. C’est un tableau unique… de père inconnu. Chez moi, ça vient souvent du père. Dans L’Équipier, dans Je vais bien, ne t'en fais pas. Même dans Tombés du ciel et dans Welcome, il est question de paternité. Je dois avoir un truc avec ça que je n’ai pas réglé. La famille, c’est d’abord le lieu du secret, le monde du silence.
Comment voyez-vous la relation entre Mathieu et Pierre ?
Pierre est un “ours chaleureux”. C’est un type qui a acquis une forme de sagesse. Il a par exemple, contrairement à Jean, tourné le dos à l’argent en abandonnant la médecine lucrative pour une autre qui l’est nettement moins. Il sait que l’argent “ça ne se mange pas”, et tout ça impressionne Mathieu qui, sans qu’il n’en dise rien, découvre un type qui lui plaît. Mathieu, lui, est un garçon déterminé. Il a traversé l’Atlantique pour voir qui sont ses frères et est bien décidé à les
rencontrer. Son obstination, son esprit vif et aussi la part d’enfance qu’il a en lui (nous y voilà) plaisent aussi assez vite à Pierre qui, malgré les problèmes que cela lui pose, se résout à l’aider. Mais les choses se passent très mal avec les frères de Mathieu et celui-ci trouve refuge auprès de Pierre, de sa femme, Angie et de leur fille, Bettina, qui pourraient même bientôt devenir pour lui une famille de substitution.
Jusqu’à cette découverte… qu’il serait bien dommage pour le spectateur de dévoiler ici.
Mon opinion
Le roman de Jean-Paul Dubois, "Si ce livre pouvait me rapprocher de toi" a été une source d'inspiration pour le réalisateur/scénariste.
Le film aborde un sujet grave, douloureux et essentiel, connaître ses racines. Tout en pudeur et réserve extrême la subtilité du scénario traite du secret, jusqu'à la toute fin du film et la révélation finale. Aucun pathos. Juste une exposition de faits.
Des plans d'une grande beauté. Quand le principal protagoniste, filmé de dos regarde le lac. Une autre encore, sur un balcon après une nuit trop arrosée, ou celle d'un regard insistant au travers d'un rétroviseur. Des scènes toutes simples et magnifiques.
L'autre réussite du film, vient d'un casting absolument remarquable. Pour ma part, la découverte de grandes actrices canadiennes. La très belle et convaincante Catherine Léan, et la non moins remarquable Marie-Thérèse Fortin. Deux jeunes acteurs, Pierre-Yves Cardinal déjà connu pour deux apparitions chez Xavier Dolan et Patrick Hivon.
Avec aussi le formidable Gabriel Arcand dans un rôle d'une grande intensité.
Et enfin Pierre Deladonchamps, de toutes les scènes. Il est surprenant. À la fois touchant, timide et déterminé il fait preuve d'un grand talent et bouleverse par son seul regard.