[Venise 2016] Jour 4 : (Re)construire l’Europe

Alors que l’Union Européenne vient d’être sérieusement ébranlée par la Crise Grecque puis par le Brexit, que les idées nationalistes gagnent du terrain dans de nombreux pays du “Vieux Continent”, que la question des frontières et des migrations de populations n’a jamais été aussi sensible, il est logique que certaines des oeuvres présentées à la Mostra s’interrogent sur l’avenir de l’Europe et les moyens de poursuivre la construction d’un projet commun, rassemblant les peuples et les nations.

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Avec Frantz, son nouveau long-métrage, François Ozon revient aux racines du rêve européen, en filmant les prémisses d’une réconciliation franco-allemande. L’intrigue, inspirée d’un long-métrage d’Ernst Lubitsch, L’Homme que j’ai tué,  se déroule dans une petite ville allemande, au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Adrien (Pierre Niney), un jeune Français vient se recueillir sur la tombe de Frantz, un allemand de son âge, mort dans les tranchées, quelque part dans la Marne. Les parents du défunt l’accueillent à bras ouverts. Adrien leur raconte sa rencontre avec Frantz, à Paris, où le jeune allemand poursuivait ses études, les leçons de violon qu’il lui donnait, les musées qu’ils fréquentaient. Ses visites redonnent un peu de vie et de couleurs à cette famille endeuillée, mais aussi à Hannah (Paula Beer, la révélation du film), la fiancée de Frantz. Ces jours heureux laissent entrevoir une possible réconciliation entre les deux peuples. Hélas, tout le monde ne se montre pas aussi accueillant. La population locale voit d’un mauvais oeil l’arrivée d’un français dans leur village. Tous ont perdu des fils, des frères, des amis dans ce conflit meurtrier que fut la Guerre 1914/1918 et éprouvent de la haine contre l’ennemi français, dont Adrien est l’un des représentants.
A cette haine s’ajoute la frustration et la honte de la défaite, qui alimente les idées nationalistes et les envies de revanche.
De l’autre côté de la frontière, les comportements sont assez similaires. On pleure ses morts en blâmant l’ennemi allemand et en exaltant l’esprit patriotique. Les blessures physiques et psychologiques de la guerre sont encore à vif. Il faudra encore du temps, et une seconde guerre mondiale, pour que les comportements changent et que naisse l’idée d’une Europe unie.

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Cette idée a fait son chemin, avec la création de la CEE, puis de l’UE, intégrant jusqu’à 28 états-membres. Mais qu’en est-il aujourd’hui? La question est posée par Jessica Woodworth et Peter Brosens dans King of the Belgians, leur nouveau long-métrage. L’intrigue se déroule dan un futur proche. La Turquie fait toujours les yeux doux à la Commission Européenne pour entrer dans l’Union. Pour renforcer les liens, la Belgique offre à la Turquie une réplique de leur Parc d’attractions, Mini-Europe et envoie son Roi, Nicolas III (Peter Van den Begin) assister à l’inauguration. Le service de communication du Palais y voit l’occasion de faire un documentaire sur le souverain belge, qui a besoin d’affirmer son autorité. Hélas, durant le voyage, les tensions opposant les communautés composant la Belgique ont repris de plus belle, induisant la déclaration d’indépendance de la Wallonie. Le Roi décide illico de regagner la Belgique pour tenter d’apaiser les tensions et sauver ce qui peut encore l’être. Mais une catastrophe naturelle oblige l’état Turc à annuler tous les vols au départ de leur pays. La seule solution pour Nicolas III et son équipe est de traverser l’Europe par voie terrestre, à travers les Balkans. Leur drôle de périple va les emmener de Turquie en Albanie, en passant par la Bulgarie, la Serbie, le Monténegro, un parcours qui ressemble beaucoup au parcours des migrants d’Afrique ou du Moyen-Orient désireux de s’installer en Europe, et qui évoque une page sombre de l’histoire récente de l’Europe, les conflits ethniques qui ont ravagé la Yougoslavie à la fin du XXème siècle.
Le film pose des questions essentielles sur l’avenir de l’Europe : comment réussir à construire une communauté avec des peuples aux coutumes aussi différentes? Comment intégrer les pays des Balkans et de l’Est européen alors que les précédentes tentatives d’inclure ces peuples dans une confédération ont échoué? Comment conserver une unité alors que le pays abritant le coeur de l’Europe, la Belgique, n’est même pas capable de faire cohabiter Wallons et Flamands? Comment réussir à mettre d’accord des Premiers ministres, des Présidents et des monarques, des majorités de Droite et de Gauche? Comment faire cohabiter des systèmes sociaux radicalement différents?
Le film évoque une possibilité peu exploitée jusqu’à présent : faire en sorte que les représentants des états se rapprochent davantage de leurs peuples, aillent à la rencontre de ceux qu’ils ne voient jamais et écoutent leurs problèmes. Et il invite les dirigeants des états membres à prendre leurs responsabilités et à proposer un nouveau modèle européen, plus solide et plus viable.
En tout cas, King of the Belgians a, lui, réussi à unifier les peuples européens (voire au-delà). Qu’ils soient italiens, français, anglais, allemands ou polonais, tous les spectateurs ont applaudi chaleureusement le film de Jessica Woodworth et Peter Bosens…

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Mais l’oeuvre qui symbolise le mieux l’Union Européenne cette année à la Mostra est probablement The Young Pope, mini-série produite par HBO et Canal +, réalisée par l’italien Paolo Sorrentino et joué par un imposant casting international : l’anglais Jude Law, la belge Cécile de France, la française Ludivine Sagnier, l’italien Silvio Orlando, l’espagnol Javier Camara, le bosniaque Daniel Vivian,…
Les abonnés de Canal + devraient la découvrir très prochainement sur leurs écrans de télévision.

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Le néerlandais Martin Koolhoven lorgne de son côté vers un autre type d’union, celui du cinéma néerlandais avec le western, genre typiquement américain.
Si on connaissait le western-spaghetti, voici donc le western-gouda. Et à vrai dire, le plat servi est assez savoureux. Brimstone est un film ample et généreux, qui raconte en quatre long et éprouvants chapitres l’histoire de Liz (Dakota Fanning), une jeune femme muette essayant de trouver sa place dans un univers dangereux, brutal et impitoyable. Ici, le Far West est montré dans toute sa sauvagerie. On y trouve des bandits prêts à tout pour quelques grammes d’or, des shérifs corrompus, des trafics d’êtres humains, des pères incestueux, des maris violents, des pasteurs psychopathes. Les filles sont violées, frappées, vendues à des proxénètes. Les enfants apprennent à tenir un fusil dès leur plus jeune âge et beaucoup finissent au cimetière avant la puberté. Les affrontements dégénèrent souvent en bains de sang, en incendies ravageurs, en exécution publiques… La démarche de Martin Koolhoven rappelle celle de son compatriote Paul Verhoeven, quand il s’était attaqué au film médiéval avec La Chair et le Sang. La violence des situations contraste avec la beauté des paysages et le contexte du récit, situé dans une communauté de migrants hollandais très pieux. Il faut dire que le psychopathe qui harcèle l’héroïne tout au long du film (Guy Pearce), est un pasteur ayant une conception très personnelle des commandements de la Bible…
Difficile de ne pas penser à un autre pasteur terrifiant, celui incarné par Robert Mitchum dans La Nuit du Chasseur, d’autant que le cinéaste rend hommage à plusieurs reprises au chef d’oeuvre de Charles Laughton. Mais on ne le dira pas trop fort, histoire de ne pas inciter à la comparaison. Evidemment, Brimstone ne possède pas la grâce ou la puissance poétique de ce grand classique. Mais c’est un western fascinant, qui nous tient en haleine de bout en bout, de morceaux de bravoure en trouvailles visuelles.
On regrettera juste que le cinéaste aille un peu trop loin en matière de grand-guignol, renforçant inutilement le côté sombre et sadique du récit. Beaucoup trouveront sans doute le film trop gratuit, trop complaisant vis à vis de la violence et de la perversion. Les amateurs de cinéma de genre y trouveront sûrement beaucoup plus leur compte.

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Ils seront également à la fête devant The Age of shadows, de Kim Jee-woon, un très bon thriller d’espionnage, qui nous entraîne au début des années 1920, pendant l’occupation de la Corée par le Japon. Alors que les autorités japonaises réorganisent complètement la société coréenne, imposant leurs propres règles, la résistance s’organise. Afin de lever des fonds pour commettre des opérations-commando et des attentats contre les militaires japonais, ils vendent des collections d’oeuvres d’art rares à de riches marchands. Un soir, une de ces transactions tourne court. L’un des leaders de la résistance tombe dans un traquenard et se suicide pour ne pas tomber entre les mains des soldats japonais. Il a probablement été dénoncé par quelqu’un de confiance.
Bien que traqués par un enquêteur japonais opiniâtre, ses camarades décident de poursuivre leurs activités. Ils doivent notamment mener à bien l’achat d’une grosse quantité d’explosifs à des contrebandiers hongrois. Pour ce faire, ils vont devoir s’exposer comme jamais et entrer dans un drôle de ballet d’espions, d’agents doubles ou triples, entre trahisons, manigances et retournements de situation.
Kim Jee-woon s’est un peu assagi depuis Le Bon, la Brute et le Cinglé et J’ai rencontré le Diable, mais son nouveau film est truffé de scènes flamboyantes, de morceaux de bravoure parfaitement rythmés, à faire pâlir d’envie n’importe quel tâcheron hollywoodien. Et il tire une fois de plus le meilleur de son acteur-fétiche, Song Kang-ho, et des autres comédiens, parmi les meilleurs du cinéma sud-coréen.
Le résultat est une fresque historique haletante, rondement menée, qui, malgré l’heure de projection tardive, en séance de minuit, a électrisé les festivaliers.

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Ulrich Seidl a aussi séduit le public vénitien, qu’il a embarqué dans un drôle de Safari. Ses trophées de chasse ne sont pas des animaux sauvages, mais les imbéciles qui constituent le sujet de son nouveau documentaire, des touristes autrichiens qui passent leur vacances à errer dans la savane africaine, dans l’espoir de tuer des espèces rares, par plaisir sadique, par snobisme ou juste pour flatter leurs égos décrépis. Il faut les voir, ces crétins, traquer le gnou sur des kilomètres, rater leur cible quatre ou cinq fois avant de les toucher, et de poser pour une photo ridicule avec leur trophée du jour. Il faut aussi voir ces vieillards obtus rester planqués dans une cabane en bois à attendre une proie potentielle tout en rotant leurs bières, sans jamais attraper quoi que ce soit. Il faut entendre leurs conversations, articulées autour des meilleures marques de fusil, du prix des trophées de chasse ou d’autres sujets tout aussi insipides. Chacun est libre de faire ce qu’il veut de son temps libre, de choisir ses loisirs, mais on ne nous ôtera pas de l’idée que ces spécimens-là ont des occupations parfaitement idiotes. Ils ne profitent absolument pas de la nature, du cadre dans lequel ils évoluent. Tout ce qui les intéresse, c’est tuer des animaux pour s’en vanter auprès de leurs proches, une fois rentrés au pays. Ils sont presque pires que les femmes solitaires de Paradis : Amour, qui venaient en Afrique uniquement pour se payer des escorts-boys aux charmes avantageux. Elles au moins avaient l’excuse d’une certaine solitude, d’une situation de misère sexuelle à combler.
En tout cas, ils font froid dans le dos, avec leurs propos sur la chasse, sur les indigènes Noirs, sur la surpopulation humaine sur la planète. De là à en conclure qu’ils seraient prêts à chasser des individus sous-développés pour le bien de l’Humanité, il n’y a qu’un pas, et Seidl se refuse à le franchir, préférant subtilement laisser au spectateur se faire sa propre opinion. La nôtre est faite : avec des crétins pareils, nostalgiques de l’époque dorée du colonialisme, l’avenir de l’Humanité est loin d’être assuré.
Heureusement que les cinéastes sont encore là pour ouvrir les regards et éveiller les consciences, et que les festivals de cinéma leur donnent l’occasion de présenter leurs oeuvre.

A demain, donc, pour la suite de ces chroniques vénitiennes…

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