A Venise, de nombreuses spécialités culinaires locales sont constituées de poulpes (“polpi”). Ces petites pieuvres donnent de délicieuses salades ou de succulentes fritures et les restaurants locaux en servent énormément à leurs tables. Enfin ça, c’était avant la projection de La Region salvaje, dans lequel on apprend que ces sales bêtes – ou les créatures assimilées – traînent un peu n’importe où, y compris dans des endroits peu fréquentables…
Le film d’Amat Escalante, présenté en compétition officielle, tourne autour d’un monstre chthonien tentaculaire, capable de procurer un plaisir sexuel intense aux êtres humains ou de les blesser mortellement. Cette fable fantastique teintée d’érotisme et de violence, sert surtout d’écrin à une parabole sur la difficulté de vivre sa sexualité dans une société mexicaine patriarcale, puritaine et ultra-conservatrice. Les femmes n’ont pas vraiment l’occasion d’éprouver du plaisir. Elles doivent se contenter des brèves saillies mécaniques de leurs maris, odieux machos qui ne se soucient que de leur jouissance personnelle. Les homosexuels ne sont pas mieux lotis. Ils sont vus comme des pervers, des malades, des damnés et subissent régulièrement les brimades homophobes de leurs voisins.
Ces hommes et ces femmes sont obligé de se cacher pour assouvir leurs besoins sexuels. D’évoluer dans la marge, loin du regard des autres. Dans le film, cette cachette prend la forme d’une cabane perdue aux milieu des champs, abritant la créature monstrueuse précitée, sorte de pieuvre gigantesque aux tentacules phalliques.
Ceux qui ont vu les films précédents d’Amat Escalante (Los Bastardos, Heli) savent que le cinéaste mexicain aime bousculer ses spectateurs en les confrontant à des sujets tabous et des images choquante. Ici encore, il a réussi son coup. La Region salvaje est assurément l’un des films les plus étranges, les plus déroutants et les plus “excitants” (si l’on ose s’exprimer ainsi…) de cette 73ème Mostra de Venise.
A l’inverse, Piuma (“Plume”, en italien) est jusqu’ici le film le plus insignifiant et le plus plat de la compétition officielle.
Il s’agit d’une comédie autour de la grossesse mouvementée d’une jeune fille de 17 ou 18 ans, qui décide de garder l’enfant, contre l’avis de ses parents et des parents de son copain, un garçon immature qui a plus la tête à faire la fête qu’à suivre ses études.
On se demande ce qui a bien pu pousser les sélectionneurs à inclure cette comédie italienne bavarde et hystérique au milieu de films d’auteur d’un tout autre calibre. Pour donner un ordre d’idée, c’est un peu comme si Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu? était sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes. Même le public italien, pourtant très enclin, d‘ordinaire, à supporter le oeuvres locales, a rejeté le film, sifflant, huant et lançant des “Vergogna!” rageurs. En même temps, l’oeuvre est conforme au slogan sur son affiche : “Il film più leggero dell’anno” (“Le film le plus léger de l’année”…)
Le slogan ne conviendrait pas vraiment à Gukoroku (Traces of sin) du cinéaste japonais Kei Ishikawa. Un thriller complexe, tordu et torturé, qui parle de maltraitance d’enfants, de viols, d’inceste et de crimes brutaux. Rien que ça! C’est aussi une réflexion sur le phénomène des cliques étudiantes, ces réseaux que les jeunes se constituent lors de leur passage à l’université afin de réussir par la suite leur vie professionnelle, et sur l’emprise exercée par les élites sur le reste de la population.
Pour un premier film, le résultat est plutôt séduisant. Si Kei Ishikawa s’applique sagement à soigner son ambiance et à diriger ses acteurs, il se permet quand même quelques plans audacieux, que n’aurait pas renié Kiyoshi Kurosawa.
A demain pour la suite de ces chroniques vénitiennes.