La caméra d’Amat Escalante se pose ensuite sur une autre femme, Alejandra (Ruth Ramos), en train de se faire besogner par son mari, Angel (Jesus Meza). Ici, pas de tentacules phalliques, pas d’étreintes poulpesques. L’homme semble faire sa petite affaire sans se soucier le moins du monde du plaisir de son épouse. L’acte est mécanique, froid, sans aucune passion. Il ne provoque en tout cas aucune émotion à Alejandra. Celle-ci, pourtant, ne se plaint pas. Elle est dans son rôle d’épouse soumise, prête à assumer sans broncher son devoir conjugal, ainsi qu’on lui a appris.
Fabian est son frère. Sa vie sexuelle n’est guère plus épanouissante puisque le garçon est homosexuel ce qui, dans cet environnement puritain et machiste, est vu comme une hérésie, une tare, une maladie honteuse. Leur rencontre avec Veronica et avec l’étrange créature cachée dans la cabane au milieu des prés va bouleverser leur existence.
Cette fable fantastique, érotique et violente, permet à Amat Escalante de se livrer à une nouvelle critique féroce de la société mexicaine, qui, derrière des attitudes ultra-conservatrices et dévotes, dissimule violence et frustrations sexuelles.
Le cinéaste montre toute l’hypocrisie de la sacro-sainte entité familiale, dans laquelle le mari et la femme, aussi insatisfaits l’un que l’autre, continuent de jouer la comédie par habitude, par peur du regard des autres ou du rejet des autorités religieuses.
Il dénonce l’homophobie ambiante, héritée de dogmes religieux imbéciles et d’une longue tradition de comportements machistes, qui contraint les gays et les lesbiennes à refouler leur nature profonde ou à évoluer en marge de la société, loin du regard des autres. Comme dans cette cabane au fond des bois, au milieu de nulle part.
Mais les homosexuels ne sont pas les seuls à subir les règles absurdes de cette société où le machisme est considéré comme une vertu et une force. Les femmes doivent se contenter d’une place ridicule au sein de la structure familiale, subissant la loi – et parfois les coups – de leurs maris. Leurs sentiments ne comptent pas, leurs désirs non plus. Elles sont inféodées à leurs maris.
Les femmes comme Veronica qui essaient de vivre leur sexualité librement, sans attaches, sont considérées comme des prostituées, des femmes de petite vertu, des incongruités. Elles aussi doivent se cacher pour vivre comme elles l’entendent.
La créature tentaculaire tapie dans l’ombre peut être interprété de différentes façons. On peut y voir le symbole d’une sexualité considérée comme anormale, animale, voire “monstrueuse” pour le regard des autres. Ou bien une allégorie des dangers qui attendent ceux qui sont obligés d’évoluer en dehors des sentiers battus pour s’épanouir – un peu comme Diane Keaton dans A la recherche de Mr Goodbar.
Ou encore une divinité chthonienne revenant à la surface pour libérer les Hommes des carcans mis en place par les autorités catholiques.
Dans tous les cas, elle agit comme un catalyseur du désir, poussant les animaux et les êtres humains à copuler et à rechercher un plaisir de plus en plus intense, jusqu’au masochisme. On pourrait, en voyant le film sous un angle psychanalytique, l’associer au “ça”, le siège des pulsions, situé dans l’inconscient.
Avec ses précédents films, Amat Escalante cherchait à choquer le spectateur, le traumatiser, lui asséner des coups pour le faire réagir aux injustices qui frappent la société mexicaine. Ici, il s’est assagi, préférant intriguer le spectateur, le surprendre, le fasciner avec ses images étranges, autant sensuelles que repoussantes. La Region salvaje est le film d’un auteur qui a a gagné en maturité et a réussi à digérer ses influences cinématographiques, Michael Haneke en tête, pour se trouver sa voie. On attend désormais son prochain long-métrage avec beaucoup d’intérêt.