Ca ne plaisante plus pour les derniers jours de compétition à la 73ème Mostra de Venise, avec l’entrée en lice de plusieurs champions dans la catégorie poids lourds.
D’un côté, le russe Andrei Konchalovsky, Grand prix du Jury à Cannes en 1979, Grand prix à Venise en 2002 et Lion d’Argent en 2014, qui revient avec Paradise, une oeuvre imposante, ambitieuse, reposant sur des choix narratifs audacieux et une mise en scène magistrale. Pour nous, il s’agit assurément de l’une des oeuvres les plus fortes de cette édition 2016 (Lire notre critique).
De l’autre, le philippin Lav Diaz, Prix Horizons à Venise en 2007 pour son imposant Death in the Land of encantos, Leopard d’Or de Locarno en 2014 et Prix Alfred Bauer à La Berlinale en ce début d’année pour A Lullaby to the sorrowful mystery.
Il revient à la Mostra avec un film plus court que ses films précédents, un long-métrage de “seulement” 3h30, composé presque exclusivement de longs plans fixes en noir & blanc.
The Woman who left raconte l’histoire d’Horacia, une femme qui sort de prison après trente ans de détention pour un crime qu’elle n’a pas commis. Elle tente de retrouver ses proches, mais ne retrouve que sa fille, qui avait sept ans lors de son arrestation. Elle découvre que son mari est mort quelques années auparavant et que son fils aîné a disparu. Sa fille a tenté de retrouver sa trace, en vain.
Horacia décide de partir à sa recherche, mais en chemin, elle réalise que l’homme qui l’a piégée et l’a envoyée en prison, un ex-amant éconduit, est devenu l’un des hommes les plus riches et les plus puissants de la ville. Elle est aussi amenée à porter assistance à des miséreux qui vivent en marge de la société, ignorés par les puissants. Elle décide alors de préparer sa vengeance.
La trame est assez minimaliste. Elle permet surtout au cinéaste philippin de composer des plans somptueux, très travaillés, créant une atmosphère très sombre, désespérée, et traduisant l’état d’esprit du personnage et l’état de la société philippine en général.
D’un point de vue artistique, il n’y a rien à redire. Chaque scène est composée comme un toile de maître. Le problème, c’est que le film est beaucoup trop long. On sait que Lav Diaz aime faire durer le plaisir, mais si on peut comprendre qu’une fresque historique comme A Lullaby to the sorrowful mystery puisse durer 8h30, une durée plus classique de 1h30 ou, à la rigueur, 2h, aurait suffi à raconter cette histoire et à appuyer le propos du cinéaste. Le but d’un auteur est de fasciner les spectateurs, pas de les faire mourir d’ennui. A voir l’exode massif de spectateurs durant la séance, Lav Diaz a perdu son pari.
Dommage, car d’un point de vue purement cinématographique, The Woman who left est l’un des films les plus maîtrisés de l’année…
Sur le ring de la Mostra 2016, on trouvait aussi l’un des plus grands champions de tous les temps, le serbe Emir Kusturica.Son palmarès fait rêver : Double Palme d’Or (1985 et 1995) et prix de la mise en scène (1989) à Cannes, Lion d’Or 1981 et Lion d’Argent du meilleur réalisateur en 1998 à Venise, Ours d’Argent à Berlin en 1993. Le hic, c’est que ces titres commencent à dater et que le cinéaste n’a rien réalisé de vraiment concluant depuis La Vie est un miracle, en 2004.
On the milky way confirme que la carrière de Kusturica est sur le déclin, même si ce nouveau long-métrage s’avère plus intéressant que son Promets-moi, présenté à Cannes en 2007.
Le cinéaste raconte une histoire d’amour compliquée dans une sorte de jardin d’Eden menacé par la guerre et la folie des hommes, pendant les guerres qui ont ravagé l’ex-Yougoslavie, à la fin du siècle dernier. Le début du film laisse espérer le meilleur, retrouvant un peu de la folie douce et de la fantaisie d’Underground ou de La Vie est un miracle, notamment grâce à la performance énergique de l’actrice serbe Sloboda Mićalović, mais au fil des minutes, le rythme faiblit, la mise en scène se fait moins inspirée. La cavale des amants maudits dans un pays ravagé par la guerre n’émeut pas autant qu’elle le devrait, peut-être parce que l’alchimie entre les acteurs principaux (Monica Bellucci et Emir Kusturica lui-même) n’est pas évidente. Le plan final, magnifique, rappelle que Kusturica fut un très bon cinéaste et qu’il est encore capable de nous enthousiasmer. Cela passe sans doute par un renouvellement de ses thématiques habituelles et davantage d’efforts pour trouver le bon compromis entre comédie et drame, fantaisie et réalisme.
Ce qu’il y a de bien avec ces poids lourds du septième art, c’est qu’ils proposent du Cinéma avec un grand C. Même si on peut parfois trouver leurs films inférieurs à nos attentes, il y a toujours queque chose à sauver dans la mise en scène, la direction d’acteurs, la structure narrative employée ou les qualités esthétiques de l’oeuvre.
Il est certain que Giuseppe Piccioni ne boxe pas tout à fait dans la même catégorie. S’il n’était pas porté par quatre jeunes actrices convaincantes, son Questi giorni, chronique douce-amère sur l’amitié et le passage à l’âge adulte, ne tiendrait pas un round contre la plupart des films en compétition cette année sur le Lido.
Dans la section Orizzonti, quelques outsiders auraient mérité d’être propulsés dans l’arène de la compétition officielle.
Par exemple le turc Reha Erdem qui nous propose aussi une variation sur le thème du Jardin d’Eden dans Big Big World. Ce récit, articulé autour de la cavale d’un frère et d’une soeur cherchant à fuir les règles patriarcales absurdes et iniques qui régissent encore la société turque, manque un peu de contenu pour nous tenir en haleine pendant toute la durée du film, et on ne retrouve pas l’intensité de son chef d’oeuvre, Des temps et des vents. Néanmoins, le cinéaste prouve qu’il n’a rien perdu de sa capacité à composer des plans sublimes et il nous propose un intéressant travail sur l’environnement sonore, opposant les bruits de la ville à ceux de la nature.
Le jeune australien Nicholas Verso s’impose également comme un cinéaste à suivre. Boys in the trees, jolie chronique adolescente baignée dans une ambiance fantastique, la nuit d’Halloween, a enthousiasmé les festivaliers de la Mostra de Venise. Il possède déjà une patte de metteur en scène singulière, qui rappelle un peu le style de David Robert Mitchell, l’auteur de It follows. On a hâte de suivre son évolution et de voir s’il saura passer le cap, souvent difficile du second long-métrage.
Et nos cinéastes français dans tout cela? Ont-ils été à la hauteur?
Hélas, pas vraiment… Planetarium de Rebecca Zlotowski a reçu un accueil assez froid de la part du public vénitien. Mais il faut dire que son troisième long-métrage a de quoi décontenancer. La cinéaste suit plusieurs fils narratifs, parlant de spiritisme, de création cinématographique et artistique, de destins brisés ou menacés par la montée de la xénophobie et de l’antisémitisme dans l’Europe des année folles, mais elle peine à les assembler pour constituer un tissu scénaristique solide. Heureusement, elle peut s’appuyer sur sa mise en scène, élégante, subtile, et sur le jeu de ses interprètes principaux, Natalie Portman, Lily-Rose Depp et Emmanuel Salinger, pour sauver les meubles.
Benoît Jacquot, en revanche, est sorti sous les sifflets.
A jamais, son nouveau long-métrage, essaie paresseusement de déguiser une histoire de deuil ultra conventionnelle en un film fantastique minimaliste. Cela donne une oeuvre prétentieuse et ennuyeuse à mourir, dans laquelle cabotinent Mathieu Amalric, Jeanne Balibar et Julia Roy. On oubliera assez vite ce fantôme de film…
Heureusement la compétition de cette 73ème Mostra a comporté plus de bons films que de mauvais. Le Jury va avoir fort à faire pour départager les dix-neufs longs-métrages en compétition. Qui remportera le précieux Lion d’Or? On mettrait bien une pièce sur Paradise, même si des films comme La La Land, Frantz, La Region salvaje, Arrival ou El Cidudadano illustre mériteraient aussi de figurer au palmarès. On peut aussi surveiller certains outsiders comme El Cristo ciego ou Une vie.
De toute façon, il ne reste plus que quelques heures avant la cérémonie de clôture, où seront remis les différents prix officiels de cette 73ème Mostra.
A demain pour la suite – et la fin – de nos chroniques vénitiennes.