Les acteur.rice.s transgenres au cinéma

Par Yutuy


Le site Konbini a publié un article sur la polémique à Hollywood concernant les rôles de personnes trans qui ne sont pas joués par des personnes trans (Dallas Bayer Club, Danish Girl pour parler de films récents). Le moins que l’on puisse dire c’est que l’article suscite incompréhensions, rejet, quand le sujet n’est pas considéré comme inutile, ou qui n’a pas lieu d’être.

Dans la mesure où je suis cinéphile et militante féministe inclusive, j’ai eu envie d’évoquer le sujet. Et dans la mesure où je ne suis pas directement concernée par les problématiques que rencontrent les personnes trans, j’ai souhaité donner la parole à une personne concernée, Roxane Gervais, qui a accepté (pour mon plus grand plaisir), de répondre aux principales remarques entendues/lues quand on parle de la place des acteur.rice.s trans au cinéma.

Le but est d’expliquer pourquoi ce sujet est sensible pour les personnes trans, et de sensibiliser les personnes qui ne connaissent pas ou peu les problématiques rencontrées par ces personnes. Pas de montrer du doigt les personnes qui font ce genre de remarques.

Parce que l’art sous toutes ses formes se nourrit, s’inspire de notre société, et à la façon dont elle vit et s’organise, d’autant plus si on se positionne sur un cinéma engagé.

1-« Un.e acteur.rice doit pouvoir tout jouer/jouer le rôle dont il a envie, c’est ça la comédie. »

Je suis bien d’accord ! Bien sûr, la liberté artistique permet de jouer qui l’on souhaite… Mais ce n’est pas la question en soi. On embauche jamais – ou extrêmement rarement – un homme cisgenre (= en accord avec son genre assigné à la naissance) pour jouer une femme cisgenre, ou l’inverse. Et faire ainsi, exclusivement dans le cas des personnes transgenres, perpétue l’idée que notre identité est un rôle, un costume que l’on peut enlever à volonté. Et c’est cette idée même qui pousse certains hommes, souvent après avoir eu des relations sexuelles avec des femmes trans, à nous tuer. Par crainte d’être vus comme des homosexuels, ils en viennent à la violence pour affirmer qu’il s’agissait d’une tromperie de notre part et qu’ils se sont vengés ou défendus.

2-« Au moins on parle de la condition des personnes trans, c’est un bon début. »

Alors, déjà, on parle d’un certain type de condition. Très souvent, les femmes trans représentées à l’écran sont des travailleuses du sexe. Certes, la précarité qui nous touche pousse nombre d’entre nous vers ces professions ; mais ce n’est pas non plus automatique, et l’on aimerait bien voir autre chose.

Ensuite, des films qui parlent de personnes trans, on en voit depuis longtemps maintenant. Dans les années 90, on a notamment eu The crying Game, Boys don’t cry ou Ma Vie en rose. Mais dès 1953, on avait Glen or Glenda, réalisé par Ed Wood. Ce n’est pas un sujet récent ! Le “bon début” commence à être un peu long, il est peut-être temps de passer à la suite, vous ne croyez pas ?

3-« Mais l’acteur.rice cis (donc non trans), livre une sacrée performance!/ Le film a eu du succès/ Le film a été récompensé. »

La différence est que l’acteur va interpréter la transidentité. Il s’agit pleinement d’un rôle. Il n’y a qu’à voir Eddie Redmayne dans The danish Girl : cet homme, très bon acteur par ailleurs, joue une Lili Elbe éthérée, sans grande profondeur en soi ; aussi crédible soit-il en tant que femme, la personnalité manque de complexité à mon sens.

Une femme trans n’aurait pas eu à jouer son identité, et aurait pu se concentrer sur le caractère en soi, livrant ainsi un jeu plus subtil.

Quant aux récompenses, remettre un prix du “meilleur acteur” (best male actor) pour un rôle féminin est assez significatif, je trouve. De plus, quand on voit la proportion d’acteurs et actrices noires récompensées comparé à la proportion de rôles, on réalise qu’il s’agit là d’un choix au moins autant politique qu’artistique.

4-« Attendez d’avoir vu le film avant de juger »

Aller voir un film ou non est également un choix politique. Il s’agit de dire que cinéma on veut voir par la suite, celui que l’on veut financer par nos achats de place. Je n’ai pas voulu acheter de places pour Gods of Egypt parce que ce film pratique le whitewashing. Ou pour Alice, de l’autre côté du miroir alors que le producteur et acteur Johnny Depp est accusé de violences conjugales. Ce sont des positions politiques. Aller voir ou non The Danish Girl l’est tout autant.

5-« Il n’y a pas/peu d’acteur.rice.s trans »

Laverne Cox. Stella Rocha. Jamie Clayton. Jen Richards. Janet Mock. Je ne sors que les actrices qui me viennent de tête, sans réfléchir. Et toutes ces personnes ont réellement commencé leur carrière récemment !

Ce n’est pas que nous sommes peu, c’est que l’on ne nous laisse que peu la place d’exister, notamment dans ce métier. Depuis le début d’Orange is the new black, Laverne Cox – quasi inconnue auparavant – fait des plateaux TV dans le monde entier, uniquement car elle a réussi à percer dans un secteur autrefois bouché. Si vous nous laissez la place pour exprimer nos talents, croyez-moi, vous aurez de belles surprises !

6-« Faut pas enfermer non plus les acteur.rice.s trans dans des rôles de personnes trans »

Saviez-vous que dans The danish Girl, justement, il y a une actrice trans ? Qui joue un tout petit rôle, juste une scène, sans que son identité de genre ne soit mentionnée. Elle n’a pas été cantonnée à un rôle de personne trans : elle a été effacée en tant que personne trans, n’étant présente que pour servir de caution trans-friendly à la production.

Il ne s’agit pas de nous y cantonner ! Il s’agit de nous laisser la possibilité de jouer, de montrer que l’on existe. Dirions-nous qu’il ne faut pas “cantonner les acteur.rice.s noir.e.s dans des rôles de personnes noir.e.s” ? Le blackface a existé. Ce n’est plus le cas ; le transface existe en revanche toujours.

7-« Oui mais on sait pourquoi ce sont des acteur.rice.s cis qui ont été choisi.e.s, ce sont des célébrités qui vont ramener du public »

Depuis quand le cinéma ne fait-il pas de place à des anonymes ? Est-ce qu’on aurait dû rejeter Jamie Lee Curtis pour le premier Halloween ?

Oui, bien sûr qu’un Matt Bomer ou un Eddie Redmayne sont, comme l’on dit, bankable. Mais voulez-vous vraiment un cinéma se concentrant sur le succès ? Ou préférez-vous celui qui vise la qualité ? Chercher des excuses aux productions qui desservent tant le public général que les minorités ne me semble pas une stratégie très intéressante.

Oh, j’allais oublier : Hillary Swank était inconnue quand elle a interprété Brandon Teena dans Boys don’t cry. Comme quoi, engager une inconnue pour jouer un homme transgenre dans un film à succès ne semble pas un problème… à la condition qu’elle soit cisgenre.

Même si ce n’est pas le coeur du sujet, un petit point sur les termes appropriés pour parler des personnes trans, car on les utilise quand on évoque ce sujet.

Pourquoi il faut parler de personnes transgenres et pas de personnes transsexuelles?

Voilà une question assez complexe de prime abord qui va nécessiter des précisions de grammaire (ne fuyez pas, il n’y aura pas d’interro écrite à la fin.)

D’abord, la base du mot, “sexuel”, renvoie à la sexualité, et pas au sexe au sens d’appareil génital ; ce serait plutôt “sexué” : on parle de “reproduction sexuée”, mais de “personnes bisexuelles”, par exemple. Or, l’identité de genre n’a rien à voir avec l’orientation ! L’appellation est donc impropre.

De plus, il s’agit d’un terme employé par la psychiatrie et la psychanalyse ; cette dernière considère la transidentité comme une maladie mentale. Or, toutes les dernières études en date indiquent que ce n’est pas le cas.

Pourquoi alors ne pas parler de “transsexué.e” ? Tout simplement parce que c’est une question d’identité et non d’organes génitaux. Croire cela est une pensée essentialiste, qui tend à considérer que nous nous résumons à ces parties de notre anatomie. Or, ce n’est pas plus le cas que pour les personnes cisgenres. Que ce soit avec ou sans intervention chirurgicale, nous sommes transgenres et nous le restons.

Pour conclure, voici une liste (assez pauvre) de films et séries avec des acteur.rice.s trans:

Séries:

Orange is the new black

Sense8

Boy meets girls

Films:

Tangerine de Sean Baker

Wild Side de Sébastien Lifshitz

Si vous en avez à rajouter, n’hésitez pas!

Merci Roxane d’avoir pris le temps de répondre