Après le décevant The Darkness qui fit retomber l'enthousiasme lié à l'ouverture de cette nouvelle édition de L'Étrange Festival, ou tout du moins nous fit revenir sur terre, pour nous rappeler qu'un festival n'est pas fait que de très belles découvertes et que, pour bien le réussir, il faut être capable de passer outre quelques inévitables déceptions, aller voir un film dont le titre est Girl Asleep pourrait paraître être un drôle de choix. Surtout que devant gérer les aléas de la programmation et ce don d'ubiquité que nous n'avons toujours pas, il a fallu faire un choix et sacrifier Terra Formars de Takashi Miike. Comme nous pensons que l'intérêt principal d'un festival est de (vous faire) découvrir de nouveaux réalisateurs, que l'excitation ressentie devant une première œuvre réussie surpasse la satisfaction de la confirmation du talent d'un réalisateur que l'on aime énormément, le choix paru néanmoins assez évident. Ce premier film de Rosemary Myers était par ailleurs précédé de très bons échos venant notamment de son passage au festival de Berlin. Son sujet, le difficile passage à l'adolescence d'une jeune fille introvertie, était lui aussi de nature à nous convaincre quand nous avons encore en mémoire les merveilleux Sixteen Candles de John Hughes, Bienvenue dans l'âge ingrat de Todd Solondz ou, plus récemment, le très sympathique The Diary of a teenage girl de Marielle Heller.
Girl Asleep est directement adapté d'une pièce que Rosemary Myers mis en scène au Windmill Theatre de Sidney dont elle est la directrice artistique. Cette grande aventure du premier film ne s'est donc pas faite en territoire inconnue, Myers se lance dans la réalisation en portant à l'écran un univers dont elle maîtrise à priori tous les codes. Sur ce type de récit, c'est une lapalissade que de dire que la réussite du film dépend énormément du casting, à commencer évidemment par l'héroïne puis ses parents et ses camarades. La mission est très largement remplie. La famille de Greta ( Bethany Whitmore) est évidemment joyeusement dysfonctionnelle mais comme peut l'être la famille Tennenbaum, à laquelle on pense immédiatement. Le trait est grossi mais pas grossier et c'est ce qui fait que l'on accepte de rentrer dans cet univers. La qualité de l'écriture et de la direction d'acteurs font que l'on accepte ces caricatures sans jamais avoir l'impression de regarder une bouffonnerie. Conrad ( Matthew Whittet que l'on a vu dans des petits rôles dans les 3 derniers Baz Luhrmann ), le père de Greta, porte divinement bien la moustache et le petit short en satin. Chacune de ses apparitions, dans des tenues plus improbables les unes que les autres, fait mouche et cette fragile balance entre rire avec un personnage ou à ses dépens ne penche jamais du mauvais côté. Conrad est plus lunaire que loser, on rit à ses blagues très lourdes et on partage aussi la gène de Greta qui doit également composer avec une mère haute en couleurs. Jena ( Amber McMahon) vit elle aussi dans une autre galaxie. C'est une mère libérée, aimante mais probablement plus préoccupée par son sport, sa cuisine et sa permanente que par le mal être de Greta. On ne peut pas dire qu'elle ne s'en soucie pas mais plutôt qu'elle prend ça trop à la légère, pensant que tout peut se régler autour d'un bon repas chinois ou de cette fameuse birthday party qu'elle veut organiser pour le 15ème anniversaire de Greta. A bientôt 15 ans, Greta est une jeune fille introvertie, qui n'a pas les codes pour s'intégrer et être acceptée de ses camarades qui sont beaucoup plus mûres qu'elle. La première scène la montre seul sur un banc, dans la tenue imposée par l'école, pendant qu'en arrière plan, tout le monde s'amuse sans faire attention à elle. Ce n'est pas une jeune Ugly Betty ou une Dawn Wiener (l'adolescente de Bienvenue dans l'âge ingrat), elle est belle et n'a pas une personnalité déviante mais n'a juste pas les codes et les bons centres d'intérêt. Bethany Whitmore qui a une solide expérience des séries TV et que l'on a entraperçu chez PJ Hogan ( Mental), aborde ce rôle avec une étonnante maturité, lui apportant ce qu'il faut de douceur et d'innocence pour rendre Greta très attachante. Cette Greta a certes un imaginaire très développé dans laquelle la seconde partie du film nous immergera, des parents lunaires mais c'est une adolescente à laquelle il est parfaitement possible de s'identifier. Dans ces " coming of age movies ", l'héroïne peut souvent compter sur l'amitié indéfectible d'un(e) ami(e) un peu excentrique et le moins que l'on puisse dire c'est qu' Elliott ( Harrison Feldman) rempli parfaitement cette fonction. Pour reprendre les paroles de la chanson d'un homonyme célèbre de ce jeune acteur, on peut dire qu'il n'y a pas plus gentil que cet adolescent. Il le dit lui-même à plusieurs reprises, Elliott n'est pas contrariant et vous dira toujours que ce que vous faites est formidable. C'est un garçon simple mais pas simplet, désarmant de naïveté et victime de son look un peu efféminé qui l'isole et fait de Greta sa seule amie. Harrison Feldman est avec Matthew Whittet, la grande révélation du film. Son timing comique absolument parfait rend son personnage irrésistible, il exploite merveilleusement bien le matériel qu'on lui a donné (dialogues et costumes) et c'est le genre d'acteur qui bonifie les autres.
Dans sa première partie, avec cette formidable galerie de personnages, à laquelle on peut également ajouter ces 3 sœurs, hit girls du collège de Greta qui vont s'intéresser de très près à elle et le petit ami très entreprenant de Geneviève, la grande sœur de Greta (seul personnage un peu laissé pour compte). Girl Asleep suit une formule assez classique qui coche les cases du genre. Mais Rosemary Myers enrichit cette formule par son incroyable sens de l'image et une mise en scène toujours inventive qui fait penser à celle de Wes Anderson. Dans ce cadre qui semble familier, Myers ajoute un humour féroce et un sens de l'absurde très proche de Todd Solondz. La combinaison de ces deux influences, loin d'être un mix paresseux, produit un cocktail (d)étonnant. La fête d'anniversaire voulue par ses parents et que Greta redoutait tant, va provoquer un profond bouleversement chez elle. Se réfugiant dans son monde imaginaire, elle va entraîner le basculement durable du film dans un univers onirique, peuplé de drôles de créatures, dans lequel se matérialisent ses angoisses et frustrations. On pense donc forcément au magnifique Where The Wild Things Are de Spike Jonze mais aussi beaucoup aux premiers clips de Michel Gondry pour l'esthétique et " l'animation " de plusieurs scènes. Là aussi, Rosemary Myers fait bien plus que de compiler des influences mal digérées et si, on peut reprocher à cette partie d'être un peu longue, on est bluffé par sa maîtrise et la richesse de son univers. Elle fait dérailler son film sans donner le sentiment de se perdre, au contraire, cette partie aussi différente soit-elle de la précédente est en parfaite cohérence avec son propos. On pourra néanmoins lui faire le reproche de conclure un peu trop rapidement son récit, qu'on pensait aller vers plus de complexité mais qui retourne finalement sur les rails d'une trame classique. Cette réserve n'est pas anodine et empêche le film d'être plus qu'une brillante et très divertissante réussite. Espérons que L'Étrange Festival gardera, comme nous, un œil sur Rosemary Myers et que nous aurons l'occasion de la retrouver à nouveau en sélection.
Titre Original: GIRL ASLEEP
Réalisé par: Rosemary Myers
Harisson Feldman, ...
Genre: Comédie, Drame
Sortie le: -
Distribué par: -
EXCELLENT