Hitchcock a fait un film en 3D ?!

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

La 3D n’est pas une technologie si récente, et l’un des plus grands cinéastes de tous les temps l’a expérimentée.

Pour beaucoup de personnes, la 3D a commencé avec James Cameron et Avatar en 2009, et avant ça, si ce n’est deux/trois trucs dans les parcs d’attractions avec des lunettes rouge et bleu, il n’y avait rien. Figurez vous chers lecteurs que ceci est faux.

Nous sommes en réalité dans le deuxième âge d’or du relief au cinéma, et c’est d’une époque bien lointaine dont je vais vous parler. Chaussez vos lunettes, et remontons le temps vers cette fabuleuse époque qu’était celle des 50’s.

Qu’on se le dise : le cinéma, c’est du passé ! Et le machin qui va l’enterrer est une petite boîte que tout un chacun peut mettre dans son salon : un poste de télévision. Le Grand Cinéma s’affole ! Il faut redonner l’envie aux spectateurs de se lever de leur canapés. Il décide alors de regarder en arrière pour mieux avancer, et va s’inspirer d’une invention qui remonte à… 1839.

Cette année là, on invente la photographie, et par la même occasion, la photographie stéréoscopique – la 3D, donc. C’est peu connu, mais le relief est né presque en même temps que la 2D (on n’a donc vraiment pas attendu James Cameron). A cette époque, le procédé reste encore expérimental mais de grands noms ont exploité cette technologie, les plus connus étant les frères Lumière eux-mêmes qui réalisèrent le remake de leur propre film L’Arrivée d’un train en gare de la Ciotat en 3D.

Si vous avez des lunettes anaglyphes (verres rouge/bleu), vous pouvez profiter dudit film. Vous remarquerez qu’il n’y a pas ou peu de jaillissement, le relief est naturel. 

En s’inspirant de cette technologie qui a bien évidemment évolué avec le temps (et on y reviendra), les années 50 vont essayer d’exploiter le relief en salles. Parmi ces dizaines et dizaines de productions on retrouvera une majorité de films oubliables, mais se cachent aussi quelques pépites. Le film du jour fait partie de la deuxième catégorie.

Nous sommes en 1953 et un certain Alfred Hitchcock travaille sur l’adaptation d’un succès de Broadway, Dial M for Murder (Le Crime était Presque Parfait dans nos contrées). Le maître du suspens est en légère panne d’inspiration et un contrat avec la Warner le contraint à tourner un nouveau film, et comme il le dit lui même, non sans humour, dans le making-of du film, « Quand on est en manque d’inspiration, on filme une pièce à succès ». Cependant, il ne va pas se contenter de filmer une pièce de théâtre : si le film est presque un huis clos, le réalisateur décide de lui donner littéralement plus de relief.

Il faut savoir que tourner en 3D à l’époque était bien plus difficile que de nos jours, puisque les réalisateurs n’avaient presque pas de moyen de vérifier l’intensité de leur relief lors des prises de vue. Peu de spectateurs ont eu la chance de découvrir l’oeuvre en trois dimensions à l’époque de sa sortie, mais grâce au Blu Ray 3D, tout le monde possédant le matériel adéquat peut maintenant en profiter. Et ce serait vraiment dommage de passer à côté.

Ceci n’est évidemment pas tiré de la version Blu-Ray 3D.

La première chose qui saute aux yeux (et oui, c’est un piètre jeu de mot) c’est la puissance générale de la profondeur, même en intérieur. Presque tous les plans nous donnent une réelle impression de volume, une impression renforcée par l’usage constant des objets au premier plan.

Si Hitchcock, lors de son mythique entretien avec François Truffaut, ne prétend pas avoir trop adapté sa mise en scène au relief, il a tout de même pris le soin d’habiller ses cadres pour obtenir une 3D optimale, même lors de séquences de dialogues (ce qui représente 99% du film). Ainsi, on retrouvera souvent au premier plan des bouteilles alignées ou encore un bouquet de fleurs qui ne manqueront pas de vous sauter au visage. Dans le même entretien, il indique avoir fait aménager une fosse pour que la caméra soit souvent au niveau du plancher. Il déclare que l’impression de relief est à son meilleur dans les contre-plongées, et même si cela se ressent, je dois admettre que ce ne sont pas les plans de ce type qui marqueront le plus.

Le plan qui est instantanément entré dans la légende, c’est celui où le personnage de Grace Kelly tend la main en se débattant contre son agresseur. La scène fonctionne très bien en 2D : c’est une scène clé du film, et cette main tendue prend à parti l’audience. Le relief va décupler l’implication du spectateur. Il va avoir l’impression d’être au plus près de l’action, et de pouvoir sauver l’actrice de cette situation pour le moins préoccupante. Le contrepoids de cette sensation sera celle de l’impuissance. Même si sa main sort de l’écran, vous pourrez toujours essayer, vous ne pourrez jamais la secourir. Cette impossibilité va renforcer la tension de la séquence, encore plus que dans la version « plate » du film.

Des jaillissements, il n’y en aura pas des tonnes dans Dial M for Murder, mais ils seront toujours présents pour appuyer un moment fort de l’intrigue, comme la résolution de l’enquête par exemple.

Au final, c’est un grand film doublé d’un relief exemplaire à en faire pâlir les productions actuelles. La logique première de Hitchcock était : « Qu’est ce que cet outil peut apporter à mon histoire, comment adapter ma mise en scène au relief ? » et non pas « combien cet outil va-t-il me rapporter ? ». C’est ainsi que Le Crime était presque parfait est entré dans le cercle très fermé des films dont la version 3D est largement supérieure à la version plate. Chapeau l’artiste !

N.B : Les images qui composent cet article ne sont pas extraites de la version Blu-Ray 3D sortie dernièrement, mais je pense que les lecteurs seront plus nombreux à posséder des lunettes anaglyphes, et pourront plus facilement se rendre compte de l’effet de relief.