Victoria

Par Cinealain

Date de sortie 14 septembre 2016


Réalisé par Justine Triet


Avec Virginie Efira, Vincent Lacoste, Melvil Poupaud,

Laurent Poitrenaux, Laure Calamy, Emmanuelle Lanfray


Genre Comédie dramatique


Production Française

Synopsis

Victoria Spick (Virginie Efira), avocate pénaliste en plein néant sentimental, débarque à un mariage où elle y retrouve son ami Vincent (Melvil Poupaud) et Sam (Vincent Lacoste), un ex-dealer qu’elle a sorti d’affaire. Le lendemain, Vincent est accusé de tentative de meurtre par sa compagne. Seul témoin de la scène, le chien de la victime.


Victoria accepte à contrecœur de défendre Vincent tandis qu'elle embauche Sam comme jeune homme au pair. Le début d’une série de cataclysmes pour Victoria.

Vincent Lacoste, Melvil Poupaud et Virginie Efira

Justine Triet est diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris.


Elle a réalisé depuis différents films qui s’interrogent sur la place de l’individu au sein du groupe. Sur place réalisé en 2007, tourné pendant les manifestations étudiantes, Solférino en 2008, un documentaire réalisé lors des élections présidentielles. En 2009, elle réalise Des ombres dans la maison dans un township de Saõ Paulo. Vilaine fille, mauvais garçon son premier moyen métrage de fiction, remporte de nombreux prix dans des festivals en France et à l’étranger (Prix EFA du Film Européen à la Berlinale 2012, Grand Prix du Festival Premiers Plans d’Angers, Grand Prix du Festival de Belfort, présélection aux César du court-métrage 2013). Son premier long-métrage La bataille de Solférino est sélectionné à l’ACID à Cannes en 2013 et nommé aux César 2014 dans la catégorie meilleur premier film.


Victoria est son second long-métrage.

Entretien avec la réalisatrice, Justine Triet, relevé dans le dossier de presse.


Est-ce que Victoria est un film joyeux sur la dépression ?


Je dirais plutôt que c’est une comédie "désespérée" sur la vie chaotique d’une femme contemporaine.


Pourquoi une comédie ?


Je crois que ça me permet de parler de manière plus gracieuse de mes obsessions : la difficulté des relations hommes/femmes, la solitude, les enfants, la justice, l’argent, le sexe. Le genre me permet de regarder ça avec une plus grande distance. J’avais envie de faire le portrait d’une femme qu’on découvrirait progressivement, par différentes strates, et dont les problèmes sexuels seraient engloutis par d’autres choses : le procès de son ami, le harcèlement de son ex. Les personnages se chargent graduellement comme dans La bataille de Solférino. Ce n’est pas une pauvre petite oie blanche ou l’histoire de sa chronique amoureuse. C’est le récit d’une femme complexe prise dans une spirale émotionnelle que sa situation professionnelle fait imploser. La contamination de l’intime par le travail traverse le film. L’ambition c’était de raconter tout ça : ce qui la fait chuter, ce qui la fait renaître.

Quelles ont été tes références ? On pense beaucoup à la comédie américaine en voyant Victoria


Oui, carrément. Howard Hawks, Billy Wilder ou Blake Edwards mais aussi Sacha Guitry, m’ont beaucoup inspirée. Désiré, de Guitry, en particulier, avec ce mélange de rapport social violent et de séduction entre le domestique et sa patronne. Et puis Woody Allen aussi, évidemment. Mais il y a aussi les films de James L. Brooks que j’adore et que j’ai découverts assez tard, comme Comment savoir ou Spanglish. Mon goût pour la comédie s’est développé avec le temps. J’ai aussi une passion pour certaines séries comiques telles que Silicon Valley. Ou quelque chose de moins avouable comme la sitcom Mom, qui pour moi mêle de façon inégalée le drame et la comédie. Elle m’a fait réaliser qu’on pouvait aller très loin et raconter des choses sombres ou trash avec humour. Il y a un ressort comique dans le film qui tient à la superposition des rendezvous où Victoria cherche conseil : amie, psys, voyante, acupuncteur… Oui, le film se vit dans l’action autant que par la parole réflexive de Victoria. Un des principes d’écriture a en effet été la répétition de confidences de Victoria aux mauvaises personnes, aux mauvais endroits. Elle parle de ses angoisses professionnelles aux hommes avec lesquels elle devrait coucher, de son ex à une cliente qu’elle devrait défendre, de son deuxième psy à son premier. Il y a souvent un décalage entre le rôle social que les gens sont censés représenter et ce qu’ils font. J’ai cherché à tirer le film du drame vers la comédie et à créer un effet jubilatoire alimenté par ce genre de contradiction.

Virginie Efira et Vincent Lacoste

Plus précisément Victoria semble jouer avec les codes de la comédie romantique ?


Oui mais ce qu’ils se disent est parfois bien plus cruel. Les rapports sociaux aussi. La dernière séquence révèle l’ambivalence du film. On est entre romantisme et cynisme lorsque Victoria vient déclarer son amour à Sam alors qu’elle ne possède plus rien et que celui-ci de son côté se met à marchander avec elle.

Tu empruntes aussi les codes d’un autre genre, celui du film de procès.


Oui, il y a d’ailleurs plusieurs clins d’oeil à Autopsie d'un meurtre de Preminger dans le film : le petit chien à la barre, mais aussi la petite culotte. Mais je me suis éloignée de façon assez évidente du film de procès ultra réaliste grâce aux animaux. Je suis partie d’un fait-divers : celui d’une femme qui a été retrouvée pendue et de tests pratiqués sur son dalmatien pour évaluer comment il réagissait à l’odeur de ses proches accusés. Cette histoire m’a aidée à éloigner Victoria de toute affaire de moeurs un peu glauque. Et lorsqu’on la voit en pleine plaidoirie, dans un état second, proche de l’évanouissement, en train de décrédibiliser la parole d’un chien… le rire surgit de l’absurde qui côtoie le réel. J’aimais également l’idée que Victoria ne soit pas qu’une victime. Son ambition d’avocate m’a permis de distiller chez elle une forme de cynisme propre à la profession que j’ai approchée pendant l’écriture du scénario en glanant de nombreux témoignages auprès d’avocats.

Le film parle aussi pas mal en creux de sexualité.


Il en parle beaucoup sans presque rien en montrer. L’idée du sexe envahit tout, même si on n’en voit rien. Le film développe une satire du couple et des relations sexuelles. Il y a Vincent qui a des problèmes sexuels avec sa copine qui l’accuse, David qui révèle dans son blog la vie sexuelle passée de Victoria, Victoria qui consulte une voyante et des médecins qui l’encouragent à renouer avec le sexe. Et lorsqu’elle essaie, chacune de ses rencontres est à chaque fois plus désolante. Ça entraîne des scènes de comédie pure où plane une très grande solitude des corps. Finalement, ce qui reste étrange, mystérieux et désirable, c’est ce qui est encore caché, prudent et presque vierge : Sam.

Peux-tu nous parler du personnage de Sam ?


Entre "l’infirmière" et l’ange gardien, c’est le personnage le plus énigmatique du film. C’est l’employé de Victoria, il a accès à toute son intimité sans réciproque. Il va grandir à ses côtés en s’emparant de tout ce qu’il peut par imprégnation. Elle le regarde à peine alors qu’il s’impose lentement comme un pilier de son équilibre fragile. Leur complicité va grandir en même temps qu’il se met à l’aider dans ses affaires, jusqu’à l’amour, mais avec un certain cynisme lié à l’argent.

Victoria est manifestement un film qui a coûté plus cher que La bataille de Solférino. Comment le passage à une autre économie s’est-il passé ?
Quelles ont été les différences dans ta façon de travailler ?


La bataille, c’étaient 24 jours de tournage ; Victoria, deux fois plus. J’ai surtout pu faire ce que je voulais au niveau de l’image en étant moins tributaire des conditions de tournage. Avec moins de moyens, j’aurais peut-être été contrainte de tourner caméra à l’épaule pour aller plus vite. Là, je voulais vraiment poser ma caméra sur pied. Je préfère que l’émotion vienne de la scène et non pas des mouvements de caméra. Et puis, sur La bataille de Solférino, les acteurs étaient tous des proches. Sur Victoria, je ne les connaissais pas, j’ai découvert des gens qui se sont donnés à fond. On a aussi travaillé en studio et j’ai adoré ça. Pour autant, j’ai persisté dans des prises de risque que j’affectionne : tourner avec les enfants, avec un singe ou un dalmatien. Continuer aussi avec des acteurs non professionnels. Ça tend le plateau dans la concentration. Mais la vraie différence, elle est en amont. Victoria est un film avec un scénario beaucoup plus écrit que celui de La bataille de Solférino. Pour ce film, j’ai quand même beaucoup tourné mais j’ai contrôlé la durée des prises. J’étais obsédée par le rythme de chaque scène en pensant au montage.

Pourquoi avoir choisi Virginie Efira ?


Pour incarner Victoria, je cherchais une femme brillante, drôle et mélancolique. Je l’avais vue dans 20 ans d'écart je l’avais trouvée déjà géniale. Mais je dois avouer que c’est dans l’émission Rendez-vous en terre inconnue que j’ai eu le coup de foudre. On s’est rencontrées, je l’ai trouvée intense, intelligente et hilarante. Dans son jeu, Virginie ne pousse jamais l’intention, elle est jubilatoire parce qu’elle est dans l’économie.

Et Vincent Lacoste ?


Le duo avec Vincent s’est imposé assez vite. Il a une candeur, une grâce. C’était le seul à pouvoir interpréter le rôle. Je voulais le rendre sexuel pour la seconde partie du film. Lui donner une double image. D’abord celle du mecun peu largué, puis plus virile. Même si je n’ai pas forcément pensé à la différence d’âge, ça m’intéressait que le type vers lequel Victoria se retourne soit un jeune homme candide.

Tu as aussi pris beaucoup de soin dans le choix de tes seconds rôles...


Melvil, il a quelque chose de l’innocent à la Cary Grant, mais qui pourrait cacher une forme de perversion. C’est l’accusé parfait. Laurent Poitrenaux, malgré son rôle d’ex terrifiant, avec son côté barré intello/geek amène une fantaisie tout comme Laure Calamy, l’exaltée du barreau.

Quelle est ta méthode avec les acteurs ? Il y a toujours une grande justesse dans tes films.


Je crois que je dirige les acteurs à l’oreille, c’est à dire que je les écoute plus que je ne les regarde. Mais bon, ça se joue beaucoup au casting puis ensuite sur l’atmosphère en plateau. Je n’ai pas de recette. J’essaie de maintenir une tension pour que les gens ne s’endorment pas. Et je tente des choses différentes au moment des prises pour casser la routine. Mais j’ai été très aidée par Cynthia Arra, très présente sur la direction d’acteurs. Elle ne les lâche jamais.


Est-ce que tu penses persévérer dans la comédie ?


Je rêve de faire un mélodrame.

Mon opinion

Le sourire est présent, les éclats de rire absents. Le meilleur est dans la bande-annonce.

Rien à voir avec une comédie pure et dure. La réalisatrice a déclaré au sujet de Victoria : "Je dirais plutôt que c’est une comédie "désespérée" sur la vie chaotique d’une femme contemporaine." 

L'ensemble reste très sage et manque cruellement de folie. Les références de Justine Triet, Howard Hawks, Billy Wilder, Blake Edwards ou encore Sacha Guitry, ne trouvent dans ce long-métrage que de pâles reflets.

Quelques scènes sont toutefois amusantes, voire burlesques, tels le "témoignage" d'un Dalmatien au cours d'un procès, en référence à Otto Preminger pour son film Autopsie d'un meurtre. Ou encore les échanges de sms entre un accusé et sa prétendue victime.

La plus grande réussite du film tient à la prestation de Virginie Efira, La comédienne est de toutes les scènes. Tour à tour drôle, émouvante, déterminée ou dépressive, combattive et perdue, elle reste crédible de bout en bout.