Date de sortie 14 septembre 2016
Réalisé par Audrey Estrougo
Avec Sophie Marceau, Marie-Sohna Condé, Marie Denarnaud, Eye Haïdara,
Carole Franck, Anne Coesens, Pauline Burlet, Julie Gayet, Aurore Broutin,
Suzanne Clément, Nailia Harzoune, Anne Le Ny,
Naidra Ayadi, Benjamin Siksou, Alice Belaïdi
Genre Drame
Production Française
Synopsis
Pour sauver l’homme qu’elle aime de la prison, Mathilde Leroy (Sophie Marceau) prend sa place en lui permettant de s’évader. Alors que sa survie en milieu carcéral ne dépend que de lui, Mathilde n’en reçoit plus aucune nouvelle.
Isolée, soutenue uniquement par son fils, elle répond désormais au numéro d’écrou 383205-B.
Mathilde deviendra-t-elle une taularde comme une autre ?
Audrey Estrougo a grandi entre Paris et sa banlieue.
C’est d’ailleurs l’univers des cités qui sera le sujet de son 1er film Regarde moi, sorti en salles en 2008.
Bien que très jeune et sans formation cinématographique, Audrey se voit proposer un défi de taille : la réalisation d’une comédie musicale. Toi, Moi, et les autres, fable sociale acidulée, sort sur les écrans en 2011.
Depuis, Audrey Estrougo se bat pour faire exister un cinéma rare et engagé.
Elle réalise en 2013 et sans aucun financement Une histoire banale, qui traite des lendemains du viol.
La Taularde est son quatrième long-métrage.
Entretien avec la réalisatrice.
Propos recueillis par Claire Vassé relevés dans le dossier de presse.
Pourquoi cette envie de mettre en scène l'univers carcéral féminin .
Le projet de La Taularde est directement lié à l’expérience de mon deuxième long métrage Toi, Moi et les autres, que j’ai été présenter dans des prisons d’hommes et de femmes. J’avais vraiment envie de rentrer en contact avec cet univers, aller à la rencontre de ceux qu’on oublie. En me retrouvant ainsi immergée dans cette réalité, je me suis dit qu’il y avait un film à faire de l’intérieur d’une prison de femmes. D’autant plus que c’est un sujet peu abordé au cinéma. À part si ces détenues sont mineures ou enceintes…
En quoi sont-ils si différents ?
Une prison d’hommes correspond en grande partie à l’imagerie véhiculée par le cinéma : un univers très viril, plein de testostérone… J’en suis sortie avec cette certitude que même si je faisais une grosse bêtise dans ma vie, j’avais la chance d’être née du bon côté de la barrière et que je pourrais toujours éviter la prison. En revanche, quand je suis entrée dans une prison de femmes, je me suis dit : "En fait, je pourrais moi aussi me retrouver en prison. Il suffirait juste d’une mauvaise rencontre, d’un moment d’égarement, d’un accident de parcours." Socialement, culturellement, il n’y avait pas d’écart entre ces détenues que j’avais rencontrées et moi. La manière dont les femmes vivent l’enfermement est très intéressante. On est tout de suite dans l’émotion, le psychologique. Alors que les hommes ont un côté plus pragmatique, brutal. Une part d’eux se moque d’être en prison. Ils sont là avec leurs potes de cité, ils fument du chite, jouent sur leur PlayStation avec leurs Nike aux pieds…
Comment avez-vous imaginé le personnage de Mathildde Leroy, incarcérée pour avoir aidé son mari à s'évader ?
Ce qui m’a aussi marquée dans l’univers carcéral féminin, c’est l’omniprésence des hommes malgré leur absence physique : les femmes y pensent, elles en parlent, elles sont là à cause d’eux, parce qu’elles les ont suivis, les ont aidés, se sont sacrifiées pour eux - alors que les hommes, eux, ne se sacrifient absolument pas pour les femmes.
Mathilde m’a ainsi été inspirée par une détenue que j’ai rencontrée – mais dans la vraie vie, son mari s’est fait rattraper au bout de 36 heures de cavale, j’ai juste gardé le principe de l’évasion.
Ce point de départ pemet de plonger dans la réalité de la prison en gardant toujours un pied dans fiction : Mathilde n'est pas n'importe quelle femme mais une héroïne qui croit en son amour, envers et contre tout.
Dans l’atelier d’écriture que j’ai fait en prison, je laissais les filles se raconter sans intervenir pour ne pas imposer ma vision dans leur récit. La vie de ces détenues est devenue pour moi comme une matière première brute – j’ai aussi beaucoup lu – dont le plus dur a justement été de la fictionner. C’est un exercice très compliqué quand on fait ce genre de cinéma très ancré dans le réel : à quel moment raconte-t-on une histoire et à quel moment ne fait-on que retranscrire la réalité ?
Vous nous faîtes pénétrer dans le monde spécifique de la prsion mais la violation de l'intimité et la promiscuité insoutenable que vous mettez en scène renvoient à un sentiment universel ...
Ce qui est fascinant dans la prison de manière générale, c’est qu’elle nous raconte entre quatre murs tout ce qui vrille dans la société. La prison, ça s’entend, ça se regarde, ça se vit, c’est très intense. Il se passe toujours des choses, on est toujours en interaction avec quelqu’un ou quelque chose, il n’y a pas de moment de silence ou de répit. À la fin d’une journée là-bas, quand je rentrais chez moi, j’avais l’impression d’y être restée quatre ans. J’ai retenu la phrase d’une détenue : "Que tu passes une journée, dix jours, dix mois ou dix ans en prison, c’est pareil." À partir du moment où l’on te donne un numéro d’écrou, que l’on te retire ton identité et ce qui te caractérise, le processus de destruction lente est enclenché.
Comme dans Toi, Moi et les autres, le point de départ est la confrontation de deux mondes qui n'ont rien à voir : Mathilde l'intellectuelle face à des détenues issues d'un milieu plus défavorisé.
La prison est un monde dans le monde, qui recrée le broyage social et la fracture de notre société. Des femmes comme celles jouées par Sophie Marceau, Suzanne Clément ou Anne Le Ny, plutôt matures, sont là parce qu’elles ont aidé leur mari, ou l’ont tué parce qu’il la battait… Et des femmes comme le personnage joué par Alice Belaïdi sont là parce qu’elles ont joué aux petites racailles comme les hommes. Elles parlent comme eux, font les mêmes trafics d’armes, dealent le même chite. À un moment donné, elles défient les hommes et revendiquent le girl power, comme à sa manière une Beyoncé. On retrouve en prison les mutations de la société. Au bout du compte, la raison de la présence de ces femmes en prison est toujours liée à un homme : à cause, pour ou pour faire comme un homme.
Elles sont donc prisonnières de la prison, mais aussi d'un modèle masculin.
Oui, ce que racontait aussi Refarde moi, mon premier film, où des filles de cité en arrivaient à violer une autre fille.
Comment avez-vous appréhendé la mise en scène de cet espace singulier ?
Ces femmes sont enfermées 22h sur 24 dans 9 mètres carrés avec une codétenue, voire deux. Ça limite les déplacements, on est très immobile. Comment traduire cet enfermement cinématographiquement ? Avec une caméra fixe, qui ne bouge pas. Et dès que l’on sort en promenade, c’est aussi infernal, mais de manière inverse, en tournant beaucoup autour des protagonistes. Et puis il y a l’omniprésence du bruit, qui renforce l’impression qu’aucune intimité n’est possible. Le week-end, je revenais dans la prison avec des figurantes et je refaisais vivre la prison uniquement pour tourner des séquences sonores, en fonction de ce que l’on avait filmé la semaine. On a également enregistré des vrais sons dans la prison de femmes de Rennes : des conversations de surveillantes, le bip d’ouverture des portes et des grilles… Je voulais que cette vie sonore très particulière soit authentique, prise sur le moment pour entendre soudain des choses très claires jaillir de cette cacophonie. En post-production, j’ai passé deux fois plus de temps en montage son qu’en montage image !
Vous filmez la dureté du monde de la prison mais sans complaisance, dans la noirceur.
Dans la note d’intention que j’avais écrite pour obtenir des subventions, j’avais dit que je voulais mettre du beau dans du laid et de la lumière dans du noir. La prison n’est pas drôle mais sans tomber dans la comédie, je voulais filmer des moments plus légers que j’ai moi-même vécus avec ces détenues. Il se passe de très belles et fortes choses entre elles. C’est une caractéristique universelle de l’être humain : à un moment, on est les mêmes bêtes et on arrive à se trouver, et se donner. La rencontre de Mathilde avec le personnage de Suzanne Clément est hyper importante pour Mathilde. C’est elle qui lui permet de se retrouver, de se relever.
La promiscuité suvie devient effectivement délicieuse quand Mathilde partage sa cellule avec cette femme. On oublierait presque qu'eles sont enfermées.
Oui, quand elles ont les fesses dans leurs bassines, on voudrait presque partager ce moment avec elles ! On oublie qu’elles sont dans 9 mètres carrés et qu’elles font un bain de siège parce qu’elles ne peuvent pas se laver tous les jours. Rien n’est entièrement blanc ou noir dans leur quotidien, je ne voulais pas tomber dans une caricature mais infuser au bon moment les contradictions qui font que l’on n’est pas d’une seule couleur.
Votre désir de beauté se retrouve dans les plans, souvent très composés ...
Le but d’une prison, c’est que l’on puisse vous voir où que vous soyez – la fameuse panoptique dont parle Foucault. D’où ces prisons en étoile. Visuellement, cet espace est très riche, cela aurait été idiot de le filmer caméra à l’épaule. D’où ces plans souvent fixes, et peu nombreux pour saisir la cinématographie dingue de l’endroit. Tous ces parallélismes, ces perpendiculaires... Les détenues témoignent : "Quand tu fermes les yeux, à un moment, tu finis toujours par voir des barreaux. C’est là où tu sais que tu es enfermée." Eh bien moi, à passer dix heures par jour en prison – et pourtant je rentrais le soir dans mon appartement –, au bout de deux semaines de tournage, j’avais la même obsession. Et puis j’ai tourné en scope, ce qui rend ces lignes un peu obliques. Le scope, c’est le cinéma à l’état pur. Avec Guillaume Schiffman, mon chef opérateur, on voulait trouver le juste équilibre : raconter graphiquement cet endroit sans pour autant le sublimer.
Où avez-vous tourné ?
On a tourné dans une prison désaffectée à Rennes, qui avait fermé deux ans plus tôt. Tout était encore très présent, on sentait le poids de ces lieux, chargés d’énergie. Vivre l’enfermement est très différent de s’en faire une représentation, je trouvais important de se confronter à cette réalité. En répétitions, j’ai aussi fait venir des anciennes détenues et des surveillantes que j’avais connues à Fleury-Mérogis. Les comédiennes ont pu leur poser des questions, échanger avec elles. Et quand on est parti tourner, on a passé une après-midi entière dans la plus grande prison de femmes de France. C’est fou de se retrouver face à ces femmes qui pourraient être nous.
Face au personnage de Mathilde, les autres étenues ont beau être des personnages secondaires, elles existent fortement ...
C’est beaucoup lié, je crois, au travail que je mène en amont avec les comédiens. Depuis mon premier film, avant le tournage, je les réunis dans un théâtre pendant deux semaines à un mois selon les besoins et le budget du film. Tout le monde a lu le scénario mais on met de côté celui-ci pour travailler les personnages et se raconter les liens qui les unissent en amont de l’histoire. Pour ces bandes de filles en prison, tout en ayant en tête leur rôle dans l’histoire, on inventait des coups durs, des moments plus drôles, des alliances, des trahisons… D’où cette impression qu’elles sont enfermées ensemble depuis mille ans.
Là aussi, on imaginait leur historique avant le début du film : Mathilde vit seule avec son fils mais qui est le père de celui-ci et le connaît-il ? Et comment a-t-il réagi quand elle lui a présenté celui qui est devenu son mari ?
Cette méthode permet au comédien de se trouver dans le jeu, de caractériser son personnage, de savoir qui il est. Et de jouer avec les autres, de se trouver des affinités. Ce qui entraîne ensuite un gain de temps terrible sur le plateau car tous savent ce qu’ils ont à interpréter. Et puis ne jamais s’éloigner de l’histoire sans pour autant travailler directement sur le scénario permet de conserver sa fraicheur à celui-ci.
Comment dirigez-vous les acteurs ?
Je crois beaucoup à la spontanéité et à l’instinct du jeu au cinéma. Quoi qu’il arrive, la caméra attrape quelque chose de l’humeur du moment, dans une scène que l’on ne refera plus le lendemain. C’est valable aussi pour moi qui filme. On fait avec ce que l’on est à l’instant même. Ce n’est pas comme au théâtre, où l’on peut s’améliorer au fil des répétitions et des représentations. Cet éphémère est à la fois sublime et tragique.
Tous les acteurs ne sont pas réceptifs de la même manière mais je suis toujours à la recherche de leur authenticité. Comment leur faire incarner un personnage sans que ce soit trop fabriqué ? Forcément que le personnage n’est pas eux mais j’aime me mettre à cette frontière où je m’inspire de qui ils sont pour les amener au rôle. Pour cela, j’ai besoin de les connaître par coeur, de comprendre à quoi ils sont sensibles. Notamment grâce à ces semaines de répétitions en amont qui me permettent également de poser un cadre qui me rassure et grâce auquel je peux leur laisser une grande liberté puisque je sais moi-même où je vais.
Comment s'est fait le choix de Sophie Marceau ?
Je ne pensais pas à elle en écrivant. Mais un jour que j’étais sur le quai de la gare de Marseille avec une amie, celle-ci me dit : "Regarde, il y a Sophie Marceau." Je n’y croyais pas. Mais effectivement, cette madame tout le monde était bien Sophie. Ce qui m’a tout de suite saisie, c’était son côté très fort, très ancré dans le sol et en même temps très fragile. Je trouvais étonnant que cette contradiction en elle ait si peu été utilisée au cinéma.
Et donc elle a fait son trajet en train, j’ai fait le mien… Et puis j’ai entrepris les démarches pour la rencontrer. Sa première réaction à la lecture du scénario a été : "C’est super, mais je ne vais pas le faire car tu aimes tous les personnages, sauf celui que tu me proposes. C’est très perturbant." Elle avait raison, à cette étape du scénario, le personnage de Mathilde n’était pas encore assez abouti, j’étais encore trop dans le réel, pas assez dans la fiction. Sophie a une lecture très intelligente des scénarios. J’ai alors fait appel à une scénariste car j’écrivais seule cette histoire depuis un an et demi et j’ai retravaillé le texte en m’attachant à inclure le personnage de Mathilde dans cette histoire, à lui donner sens. De temps en temps, je faisais lire à Sophie une nouvelle version, on prenait un café ensemble, elle m’encourageait, me questionnait…
Comment s'est passé le tournage avec elle ?
Sophie est exposée depuis qu’elle a 13 ans, elle se protège beaucoup, mais quand elle vous laisse passer la barrière – ce qu’elle a fait avec moi –, c’est une personne adorable, très loyale, fiable. J’ai rarement vu une comédienne travailler autant. Et tenir à ce point ses engagements. À partir du moment où elle te dit oui, jamais elle ne se rétracte. Elle sait pourquoi elle a accepté et elle y va. Sur ce film, je crois que je lui ai permis de se sentir libre d’être elle-même. En tout cas, c’était l’enjeu. C’était très courageux de sa part d’accepter d’être ainsi le pilier d’un film où elle est de tous les plans, nue, habillée avec des vêtements d’Emmaüs, pas maquillée.
Elle sait très bien qu’on ne verra qu’elle mais elle y est allée, sans jamais chercher à tirer la couverture à elle. Elle s’est nourrie des autres comédiennes, elle s’est fondu dans le groupe.
Et le choix de Suzanne Clément ?
Je l’avais trouvée démente dans Laurence Anyways de Xavier Dolan. Suzanne est un animal. Ce n’est que ça d’ailleurs : de l’instinct. Avec aussi une autre façon de faire ce métier parce qu’elle n’est pas française, ce qui était à la fois déstabilisant et enrichissant. Et puis il y a eu cette évidence avec Sophie dans le jeu, qui rendait les choses faciles entre elles.
Le film raconte aussi le quotidien des surveillantes ...
À un moment, j’ai même pensé faire le film du point de vue d’une surveillante ! Les surveillantes sont emprisonnées au même titre que les détenues. C’est un métier hyper difficile et ingrat qu’il faut assumer : tu es en sous-effectif, tu te fais insulter tout le temps, tu parcours 8 kilomètres de couloirs par jour… Surveillant de prison est un des rares métiers en France que l’on peut exercer sans aucun diplôme. Ça raconte aussi le choix par défaut ultime.
Le personnage de surveillante joué par Carole Franck, qui dit bonsoir aux détenues comme à ses propres enfants, apporte beaucoup d’humanité.
Malgré les difficultés de ce métier, il y a des surveillantes qui aiment leur métier. Ou qui ont appris à l’aimer, et qui sont persuadées qu’elles sont là pour être utiles, apporter de l’amour. Tout en essayant de bien faire leur boulot, sans transgresser les règles, elles papotent avec les détenues, sont arrangeantes avec elles. Souvent d’ailleurs quand elles partent à la retraite, elles reçoivent des lettres de remerciements. Il n’y a pas qu’un rapport de soumission et de force, c’est très beau.
Et la surveillante qui a un problème d'identité par rapport à ses origines arabes ...
C’est la petite rebeu de cité qui a trouvé ce boulot parce qu’elle s’est fait jeter d’ailleurs. Et qui se retrouve face à des filles qui pourraient être elle. Et vice-versa. C’est très dur pour elle de se définir. Et comme la prison rend vite fou, elle vrille complètement. Il y a beaucoup de surveillantes comme elle, des filles blacks ou beurs pleines de contradictions qui votent Front National à force de voir ce qu’elles voient.
Tout en étant soucieuse de rendre compte de la réalité, vous jouez avec le pouvoir du cinéma et de la fiction.
Comment emprunter les parallèles que propose la fiction ? Comment rester dans le réel mais s’en évader assez pour sublimer son sujet ? C’est ça faire un film, je crois : transcender son sujet. Les deux seuls moments où j’ai dérogé vraiment à la réalité, c’est dans les scènes de parloirs. Aujourd’hui, en général, ils sont individuels. Mais pour les besoins dramatiques de mon film, je préférais que tout se passe à la vue de tout le monde. Et dans la scène au mitard qui est un moment où le cinéma l’emporte clairement sur le réel. Je voulais absolument raconter par le cinéma ce temps qui passe. D’où le choix de ce long travelling – incohérent dans une pièce de 5m carrés.
Dans la scène où son fils essaye de donner un portable à Mathilde, vous jouez totalement le suspense ...
Le cinéma en prison est un cinéma de genre et j’avais aussi envie d’exploiter cet aspect-là. Il y a quatre scènes de parloir entre Mathilde et son fils. Comment ne pas faire le même plan tout le temps, se réinventer ? Et aussi dans cette dernière scène, comment amener du suspense ? D’où ce travelling circulaire qui se rapproche petit à petit, jusqu’à la perte du téléphone, et qui raconte aussi le passage de témoin qui est en train de se jouer, au propre comme au figuré :
Mathilde fait faire à son fils ce qu’elle-même a fait pour son mari – elle avait introduit une arme en prison, son fils introduit un portable.
Sans être dans un ciméma ouvertement de dénonciation, La Taularde montre la contreproductivité d'enderfer les gens dans de telles conditions ...
Je reste persuadée qu’enfermer les gens comme on le fait en France ne sert strictement à rien, juste à les broyer, les démembrer. À la fin, Mathilde se retrouve dans la même cellule, avec la même codétenue et on peut se dire qu’elle va revivre le même cauchemar mais non, c’est ce que je disais à Sophie : "Tu n’es plus la même, tu ne vas plus subir". Son rapport aux autres et à elle-même a changé. Elle a tout appris, tout compris de ce lieu. S’il devait y avoir une suite, elle serait le parrain de la prison !
Les filles dans la cité (Regarde moi), les sans papiers (Toi, Moi et les autres), le viol (Une histoire banale) aujour'hui la prison ... Chacun de vos films s'empare de sujets sociaux forts.
Après quatre films, c’est évident que c’est comme ça que je définis ma position de réalisatrice. Au-delà du fait que je suis cinéphile et que j’aime voir des films, je fais du cinéma en tant que citoyenne pour souligner ce qui ne va pas. Sans me comparer à lui, bien sûr, j’ai une démarche assez similaire à Ken Loach, dont le cinéma détruit les schémas, pointe du doigt les systèmes.
À la fin du film, que l'amour entre Mathllde et son mari ne soit pas une illusion fait jaillir une lumière qui, paradoxalement, permet de complètement assimiler la noirceur du film : la dureté endurée par Mathilde valait le coup.
Si son mari l’avait trahie, le film racontait : une de plus qui s’est fait avoir. Et basta. Une fin logique et attendue, mais décevante sur l’humanité en général. Alors que là, d’un coup, quelque chose de l’ordre du vrai et de l’amour demeure. Et qui est d’autant plus lumineux que ça fait une heure et demie que l’on est témoin de la face obscure de notre monde.
Mon opinion
Un film qui n'est pas sans en rappeler d'autres.
Le travail de recherches et d'écoute d'Audrey Estrougo, jeune réalisatrice et scénariste, lui permet de livrer ce film, dur, incisif, féroce et sans concession sur l'univers carcéral féminin. Elle a déclaré : "La prison est un monde dans le monde, qui recrée le broyage social et la fracture de notre société."
La mise en scène utilise cet enfermement avec une grande subtilité. La déprime, la colère, la manipulation, touchent avec la même violence surveillantes et détenues.
La direction d'acteurs est d'une parfaite maîtrise et l'ensemble du casting particulièrement brillant. Avec, entre autres, la toujours convaincante Suzanne Clément, mais aussi Anne Le Ny, dans un rôle détestable, Carole Franck en matonne au grand cœur, ou Marie-Sohna Condé en "chef" implacable Alice Belaïdi en révoltée magnifique, ou encore Nailia Harzoune et toutes les autres comédiennes qui accentuent ce sentiment d'étouffement, de colère et d'écœurement.
Sophie Marceau est remarquable. Dans un dénuement total, cette longue descente aux enfers et face à la caméra impitoyable, elle convainc et rayonne.