DVD/BLU-RAY : L’AUTRE : À la vie, à la mort ★★★★★+♥

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Une ode à l’amour fraternel, par-delà les frontières du rationnel.

À l’occasion de sa ressortie en version restaurée DVD/Blu-Ray, L’Autre de Robert Mulligan vient réaffirmer si besoin était sa puissance ténue et son élégante étrangeté à une époque où les effets criards dominent le cinéma fantastique et horrifique. Moins connu que d’autres grandes références du genre, son influence reste encore déterminante aujourd’hui auprès de jeunes cinéastes tels que James Wan. Le souci psychologique et les échappées oniriques qui caractérisent le film rappellent ainsi l’importance du point de vue lorsqu’il s’agit de contrarier la surface du réel. Le récit suit le parcours de deux frères jumeaux, d’une dizaine d’années, qui occupent leurs journées comme ils peuvent, aux abords de la propriété familiale où logent leur mère et leur grand-mère ainsi que leurs oncles et tantes. Très vite, le plus jeune des deux, Niles, se découvre des aptitudes tout à fait particulières. Il ressent et anticipe certains évènements, souvent sinistres, mais prend cela comme un jeu. Pourtant, une vérité bien plus pragmatique attend d’être révélée.

Vous l’aurez compris, les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être et il revient donc au spectateur d’interpréter chaque signe afin d’élucider cette mystérieuse histoire. S’il est relativement facile de comprendre de quoi il retourne, le film a la bonne idée de nouer les angoisses et blessures intimes de Niles à l’existence possible d’un au-delà, d’un monde secret invisible au commun des mortels. Il faut voir cette scène à la fois sublime et inquiétante où le jeune garçon entre en transe et pénètre vraisemblablement l’esprit d’un corbeau. À cet instant, le miracle a lieu, la caméra substituant le regard de l’enfant à celui de l’oiseau, qui vole au-dessus de la campagne avant d’atterrir prématurément. En quelques minutes, tout est dit, du souffle de liberté dont rêve le héros à sa peur de redescendre sur Terre. La suite n’aura de cesse d’approfondir l’ambiguïté souterraine qui habite Niles, à la fois extrêmement proche de son frère aîné, à qui il se confie à coeur ouvert, et conscient de l’emprise malsaine qu’il exerce sur lui. Peu de films ont su traiter de la gémellité avec une telle complexité dramatique, et la mise en scène n’y est pas étrangère.

Mulligan organise les interactions entre les personnages tel un mystificateur, qui mentirait par omission. Alors que certains réalisateurs auraient opté pour l’imbroglio narratif au risque d’escamoter la cohérence interne de l’intrigue, lui conserve une linéarité dirons-nous « classique », limpide, dans ses choix de cadre. Quand bien même le spectateur a des raisons valables de chercher une réponse, l’évidence demeure sous nos yeux et le défi que relève Mulligan est d’introduire de l’implicite là où il n’y a que de l’explicite. Les nombreuses ellipses créent ainsi du vide et parasitent subtilement la continuité logique en brouillant ce que l’on prenait pour acquis. C’est aussi le travail sur les apparitions et disparitions qui nous perd avant de nous mettre finalement sur la voie. Signalons par ailleurs l’utilisation judicieuse du jour (la première heure ensoleillée du film) et de la nuit (le dernier acte crépusculaire) comme révélateurs du mal qui ronge Niles. Arrivé à son terme, le récit bascule dans un pessimisme total et s’achève sur un plan très émouvant de l’enfant, le regard hagard, derrière la fenêtre de sa chambre, victime des liens qui l’unissent à jamais à son frère.

Réalisé par Robert Mulligan, avec Chris Udvarnoky, Martin Udvarnoky, Uta Hagen

Disponible en édition collector chez Wild Side Video depuis le 14 Septembre 2016.