“Where to invade next” de Michael Moore

Il y avait bien longtemps que nous n’avions pas eu de nouvelles de Michael Moore, le cinéaste le plus engagé des Etats-Unis. Il s’est écoulé neuf ans, exactement, depuis la sortie de Capitalism : A love story, charge contre les dérives de l’ultra-libéralisme et les compromissions politiques qui ont permis la mise en place de ce système dévastateur pour la société américaine. On s’inquiétait un peu de son silence, surtout alors qu’une nouvelle élection présidentielle se profile au pays de l’Oncle Sam et qu’un énergumène comme Donald Trump a de sérieuses chances de la remporter.
Rassurez-vous, le trublion du cinéma américain est toujours là, et il est toujours aussi combatif! Si Moore disparu, c’était pour faire le tour du Monde. Mais attention, pas un tour du monde en tant que touriste. Plutôt un tour du monde en tant que patriote, au service des Etats-Unis, prêt à aider son pays à redevenir une grande puissance.

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En préambule de son nouveau film, Where to invade next, le cinéaste américain explique que, suite à des décennies de débâcles militaires, les soldats se sont rebellés, refusant désormais d’aller servir de chair à canon pour conquérir des pays comme l’Iraq ou l’Afghanistan. Conscient que l’expansionnisme est un des piliers du “Rêve Américain”, Michael Moore se propose donc de prendre le relais et de partir à la conquête du reste du monde. Evidemment, à lui tout seul, il ne saurait occuper un territoire, alors il part plutôt à la conquête de bonnes idées qui pourraient aider son pays à progresser.

Armé d’un esprit conquérant, d’un oeil acéré et d’un drapeau américain, le bon Mike débarque donc en Europe.
Première étape : l’Italie.
Là, il constate que les gens ont tous le teint hâlé et “l’air de gens qui viennent de faire faire l’amour”. Leur secret? Ils ont cinq semaines de congés payés, contre… zéro aux Etats-Unis, à moins de travailler dans une grande entreprise ou dans une branche où les syndicats sont très puissants (1). Pendant leurs vacances, les italiens se détendent, bronzent, profitent de la vie, découvrent même d’autres pays étrangers.
D’accord, mais comment paient-ils cela, se demande le cinéaste américain? Eh bien avec leur prime de treizième mois, répondent les italiens.
Quoi? Un mois de salaire en plus, sans travailler?!? Comment est-ce possible? Une telle chose est Inimaginable dans une société américaine! Les patrons italiens ont probablement dû accepter cette mesure sous la contrainte. Ce n’est pas possible autrement… Et pourtant, les patrons qu’il interroge sont tous ravis de ce système. Ils trouvent normal et sain que leurs employés prennent du bon temps et reviennent travailler en pleine forme après leurs congés.
A partir de là, il faut bien admettre que le concept est séduisant. Hop! Adopté! Par les pouvoirs qui lui sont conférés, Michael Moore colonise cette idée au nom du peuple américain.

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Deuxième étape : la France. Michael Moore aurait pu aussi s’intéresser à notre organisation du travail, aux 35 heures. Mais son périple en Italie lui a ouvert l’appétit et il s’empresse donc d’aller manger dans un restaurant gastronomique! Ah non, tiens, il s’agit en fait d’une cantine scolaire, dans un petit village en Normandie… Il découvre, ébahi, que les municipalités financent les cantines scolaires et s’impliquent pour que les enfants aient de vrais repas équilibrés. Evidemment, rien de tout cela n’existe aux Etats-Unis.  Comparé aux cantines américaines, les cantines françaises sont effectivement des restaurants gastronomiques…

Son périple l’emmène ensuite dans différents pays, de Slovénie jusqu’en Norvège, en passant par l’Allemagne, la Finlande, etc.
Chaque nouvelle étape est source de découvertes fascinantes : un système éducatif gratuit et efficace, une aide sociale performante, une justice incorruptible et un modèle carcéral idéal, un milieu politique où existe une parité homme-femme, de droits identiques pour les habitants quelle que soit leur couleur de peau.
Il pousse même jusqu’en Tunisie pour découvrir que le gouvernement au pouvoir, pourtant très conservateur et religieux (2), a mené à bien des réformes démocratiques que les Etats-Unis sont toujours incapables de faire.

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Evidemment, les détracteurs du cinéaste américain vont se faire un malin plaisir de démonter son argumentation et ses raccourcis, il est vrai un peu faciles. Michael Moore est un petit malin qui sait manipuler les chiffres à sa convenance et qui ne montre que les images qui peuvent servir son propos. De fait, il ne montre que des choses positives et  élude sciemment les problèmes pouvant être rencontrés dans tous ces pays-modèles dont il vante les mérites. Un regard un peu plus critique n’aurait pas fait de mal…
Cela dit, il faut bien comprendre que ce Where to invade next, bien que très drôle et très instructif pour un spectateur européen, s’adresse essentiellement au public américain. Moore essaie de toucher tous ceux qui pensent que le mode de vie américain est jalousé par le reste du monde et que le système démocratique des Etats-Unis est parfait en l’état. Le cinéaste veut leur prouver qu’ils ont tort, que d’autres systèmes existent, sans être des républiques bananières ou des modèles communistes radicaux. Pour cela, il utilise les mêmes armes que ses opposants, manipulation d’images, de chiffres et une bonne dose de mauvaise foi. La différence, c’est que sa démonstration à lui est brillante, ludique et portée, comme toujours par un humour décapant.

Si par malheur, Michael Moore était amené à fuir son pays suite à l’élection présidentielle, nous sommes prêts à lui accorder l’asile politique. Il pourra continuer à combattre les injustices qui frappent son pays et s’intéresser d’un peu plus près à celles qui touchent la France et les autres pays d’Europe.
En attendant, laissons Where to invade next coloniser nos salles obscures et régalons-nous de ce film qui nous laisse à penser que, malgré les difficultés, notre pays n’est sans doute pas le plus à plaindre…

(1) : Aux Etats-Unis, les congés payés ne sont pas une obligation légale. L’usage veut que dans les grandes entreprises, deux semaines de congés payés soient octroyées aux salariés, mais environ un quart des salariés américains ne bénéficient d’aucun jour de congé payé. Il doivent prendre des jours sans soldes pour partir en vacances.
(2) : Le film a été tourné alors que le Parti Ennahdha était au pouvoir en Tunisie.


Where to invade nextWhere to invade next
Where to invade next
Réalisateur : Michael Moore
Avec : Michael Moore
Origine : Etats-Unis
Genre : Documentaire roublard, hilarant et énergisant
Durée : 2h00
date de sortie France : 14/09/2016
Contrepoint critique : Libération