BEN-HUR : Tu ne prendras point le nom de Dieu en vain ★☆☆☆☆

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Un remake aussi laid que dangereux.

Le remake n’est pas nécessairement synonyme de mercantilisme ou de cynisme. Il existe d’une part depuis les débuts du cinéma, et peut d’autre part amener un nouveau point de vue sur une œuvre qui mérite d’être modernisée. Il a donc pour challenge de prouver sa légitimité au public, malgré une réticence de plus en plus accrue de celui-ci depuis la panne d’inspiration évidente de la machine à rêves hollywoodienne. Si cette méfiance amène parfois à une haine aveugle (le récent remake de RoboCop, sans être parfait, a su approfondir certaines thématiques du chef-d’œuvre de Verhoeven), force est de constater qu’elle se justifie la plupart du temps avec des bouses infâmes telles que Carrie, Poltergeist et autres Point Break, produits calibrés et blasphématoires pensés par des costards cravates pétochards pour amasser de l’argent sur une franchise juteuse.

Néanmoins, le désintérêt généralisé des spectateurs devient plus que jamais sentencieux quand on regarde les résultats parfois catastrophiques de ces productions au box-office. Et comme pour nous prouver qu’il demeure une forme de justice dans ce monde, Ben-Hur semble bien parti pour se transformer en porte-étendard de ces échecs commerciaux. Entre sa promotion désastreuse, l’indifférence face à un projet que personne n’a demandé ou estimé utile (mais nous y reviendrons) ou encore les dreadlocks de Morgan Freeman, ce remake du chef-d’œuvre de William Wyler, lui même adapté d’un roman de Lewis Wallace, a réussi à se mettre tout le monde à dos avant sa sortie, au point de ne même pas rembourser avec ses entrées son budget de 100 millions de dollars, ce qui l’indique d’ors et déjà comme le plus gros flop d’un été de blockbusters qui n’en a pourtant pas manqué.

Pourtant, on le répète, le principe ne paraît pas si absurde. A l’heure où le numérique permet de magnifier une mise en scène ample en créant des décors gigantesques ou en multipliant des centaines de figurants, Ben-Hur aurait pu bénéficier d’une nouvelle vie grâce aux outils modernes du septième art, et ainsi conserver son statut de fresque épique dont nous avons le souvenir. Mais pour cela, le film aurait peut-être dû éviter de se tirer une balle dans le pied en prenant à sa barre le bourrin Timur Bekmanbetov, déjà responsable des très subtils Wanted et Abraham Lincoln : Chasseur de vampires. Que ce soit dans ses réalisations ou ses productions (il est notamment derrière le sympathique Hardcore Henry), le bonhomme est toujours à la recherche d’expérimentations visuelles et de tentatives de renforcement de l’immersion par des placements originaux de la caméra, afin d’amener le spectateur au cœur de l’action.

Le problème, c’est que Bekmambetov n’est pas Michael Bay, et dissimule par ses propositions souvent criardes et laides son incapacité à construire une mise en scène dans son ensemble. Peu aidé par ses acteurs sous Lexomil (à l’exception peut-être de Toby Kebbell, plus investi que les autres), il ne parvient jamais à insuffler une dramaturgie lorsque sa réalisation se veut plus simple, notamment lors de champs contre-champs d’une extrême platitude. Le pire, c’est que le choix d’un cinéaste de pur roller coaster comme Bekmambetov semble avant tout se justifier pour mettre en valeur les deux moments de bravoure principaux du Ben-Hur original : la passage dans les galères romaines et la fameuse course de chars finale. Pas de bol, il réussit l’exploit de nous ennuyer ferme par l’illisibilité de son découpage, dû à la volonté absurde d’une mise en scène à l’épaule indigeste, qui prouve encore une fois que le cinéma de Paul Greengrass n’est pas affaire d’aléatoire, mais bien d’un savoir-faire qui sait rendre clair l’utilisation volontairement chaotique de la caméra.

Le mot aléatoire semble d’ailleurs bien choisi pour décrire ce remake, tant l’entreprise semble n’être conduite que par des choix de production hasardeux, essayant tant bien que mal de transformer en divertissement formaté de deux heures une histoire de conversion lente, une fresque sur le poids du temps et sur sa manière de faire évoluer les êtres qui le traversent. Ben-Hur devient alors l’un des représentants ultimes d’une époque de blockbusters trop remplis, pressés par leur cahier des charges qui révèlent leurs vulgaires coutures, en même temps que leur impossibilité de raconter une histoire. Passant d’une scène à une autre sans travail de transition, Bekmambetov ne parvient jamais à construire une scénographie cohérente, surtout en voulant livrer un récit plus intime (mais pas plus intéressant) focalisé sur ses personnages. Dès lors, même sa vision de la course de chars nous perd par sa multitude de cadres serrés empêchant une spatialisation claire dans le cirque, et donc une tension au fur et à mesure que le dernier tour approche. Le cinéaste a beau placer des GoPros à des endroits improbables (notamment sur un compétiteur tombé de son véhicule et écrasé par un autre char dans l’une des seules fulgurances du film), il ne nous emporte jamais dans l’action, perdu par sa forme quasi-abstraite et l’évolution maladroite de ses personnages qu’il précipite, parce qu’il sait que nous la connaissons déjà.

Ainsi, Ben-Hur ne pourrait être qu’un énième remake raté qui n’apporte rien à l’original. Mais en creusant un peu, on se rend compte que sa profession de foi est encore plus malhonnête que de simplement capitaliser sur un film culte. En effet, son existence est avant tout motivée par ses deux producteurs, Mark Burnett et Roma Downey, couple de fervents chrétiens bien décidé à évangéliser les foules à travers leurs films et leurs séries (il sont également derrière une adaptation en dix épisodes de la Bible). De quoi faire de leur nouveau bébé la pire utilisation possible du blockbuster : une diversion pensée pour abrutir les masses, et servir un prosélytisme nauséabond et anti-cinématographique. Car là où le long-métrage de Wyler réfléchissait à l’impact du Christ dans le récit et dans la vie de Judah Ben-Hur par la sobriété d’une mise en scène qui captait la dimension sacrée du personnage sans avoir besoin de prendre un parti religieux (ce qu’a d’ailleurs montré dans une scène très drôle le dernier film des frères Coen, Avé César !), Bekmambetov cède ici à la facilité en nous présentant Jésus face caméra au bout de quinze minutes. Ce choix laisse alors entrevoir l’invasion progressive dans le récit d’une figure censée seulement croiser la route d’un homme pour changer sa vision de la vie. Cette absence vulgaire de hors-champ plonge d’une part le métrage dans un ridicule de tous les instants (surtout dans sa dernière séquence), mais dévoile d’autre part la dangerosité d’une œuvre réalisée dans une époque où le communautarisme religieux fait déjà bien des ravages. Heureusement, son échec public devrait réduire sa portée. Allez savoir, il s’agit peut-être d’un signe divin…

Réalisé par Timur Bekmambetov, avec Jack Huston, Toby Kebbell, Morgan Freeman

Sortie le 7 septembre 2016.