A une heure où nous sommes prêts à vivre les pires élections dans les grandes puissances mondiales, où la peur contamine la pensée commune, où l'identité national semblerait être le point principal des politiques et du peuple en dépit de problèmes de plus en plus majeures et où la répression violente et inefficace apparaît de plus en plus, prenons quelques minutes pour parler d'un film terriblement prophétique quant à notre époque : " Les Fils de l'homme " d' Alfonso Cuaron.
En 2006, Universal Pictures balance aux spectateurs un projet suffisamment ambitieux pour susciter la curiosité : L'adaptation cinématographique du roman de P.D James, " Les Fils de l'Homme" . A la réalisation, Alfonso Cuaron, metteur-en-scène déjà réputé pour s'être attelé de manière personnelle au troisième volet des aventures d'Harry Potter, " Le Prisonnier d'Azkaban" . Depuis sa projection à la Mostra de Venise, ce long-métrage remarquable n'aura de cesse provoquer les réflexions en terme de mise-en-scène et surtout, en tant qu'objet politique plus que nécessaire aujourd'hui.
La première séquence se pose magistralement en tant que prémisse désenchantée du film. Tandis que le générique défile sous nos yeux, une voix-off annonce les actualités du jour : Emeutes, répressions contre les religions etc... Le premier plan se dévoile enfin, une foule entassée dans un café observe, l'air attristé, ce qui se révélera être par un contre-champ un écran de télévision annonçant la mort du dernier mineur sur Terre. S'en suit alors un court plan-séquence suivant un Clive Owen désabusé, dans ce qui se trouve être un Londres tristement futuriste, et qui se conclue par une explosion dans le café des plus violentes.
En à peine trois minutes, Alfonso Cuaron contextualise et présente concrètement la richesse de son oeuvre : Des plans-séquences tendues filmés par une caméra à la fluidité impressionnante et un contexte géo-politique désespéré n'étant pas si éloigné de notre temps.
Si vous cherchez un seul film pouvant représenter notre monde actuellement, prenez obligatoirement celui-ci. Situé en 2027, le film pourrait être une parfaite dystopie sur une possible Amérique post- Trump ou bien sur un pays comme la France ou l'Allemagne dévasté par les extrêmes. Le décor du film n'a rien d'un Londres aux allures d'haute-technologie. L'imagerie du film peut immédiatement renvoyer aux images de la Jungle de Calais, notamment pendant la partie au camp de réfugié. On se retrouve confronté non pas au monde imaginé par Robert Zemeckis mais bel et bien devant un cri d'alarme quant à nos politiques gouvernementales envers le traitement des migrants et des minorités.
Non seulement le film a le mérite de résonner haut et fort au sein de notre société contemporaine mais il se paye le luxe d'offrir de grands moments de cinéma. La caméra de Cuaron, aidé par le chef-opérateur Emmanuel Lubezki (réputé aussi pour avoir collaboré avec Alejandro Gonzalez Innaritu), nous transporte dans ce monde perdu en n'hésitant pas à se déplacer partout pour montrer des éléments du décor nous déchirant. Débordant de plan-séquences, cet univers chaotique nous renverse de plein fouet avec deux moments phares du film où tout peut basculer. La fluidité des plans-séquences accompagné d'un incroyable travail sur l'environnement des décors donnent au film un réalisme impressionnant, où rien ne peut être perçu accompagnée d'une douloureuse boule au ventre. Pendant 1h34, l'adrénaline s'accroît de plus en plus pour exploser dans un final étourdissant, fort et poignant nous laissant bouche bée.
Si vous ne l'avez pas encore vu, regardez " Les Fils de l'Homme " au moins une fois dans votre vie pour mieux comprendre les enjeux préoccupants de notre société actuelle. Sur fond de dystopie désabusée se cache une oeuvre douloureuse mais nécessaire pour laisser émerger une légère note d'espoir pour sauver notre monde. Si le film d' Alfonso Cuaron fait encore écho dans notre société, dix ans après sa sortie, pourrait-on aussi espérer un " lendemain " meilleur ?
Victor Van De KadsyeP.S : Je vous incite à regarder l'essai passionnant du Nerdwriter sur la dualité entre l'avant et l'arrière plan dans la scénographie de Cuaron.