Avec Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, Léa Seydoux, Vincent Cassel, Marion Cotillard
Chronique : Juste la fin du monde est un film mal aimable, âpre, oppressant, mais il nous prend aux tripes comme rarement. Si le malaise y est permanent, il nous pousse à ne jamais quitter des yeux chacun des membres de cette famille, à scruter la façon dont ils interagissent entre eux, à se questionner sur les raisons de leurs fâcheries, de leurs secrets. Alors oui, ça gueule sans s’écouter, l’hystérie gagne parfois, mais à aucun moment on ne se dit que c’est injustifié (ce qui était la limite de Mommy à mon sens). L’intensité ne faiblit jamais, c’est irrespirable, mais tout le talent de Dolan est de ne jamais nous détourner de ses personnages. Juste la fin du monde, c’est indéniablement lui, à la fois agaçant (un peu) et séduisant (beaucoup), baroque (certainement). Sa réalisation entièrement tournée vers ses acteurs laisse néanmoins peu de place aux effets pops et esthétisants qui magnifiaient les Amours Imaginaires ou Laurence Anyways, mais révèle une nouvelle fois sa remarquable direction d’acteurs.
Ses personnages parlent beaucoup (et bien, très joli travail d’adaptation), souvent en même temps, souvent fort, mais ils restent audibles. Ils ne s’écoutent pas, mais on les entend. Dolan cerne et traduit formidablement bien cette incapacité à communiquer qui cristallise toutes les tensions. Il la met au cœur de son film, chacun s’en accommodant comme il peut. En parlant beaucoup, en s’énervant, en hurlant, en se taisant, en pleurant…
S’il s’agit bien de l’adaptation d’une pièce, on est très loin du théâtre filmé, on en est même à l’opposé puisque le jeune réalisateur capte tout ce qu’on ne peut pas voir au théâtre. La peur ou un regret dans un regard, une épaule qui se détourne, une larme qui point… Sa caméra tourne autour des corps et scrute les visages, au plus près. Ils disent tant…
Dans le chaos que le retour de Louis provoque, Gaspar Ulliel trimballe son regard triste, son teint diaphane et ses longs silences, beau et bouleversant. La complicité immédiate et maladroite qui naît de la relation entre son personnage et celui de la fragile belle-sœur qu’interprète Marion Cotillard (une nouvelle fois au-delà de la justesse) donne ses plus beaux moments au film, feutrés et discrets mais déchirants. A l’opposé, la mère (Nathalie Baye, joliment investie) parle tant qu’elle peut pour éviter les silences, fait les questions et les réponses, alors que le frère et la sœur crient, gueulent et s’engueulent (Cassel et Seydoux très bons également, oui).
Si les dialogues se construisent essentiellement sur l’ellipse et les non-dits, ils sont suffisamment parlants pour que les performances physiques des acteurs finissent de compléter notre compréhension des interactions entre leurs personnages.
C’est la grande réussite de Dolan, insérer une fulgurante et poignante émotion dans ce dîner de famille apocalyptique en s’appuyant sur chacun des membres qui la constitue.
C’est épuisant, fatiguant mais traversé par une force et un souffle romanesque qui s’avèrent terrassant.
Alors oui, le style fait forcément débat et il n’est pas étonnant que le film ait de farouches détracteurs. C’est le jeu… Dolan aurait aussi pu se passer de certaines séquences en flash-back qui n’apportent pas grand-chose. Ça lui aurait permis de consolider un parti-pris de réalisme et d’immersion assez nouveau pour lui (peut-être entraperçu dans Tom à la ferme) et qui lui va plutôt très bien.
Mais lorsqu’un film vous serre le cœur à ce point et vous fout les larmes aux yeux, c’est que son metteur en scène sera parvenu à accomplir la mission qu’il s’est fixé en se mettant derrière une caméra, parler à ceux qui seront devant leur écran, les toucher.
On ressort de Juste la fin du Monde les jambes flageolantes et le regard embrumé. On peut dire que la mission est accomplie.
Synopsis : Après douze ans d’absence, un écrivain retourne dans son village natal pour annoncer à sa famille sa mort prochaine.
Ce sont les retrouvailles avec le cercle familial où l’on se dit l’amour que l’on se porte à travers les éternelles querelles, et où l’on dit malgré nous les rancœurs qui parlent au nom du doute et de la solitude.