Toujours piégé dans sa crise identitaire, Tim Burton propose un nouveau film schizophrène.
La question de la limite de la politique des auteurs ne s’est rarement autant posée qu’avec Tim Burton. De la poésie du monstre à la beauté plastique si singulière de ses chefs-d’œuvre comme Edward aux mains d’argent ou Beetlejuice, il semble aujourd’hui ne rester qu’une vague auto-caricature, que certains continuent de défendre en arborant fièrement l’identité de l’auteur, qui livrerait de légères variations autour des mêmes thématiques de métrage en métrage. D’un autre côté, on peut comprendre la réticence du public à voir Burton sortir de sa zone de confort (La Planète des singes), mais son désintérêt pour des œuvres plus différentes, à l’instar du mésestimé Big Eyes, ne peut qu’inciter le cinéaste à (re)tomber dans ses propres clichés.
Ce dédoublement de personnalité est ainsi l’enjeu majeur de la filmographie de Tim Burton depuis maintenant plus de dix ans. Vaut-il mieux rester à un style maîtrisé et rassurant, quitte à le dénaturer, ou prendre des risques pas toujours payants ? Voilà la crise identitaire que traverse le réalisateur et Miss Peregrine et les enfants particuliers, son nouvel opus adapté d’un roman de Ransom Riggs, qui paraît presque trop évident pour le cinéaste. Après le décès mystérieux de son grand-père Abe (Terence Stamp), Jake (Asa Butterfield) découvre que les histoires qu’il lui racontait, à savoir l’existence d’êtres dotés de pouvoirs et réfugiés dans des boucles temporelles, sont bien réelles. Le deuil, la différence, l’acceptation, tant de thèmes burtoniens que l’on a l’impression de voir dans un énième melting-pot mal digéré, jusqu’à ce que le premier plan du film, l’image d’une plage ensoleillée, ne nous surprenne par un cut sec juste après le générique (par ailleurs non-signé par Danny Elfman).
Cela peut paraître anodin, mais pour un réalisateur habitué aux transition lentes et soignées, ce cut a tout de la profession de foi. Plus proche stylistiquement de l’épure de Big Eyes que de la dimension expressionniste de Sleepy Hollow, Miss Peregrine est un film qui file droit, qui évite au maximum les exubérances techniques, et se contente de la lumière magique de Bruno Delbonnel pour instaurer petit à petit le merveilleux au sein du quotidien. Dans sa première partie assez fascinante, le métrage se mue en véritable conte fantastique. Mis à part la découverte du grand-père défunt, inspirée comme à l’habitude de Burton par le cinéma de la Hammer, le long-métrage limite l’expression visuelle de son univers, lui préférant la suggestion, comme avec ses monstres invisibles ou encore cette grotte faisant passer d’une temporalité à une autre avec un simple filet de brume et un léger effet sonore.
De ce « réalisme » déguisé, le cinéaste puise une idée malheureusement sous-exploitée. A travers plusieurs flash-backs dessinant la relation entre Jake et Abe, l’enfant se montre douteux et répète les propos de son père, ignorant cynique qui lui sous-entend que toute cette histoire est bien réelle en tant que métaphore de la Seconde Guerre mondiale, et plus précisément de la persécution des Juifs. Burton mêle ainsi le rapport entre la réalité et les fictions qu’elle peut générer dans son sillage. La légende vient ici inspirer le réel, et non l’inverse. Néanmoins, ce lien aurait mérité une puissance supplémentaire en insufflant au récit un plus grand sens tragique pour rappeler le poids horrifique de l’Histoire, comme l’a si bien fait Guillermo Del Toro avec son Labyrinthe de Pan. Miss Peregrine souffre de son édulcoration, et du rejet que Burton semble avoir des problématiques de son sujet qu’il ne transcende jamais, afin de le garder dans des eaux connues. Difficile cependant de ne pas voir les convergences du scénario avec la saga des X-Men, qui a su pour sa part offrir, aussi bien dans ses comics qu’au cinéma, des idées saisissantes et parfois matures autour des obsessions qui sont pourtant celles de Burton.
En résulte qu’il ne sait pas où mener son histoire au bout de la première heure, ni même ses personnages. Outre la flemmardise de l’exploitation de leurs facultés (notamment celle des deux jumeaux cagoulés, passifs jusqu’au dernier acte et utilisés comme un deus ex machina prévisible), leurs relations sont construites sur des bases trop fines, à l’exception de l’amourette évidente entre Jake et Emma (envoûtante Ella Purnell). Une nouvelle fois, Tim Burton trébuche sur son manque de prises de risques, ce qui l’empêche de traiter en profondeur les thèmes et les règles de son métrage. Les notions autour du voyage temporel deviennent vite floues, tandis que l’enjeu des antagonistes (menés par un Samuel L. Jackson cabotin jusqu’à la gêne) paraît bien maigre en vue du build-up de l’ensemble, qui se vautre violemment dans le grand-guignolesque auquel Burton a fini par nous habituer.
Entre des scènes d’action mollassonnes, une gestion du temps et de l’espace approximative et une flopée de clins d’œil poussifs (dont un hommage à Jason et les Argonautes, qu’il a déjà exploité dans un clip des Killers), il nous donne l’impression d’être devant une énième parodie de lui-même, servi dans un emballage de mièvrerie à l’opposé de ce qu’il a longtemps défendu. L’échec est d’autant plus cuisant que Miss Peregrine et les enfants particuliers aurait pu être une vraie rencontre entre un auteur et son sujet, une cure de jouvence pour un cinéaste qui reviendrait à l’essence de son style sans pour autant tomber dans les stéréotypes qu’il représente. Le long-métrage n’est alors pas sans posséder une part d’ironie, en jouant avec des boucles temporelles dans lesquelles Tim Burton semble prisonnier.
Réalisé par Tim Burton, avec Asa Butterfield, Eva Green, Terence Stamp…
Sortie le 5 octobre 2016.