“La Taularde” d’Audrey Estrougo

“Enlève tes vêtements!” ordonne la surveillante-chef (Marie-Sohna Condé) à Mathilde Leroy (Sophie Marceau), la nouvelle détenue du Centre Pénitentiaire pour Femmes de Rennes.
“Qui vous a permis de me tutoyer?”, s’offusque cette dernière, pas vraiment habituée à tant de familiarité. A vrai dire, elle ne semble pas à sa place dans cet univers carcéral dur et sombre. on profil est différent de celui des autres détenues. Elle ne semble pas venir d’une cité de banlieue et on l’imagine mal arrondir ses fins de mois en se prostituant ou en dealant de la drogue.
On apprendra plus tard que cette professeure de littérature est incarcérée pour avoir aidé son mari, un activiste braqueur de banques, considéré comme un “Robin des Bois” moderne, à s’évader de prison. Contre l’avis de son avocate (Julie Gayet) et de son fils (Benjamin Siksou), elle refuse d’aider la police à retrouver le fugitif. Elle a préféré se sacrifier pour permettre à l’homme qu’elle aime d’être libre, même si elle n’a pas vraiment réalisé ce qu’impliquait ce choix.
La surveillante-chef  se charge de lui rappeler qu’ici, elle n’est pas en position de force : “Dépêche-toi. Enlève tout.”. Mathilde n’a d’autre choix que de s’exécuter. Elle se retrouve nue dans une pièce sombre et froide, sous le regard dur de cette femme qui lui est d’emblée antipathique. Ses effets personnels lui ont été enlevés. Son identité aussi, remplacée par un numéro de matricule…

La Taularde - 3

Toute l’idée du film est contenu dans cette séquence introductive. La cinéaste, Audrey Estrougo, veut signer un film “coup de poing” décrivant avec un style réaliste, froid et clinique, les conditions de vie des détenues dans une prison de femmes. Mais elle entend aussi donner à Sophie Marceau l’occasion de se mettre à nu, au propre comme au figuré, et de jouer un rôle plus fort que ceux qu’elle a eu à défendre depuis une dizaine d’années. C’est là que le bât blesse, car évidemment, la cinéaste se sent obligée de construire le récit autour d’elle et de sa “performance”, et cela vampirise complètement le film. La star est quasiment de toutes les scènes, de tous les plans. C’est à travers elle que l’on découvre l’univers de la prison de femmes. Hélas, on ne croit pas un seul instant à son personnage, trop lisse, ni à son histoire. Et comme le jeu de Sophie Marceau flirte souvent, ici, avec le cabotinage, il est bien difficile d’adhérer au dispositif mis en place par la cinéaste.

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En fait, plutôt qu’à une plongée dans un enfer carcéral, on a droit aux malheurs de Sophie en prison. Attention, c’est violent…
Comme par hasard, la taularde  est forcée de cohabiter avec la détenue la plus violente et désagréable de la prison, Kanté (Eye Haidara, une des rares satisfactions du film), qui s’empresse de monopoliser la télécommande de la télévision et de lui voler son matelas. La nuit, elle a donc du mal à dormir, ce qui n’est pas plus mal, vu que les matelas sont infestés de punaises de lit et que sa colocataire s’avère être une lesbienne vicieuse, du genre à vous violer sous la menace d’une brosse à dents métamorphosée en poignard. Evidemment, elle se plaint aux surveillantes et au médecin du centre, mais tout le monde reste sourd à ses petits problèmes. Elle essaie aussi de trouver du soutien auprès d’autres détenues, mais comprend vite, à ses dépens, qu’il est difficile de faire confiance à qui que ce soit dans cet environnement…
Mathilde réussit finalement à changer de cellule et tombe sur une détenue plus sage et bienveillante (Suzanne Clément). Mais la vie reste difficile, comme quand cette méchante gardienne (Naidra Ayadi) interdit aux détenues… de porter des tresses (grand moment de ridicule) ou quand une pénurie de papier toilette s’abat sur les cellules (autre passage gênant, qui voit Sophie Marceau et Suzanne Clément se soulager dans des bassines). Ajoutez à cela la difficulté de se procurer un téléphone mobile en prison (encore une scène embarrassante, au parloir, entre Mathilde et son fils), et vous comprendrez que la prison soit au bord de la révolution…

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Si Audrey Estrougo réussit malgré tout à dépeindre les conditions de vie difficiles des détenus dans les prisons françaises, cela passe plutôt par les protagonistes secondaires qui, bien que très stéréotypés, s’avèrent plus attachants que Mathilde. A travers les personnages de Kanté, de Jeanne (Pauline Burlet), la dépressive qui s’abrutit de calmants pour supporter la détention, de Samira (Alice Belaïdi), la caïd qui ne peut envisager une vie ailleurs qu’en prison, elle parvient à montrer la violence de cet univers carcéral au féminin, qui n’a rien à envier, en termes d’hygiène, de salubrité, de surpopulation et de désespoir, aux prisons pour hommes. La cinéaste aurait gagné à les mettre en avant plutôt que de se focaliser sur la taularde jouée par Sophie Marceau.
Elle aurait aussi pu s’intéresser davantage aux gardiennes et au personnel de la prison, essayer d’expliquer l’amertume qui ronge la surveillante-chef, le trouble identitaire de “Robocop”, la gardienne d’origine maghrébine (Naidra Ayadi), qui martyrise particulièrement les détenues noires et arabes, creuser le manque de déontologie du médecin (Anne Coesens), développer le lien qui unit Babette (Carole Franck), l’une des rares matonnes sympathiques, aux prisonnières, ou faire du personnage de Léa (Marie Denarnaud), la gardienne novice, le point d’entrée du récit.
Cette dernière est tellement inexistante, qu’elle finit par se demander ce qu’elle fait là et quitte le film à un moment-clé du récit, comme si de rien n’était. On peut la comprendre. A vrai dire, l’idée de fuir cette oeuvre affligeante nous a traversé l’esprit plusieurs fois durant la projection…  Mais nous aurions alors raté le meilleur moment du film, son long plan fixe final, sur une porte de cellule, nous invitant à imaginer ce qui se passe à l’intérieur. Pas besoin de numéros de cabotinage ou de dialogues à l’emporte-pièce. A travers ce seul plan, sans dialogues, on saisit la dureté de l’univers carcéral et on finit par éprouver un peu d’empathie pour les personnages. Mieux vaut tard que jamais…

… mais cela ne fait que renforcer notre sentiment de frustration.
On attendait beaucoup mieux de la part d’Audrey Estrougo, qui nous avait séduits avec des longs-métrages comme Regarde-moi ou Une Histoire banale, sur des sujets pourtant difficiles. Sa Taularde est une oeuvre ratée, plombée par des choix scénaristiques hasardeux, des dialogues mal écrits, et une incapacité chronique à canaliser le jeu de Sophie Marceau, bien peu inspiré. On est loin, très loin, d’Un Prophète, de Jacques Audiard, ou même, pour ne parler que des films sur les prisons de femmes, d’Ombline ou Leonera.
Hop, envoyons La Taularde au mitard rejoindre tous les mauvais films qui squattent nos écrans à longueur d’année. Pour perpète…


La TaulardeLa Taularde
La Taularde
Réalisatrice : Audrey Estrougo
Avec : Sophie Marceau, Suzanne Clément, Eye Haidara, Marie-Sohna Condé, Benjamin Siksou, Alice Belaïdi, Carole Franck
Origine : France
Genre : les malheurs de Sophie
Durée : 1h40
date de sortie France : 14/09/2016
Contrepoint critique : Le Parisien