Avec : Sofian Khammes, Foued Nabba, Zine Darar
Sortie le : 5 octobre 2016
Durée : 1h48
Distributeur : Pyramide Distribution
Synopsis :
Chouf, ça veut dire « regarde » en arabe. C’est le nom des guetteurs des réseaux de drogue de Marseille. Sofiane, 24 ans, brillant étudiant, intègre le business de son quartier après le meurtre de son frère, un caïd local. Pour retrouver les assassins, Sofiane est prêt à tout.
Il abandonne famille, études et gravit rapidement les échelons. Aspiré par une violence qui le dépasse, Sofiane découvre la vérité et doit faire des choix.
3.5/5
Karim Dridi et Marseille, c’est une longue histoire. La ville est au cœur de sa filmographie, et Chouf se veut être le troisième volet d’une trilogie, après Bye-Bye, qui traitait déjà des dealers marseillais et Khamsa, davantage centré sur la communauté des gens du voyage. Huit ans après, le réalisateur et scénariste retourne dans la cité phocéenne pour en présenter un panorama le plus réaliste à son goût : sans pour autant verser dans le documentaire, Dridi s’interroge sur la vie dans les cités et le traffic de drogue. Son impératif : travailler avec des personnes originaires de la ville, ou qui connaissent le milieu, afin d’obtenir un résultat le plus crédible possible.
Après la caricature absolue que fut la série Marseille sur Netflix, Karim Dridi se traîne involontairement avec un bon gros boulet au pied : une histoire qui peut sembler vue et revue (aussi bien dans la fiction que dans les reportages d’enquêtes), mais pourtant nécessaire. Pourquoi éviter de montrer la réalité, lorsque quatre personnes ont été abattues en août dernier suite à des règlements de compte ?
UNE AFFAIRE DE FAMILLE
Dans Chouf, Sofiane (Sofian Khammes) abandonne ses études pour trouver le responsable de la mort de son frère, au risque de se mettre le restant de sa famille à dos. C’est là que Karim Dridi met en scène deux « familles » qui s’opposent de manière radicale : les parents de Sofiane, sa sœur, son amie Najette… Un cocon familial porteur d’espoir, qui voulait à tout prix que le jeune homme reste éloigné des activités de son frère. Une fois immiscé dans le milieu des trafiquants, impossible d’en sortir.
Les dealers de la cité de Sofiane deviennent ainsi sa seconde famille avec sa propre hiérarchie : un « chouf », c’est un guetteur ; le bas de l’échelle, où doit commencer Sofiane. Accompagné de ses amis Gatô (Foziwa Mohamed) et Marteau (Zine Darar), il découvre toute la chaîne opérante du quartier. Reda (Foued Nabba), le chef, s’assure du bon fonctionnement du trafic derrière le comptoir de son snack-kebab. « Chouf » signifie aussi « regarde », et c’est tout ce que Sofiane fait : il observe, se retrouve malgré lui au cœur d’une spirale infernale de violence, contraint de coopérer sous peine de représenter une éventuelle menace. Appartenir à ce « clan », c’est faire preuve de puissance : les guetteurs errent en haut des tours, à la recherche du moindre ennui ou ennemi possible.
Attaques à bout portant, tentatives de meurtre, règlements de compte, vengeance et corruption : la violence est au cœur de l’intrigue de Chouf. Elle est aussi bien frontale que psychologique, comme lors de cette scène de repas où la chaise vide est celle du mort, de l’être aimé. Karim Dridi retranscrit les difficiles scènes du quotidien du nord de Marseille, sans pour autant verser dans le sentimentalisme ou le cliché, au sens où personne n’est épargné. Il n’y a pas de machiavélisme basique, qui opposerait les trafiquants à la police locale. Sofiane est toujours dans un entre-deux, conscient de basculer dans l’illégalité, prêt à faire ce qu’il faut pour venir à ses fins. La pression des pairs et la quête de reconnaissance sont essentiels dans son avancée, pour progresser dans son enquête.
Le réalisateur s’approprie la ville et sa culture, s’entourant ainsi de jeunes acteurs (Sofian Khammes est issu du Conservatoire). Contrairement à Tour de France où les clichés finissent par s’accumuler jusqu’à l’indigestion, quitte à décrédibiliser les nombreux morceaux de rap fredonnés par Sadek, Chouf reste dans la justesse malgré un scénario plutôt classique. Dridi n’a pas souhaité inonder son film de musiques de rue, laissant ainsi la main à Jérôme Bensoussan : cette musique composée se veut plus dramatique, cinématographique ; elle est en tout cas bien plus adaptée que la bouillie de violons et de notes de piano servis dans Marseille. Son résultat ? Un film aux personnages attachants, malgré leurs travers ; on voit bien une certaine gêne dans le regard de cette mère, forcée de demander à son fils l’argent tiré d’un deal. Il n’y a parfois pas d’autre choix. Une intrigue entre thriller et drame personnel nécessaire, illustratrice d’une réalité souvent mal exposée.