La semaine dernière, nous avons rencontré Julie Dachez, doctorante en psychologie sociale, et Pierre Feytis, monteur et réalisateur, qui réalisent actuellement Bubble, un documentaire qui a pour but de changer notre regard sur l’autisme.
Bonjour, Julie Dachez et Pierre Feytis, pouvez-vous vous présenter et nous expliquer comment vous vous êtes rencontrés ?
JD : Je m’appelle Julie, j’ai 31 ans, je suis doctorante en psychologie sociale et auteur du blog Emoi émoi et moi et d’un roman graphique, La différence invisible, qui vient de sortir.
PF : Moi je suis monteur, réalisateur et auteur de fiction. J’ai découvert une des vidéos de Julie via son blog pendant la journée mondiale de l’autisme (le 2 avril, ndlr) et à ce moment là, je l’ai contacté puisque sa vidéo m’avait interpellé. Et puis finalement, l’idée du documentaire est venue. C’est Julie qui a eu l’idée mais moi je n’étais pas forcément très partant et je ne me sentais pas forcément très à l’aise de me lancer dans un tel projet avec un sujet aussi fort.
JD : Au bout de deux mails, j’ai dit à Pierre « Qu’est-ce que tu en penses si on fait un documentaire sur l’autisme ? » (rires). Et on s’est rencontré la semaine d’après à Paris et tout s’est enchaîné assez rapidement.
Vous êtes atteint d’autisme tous les deux. On a souvent une vision erronée de ce trouble, pouvez-vous expliquer à nos lecteurs plus précisément ce que c’est ?
JD : Alors déjà, l’autisme n’est pas une maladie. Ce n’est pas par déni ou par coquetterie que l’on dit ça mais c’est important de le préciser. D’ailleurs même l’OMS (Organisation mondiale de la santé) ne reconnaît pas l’autisme comme étant une maladie. C’est une condition neuro-développementale avec une forte influence génétique, et cette condition est présente dès la naissance. Donc on ne devient pas autiste mais on naît autiste. L’autisme c’est un spectre, on parle d’ailleurs de troubles du spectre autistique. On peut dire qu’il y a quasiment une forme d’autisme par personne autiste. Le noyau dur qui permet de poser un diagnostique, ce sont les difficultés sociales, les difficultés de communication et les intérêts spécifiques. Il y a une vision de l’autisme qui est véhiculé par la psychiatrie, par les médias, etc… et qui est souvent très caricaturale : soit un enfant prisonnier de ces symptômes, soit un adulte de génie. Le problème, c’est que pour la société, entre les deux il n’y a rien. Pour nous, l’autisme est une manière différente d’être au monde et notre but est de visibiliser les personnes comme nous (ndlr : atteint de trouble du spectre autistique) au sein de ce documentaire.
Qu’avez-vous pensé du documentaire Le MUR, la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme de Sophie Robert ?
JD : Le MUR, c’est un projet à charge contre la psychanalyse. Moi je l’ai trouvé très bien ce documentaire et il m’a plutôt amusé. Il vaut mieux en rire qu’en pleurer car en réalité c’est dramatique. La psychanalyse appliquée à l’autisme c’est absolument désastreux et dramatique.
PF : Et explique pourquoi en quelques mots.
JD : C’est dramatique parce que les psychanalystes partent du principe que l’autisme est dû à une mère qui va être trop froide ou à l’inverse trop chaude et donc c’est à cause de ça que l’enfant se replie dans son autisme. Le but est alors de le séparer de ses parents et ils ne font rien concrètement pour aider l’enfant à dépasser certaines de ses difficultés contrairement à d’autres méthodes.
PF : On a beaucoup parlé de ce film car les psychanalystes intervenant dans le documentaire ont porté plainte alors qu’elle (ndlr : Sophie Robert, la réalisatrice) arrive avec des questions qui ne les piègent pas du tout. Les psychanalystes font part de leur point de vue sur l’autisme. Pour eux, si une mère est dépressive pendant qu’elle est enceinte, enfin ils le disent avec leurs mots savants mais c’est ça, l’enfant peut être autiste. En gros, c’est le Moyen-Age. Moi, contrairement à Julie, j’ai été diagnostiqué à l’âge de 10 ans. Quand j’étais plus petit, je ne parlais pas, j’étais un non verbal, j’avais des troubles du langage et j’avais du retard de langage. Maintenant ça se ne voit plus. Ma mère qui m’a beaucoup soutenu s’en est pris plein dans la figure puisque c’était la mère [selon certaines théories de la psychanalyse]. Ma mère était responsable de tous mes maux et donc je l’ai vécu et effectivement ce documentaire est intéressant pour ça : c’est eux qui se piègent eux-mêmes. Elle les laisse parler et elle ne les piège pas du tout et ils n’ont pas apprécié.
JD : Ils ont perdu leur procès…
PF : Ils ont perdu leur procès. Il faut savoir que c’est une école qui est présente en France du moins. Après voilà… on a notre point de vue sur le lien entre ça et l’autisme.
JD : Nous, on ne va pas en parler dans le documentaire. On va l’aborder rapidement mais on ne veut vraiment pas faire un documentaire à polémique. Cela ne nous intéresse pas, et moi, je pars du principe que la psychanalyse va mourir d’elle-même et que ce n’est pas la peine de tirer sur les ambulances.
Bubble est un clin d’œil à ce trouble ? Le fait de vivre dans une bulle ?
JD : Ça a plein de sens en fait ce titre. C’est ça qui est hyper intéressant. C’est à la fois un clin d’œil plein d’humour à ce fameux cliché de l’autiste qui est dans sa bulle. C’est un clin d’œil aussi aux non autistes qui, de notre point de vue, sont eux aussi dans leur bulle même si c’est la macro-bulle sociale dominante. Pour moi, les personnes autistes sont aussi dans leur bulle, notamment parce qu’elles ne nous incluent pas. C’est aussi le symbole de notre exclusion. La bulle, c’est plein de choses en fait. Ça a plein plein de sens et aussi un petit clin d’œil rigolo.
PF : Ouais, c’est parti quand même d’aller à l’encontre de cette image très puissante de la fameuse bulle. Quand on en parle d’autisme à n’importe qui, qui ne connaît pas du tout l’autisme, il va dire : « Oh ! Il est dans sa bulle, il est là tout seul dans son coin, etc… » C’est toujours ce qui va revenir. Je peux comprendre quand on ne connaît pas mais après voilà. C’est l’histoire de clichés qui ressortent sur un sujet que certains ne connaissent pas, qui n’ont que des bribes…
JD : Complètement.
PF : Et puis il y avait aussi quelque chose de très visuel avec la lettre B, c’est esthétique. On a trouvé ça pulpeux et très beau aussi. Il y avait tout ça à la fois.
Que va raconter votre film documentaire ? La vie de tous les jours ? Des situations bien spécifiques ?
JD : Nous, on va être le fil rouge du documentaire donc on est vraiment les protagonistes principaux. On nous suit en fait, et en nous suivant, on amène le spectateur à la rencontre des personnes que l’on va interviewer. Pour l’instant, on en a sept, à peu près. On essaye d’équilibrer garçon/fille, des profils très différents, d’âges différents et de milieux sociaux différents. Le but, ce n’est pas de les amener à parler sur leurs difficultés, ce n’est pas ce qui nous intéresse, mais plutôt les amener à parler sur : « Qu’est-ce que c’est pour toi la normalité ? Qu’est-ce que c’est le handicap ? Qu’est-ce que ça suppose pour toi de vivre en France en étant autiste ? ». C’est plus ça, parce qu’en fait ce qu’on veut, c’est vraiment que le spectateur ressorte de là et que son point de vue ait changé et qui se dise « Merde. Oh là là » (rires).
PF : Ce que l’on essaye de dire, c’est que ce n’est pas un film pédagogique. On n’est pas des spécialistes. L’objectif, c’est de montrer notre ressenti de manière assez sincère.
JD : Subjective.
PF : Et éclectique. Ce n’est pas un film d’étude ou quoi que ce soit. Il y a un parti pris qui est forcément subjectif mais on n’est pas là pour trafiquer quoi que ce soit. L’objectif, c’est d’aller voir ses gens qui font part de leur ressenti.
JD : Et qui ont ce même point de vue que nous …
PF : …et qu’ils partagent aussi.
JD : Pour qu’ils disent ce qui est difficile en fait, c’est-à-dire de vivre dans une société qui nous exclut. Notre souffrance ne vient pas du fait d’être autiste. Elle vient du regard des autres, de la pression sociale à se conformer. Ce sont des thématiques qui parlent à beaucoup de gens. On va à la rencontre des personnes autistes. On va aussi partir au Canada pour rencontrer des professionnels de santé qui sont super là-bas et pour rencontrer aussi des personnes autistes là-bas qui ont un parcours incroyable.
PF : Il y a vraiment cette partie intimiste avec nous, cette partie « entretien » et cette partie avec les interventions de spécialistes. Au début, (en parlant à Julie Dachez) tu n’étais pas forcément très partante. Finalement, on s’est rendu compte que c’était quand même important d’en avoir quelques-uns dans le film. Mais tout ça, ce sera aussi entrecoupé d’éléments. Il y a aura des morceaux de films d’animation qui vont venir illustrer.
JD : Ah oui ! Par exemple, les intérêts spécifiques qui sont aujourd’hui considérés comme un symptôme par la communauté scientifique n’en sont pas. C’est ce que j’ai vu dans ma thèse. Ce serait plutôt une stratégie de bouée de sauvetage pour la personne : comme le social ne fonctionne pas, elle se tourne vers ses passions et elle s’y investit à fond parce que ça, au moins, ça lui procure du plaisir, ça lui fait du bien. En fait, c’est une réaction très saine de l’individu qui va chercher ailleurs ce qu’il ne trouve pas dans les relations sociales. Et donc effectivement, on en parlait tous les deux en voiture quand on se filmait avec la GoPro et d’un seul coup, je ne sais pas si c’est moi ou toi (en parlant à Pierre Feytis), il y en a un qui a dit « mais en fait, c’est comme une bouée de sauvetage » et typiquement ça, c’est le genre de truc que l’on va essayer d’illustrer avec des animations.
PF : Ces parties-là seront animées à priori avec de l’animation en volume et il y aura d’autres parties qui seront illustrées avec un type d’animation différent pour bien séparer par thématique. On utilise à la fois la capture d’écran de l’ordinateur, la GoPro et une caméra beaucoup plus calée.
JD : Et c’est vrai que, même si ce n’est pas un film pédagogique, on pensait que c’était vraiment important d’avoir par moments des illustrations qui viennent vulgariser le propos pour que le spectateur ne soit pas complétement perdu.
PF : Et puis des moments où on ne parle pas non plus.
JD : Ce qui n’est pas évident parce qu’on parle beaucoup (rires)
PF : On va être vachement bavard et tout le monde va être bavard. L’objectif c’est d’avoir des moments de respiration dans le film. On voulait faire au départ un court documentaire et finalement, on s’est rendu compte naturellement qu’on devait aller vers un 90 minutes volontairement, parce qu’on vise le cinéma et pas la télé. On est obligé de passer par là. Si on veut vraiment le faire à fond, on a opté pour un long métrage, ce qui est particulièrement utile.
Avec qui travaillez-vous sur le film (personnes interviewées, aide technique, etc …) ?
PF : Moi j’ai la chance, parce que ça fait des années que je fais ça. On est en équipe, on a du matériel très léger, avec tout ce qui est zoom, enregistreur, micro-cravate et trépied. On a tout le matériel nécessaire pour la captation, et puisqu’on est acteur dedans, c’est difficile d’avoir un cadreur ou quoi que ce soit. Du coup, je me focalise beaucoup sur l’aspect technique. Après, on s’en sort. On aura, par contre, besoin pour la finalisation du film, de mixage. On va vachement travailler le son. On a déjà des personnes en tête. Ce sera fait par des professionnels, mais toute la partie tournage, on est deux.
JD : Du coup, c’est vrai que dès le début on s’est très bien réparti les tâches. Moi je concentre plus sur ce qui est le fond, le propos, l’aspect scientifique. Je mène les entretiens, je gère aussi les rendez-vous avec les personnes autistes, les personnels de santé, tout l’aspect logistique, tout l’aspect communication, aussi online, offline.
PF : C’est un peu Le Projet Blair Witch mais sur l’autisme sans les sorcières et tout le bordel.
JD : On s’en sort. On est juste au bord du burn-out mais tout va bien (rires) !
PF : Mais comme c’est un documentaire, on peut se permettre parfois des petites erreurs techniques, ce n’est pas gravissime en soi. C’est trèsaérien donc on peut se le permettre. Maintenant, on peut faire de très belles choses avec pratiquement rien.
Envisagez-vous une sorte de tournée pédagogique qui permettrait de faire de la sensibilisation autour de l’autisme auprès de jeunes publics par exemple ?
JD : On le fera certainement ponctuellement et même dans les cinémas, faire suivre la projection d’un petit débat, mais c’est vrai que c’est le genre de truc qui sont assez éprouvants et assez fatiguants. Le but, ce n’est pas de s’épuiser et de courir après les lycées et les collèges, mais on le fera après. C’est intéressant.
PF : C’est vrai que ça me semble intéressant d’accompagner, d’avoir cette partie-là avec le film, je pense que c’est utile.
JD : Oui, on le fera bien sûr mais il ne faut pas qu’on se laisser déborder non plus.
Que voulez-vous transmettre avec ce documentaire ?
PF : On veut que le film soit gai. On n’est pas là pour donner une image trop triste. C’est vrai que l’autisme est quelque chose qui nous dépasse quand on ne sait pas ce que c’est et on l’associe souvent à quelque chose de dramatique. L’objectif c’est de faire quelque chose qui informe les gens, qui leur donne notre ressenti et surtout quelque chose qui fait du bien. Je pense que pour quelqu’un qui se sent différent, ce film pourra le toucher.
JD : On a cette liberté d’être nous même et ça, c’est un message hyper fort car on a une liberté que tout le monde n’arrive pas à s’octroyer non plus. Nous on dit « fuck », on est comme on est, on assume. (rires) On veut vraiment que le film fasse du bien aux gens, c’est vraiment le but qu’on recherche.
Dans le cinéma en général, vous intéressez-vous à la représentation de l’autisme ? Y’a-t-il des films qui vous ont marqué et que vous nous conseilleriez ?
JD : Non, ils nous ont marqué par leur nullité. (rires)
PF : Je regarde vraiment beaucoup de films et quand il y a des autistes, c’est toujours avec de gros clichés. Il y a Code Mercury avec Bruce Willis qui n’est pas mal, avec le petit gamin qui a déchiffré un code et du coup la CIA veut le tuer. Ensuite il y a Rain Man, un symbole.
JD : Tous les autistes ont le spectre Rain Man au dessus de leurs têtes. (rires)
PF : C’est un film qui m’a beaucoup marqué car c’est vrai qu’il est entraînant et divertissant mais en fait tu te rends compte que c’est encore une fois un énorme cliché. Il y a aussi Le Goût des Merveilles avec Virginie Efira où il y a un autiste. Le film est intéressant mais aussi très grossier parfois. J’ai vu un personnage qui était caricatural. Je comprends qu’ils s’orientent (ndlr : les scénaristes) vers ce genre de personnages car c’est un trouble peu connu et les gens ne retiennent que ça. Donc malheureusement ce sont des films qui marquent mais dans le mauvais sens.
JD : Il y a un docu-fiction qui s’appelle Le Cerveau d’Hugo, qui a été diffusé sur France 2. Il n’est pas mal dans la partie documentaire. La partie fiction l’est beaucoup moins mais les témoignages sont intéressants.
PF : Dans la partie fiction, le personnage d’Hugo a forcément une coupe de cheveux pourrie. On dirait qu’il porte une perruque. Donc si tu es différent, t’es forcément habillé bizarrement, tu fais des trucs chelous et t’as une coupe au bol. Je ne comprends pas, ça a été un choix délibéré puisque c’est une partie fictionnelle. Elle a été pensée, il y a eu des costumes, le réalisateur a donné des indications… Pourquoi ?
JD : Il y a un personnage que je trouve assez bien écrit finalement, c’est Abed dans la série Community. Et en fait Abed, on ne dit pas clairement qu’il est Asperger (ndlr : le syndrome d’Asperger est une forme d’autisme sans déficience intellectuelle ni retard de langage, il appartient aux troubles du spectre autistique). Sur le moment, il parle très vite et il a son centre d’intérêt spécifique qui est le cinéma. Des fois, on pense qu’il ne va pas comprendre les gens et en fait il a toujours une longueur d’avance sur le reste de son groupe d’amis. Parfois, il résout les problèmes alors que les autres se sont pris la tête.
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Entretien réalisé le 16 septembre 2016 par la Cinéphile Intuitive et le Cinéphile Lunatique.
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