Au cinéma Mercury de Nice, qui met à l’honneur les films indépendants que les gros exploitant boudent, nous avons pu voir, ce vendredi 7 septembre, et en avant-première, le dernier documentaire de Gilles Perret, La sociale, qui sortira le 9 novembre prochain, en présence du réalisateur. Après avoir mis à l’honneur les héros du Conseil National de la Résistance, en 2013, dans Les jours heureux, en réaction à la mise à mal par la propagande sarkosienne de l’essence même de leur projet, il retrace l’histoire de leurs ambitions la plus démesurée et la plus révolutionnaire : la création d’une solidarité à l’échelle nationale face aux malheurs de la vie, la Sécurité Sociale gérée par les travailleurs eux-mêmes.
Depuis les prémices de son existence dans le texte votés à l’unanimité par le Conseil National de la Résistance qui le nomme Les jours heureux jusqu’à sa mise en place effective, le 22 mai 1946, La sociale retrace la grande aventure de la Sécurité Sociale à travers la figure emblématique d’Ambroise Croizat, ministre communiste du travail, qui porta le fer pour que sa mise en place soit effective, éclipsé dans les manuels scolaires par le fonctionnaire gaulliste Pierre Laroque. A ses côtés, des centaines de militants de la CGT prendront leur part de travail face à l’immensité de l’enjeu qui consiste, ni plus ni moins, à libérer les cœurs de la peur du lendemain.
Jolfred Fégonara, militant CGT
On l’entend partout, la Sécurité Sociale est déficitaire. On l’entend partout également, elle serait devenu l’antre des profiteurs de toutes sortes. Il faudrait reconnaître, enfin, son caractère utopique, au même titre que l’on tente de nous convaincre, par quelques formules incantatoires, que la régulation de la dette est aussi obligatoire que le triomphe du capitalisme est inéluctable, seul système de pensées autorisé, seul issue interdisant toute tentative de prendre les chemins de traverses. Depuis 1928, pourtant sous le gouvernement de droite de Raymond Poincarré est voté une loi qui permettait aux travailleurs sous contrats de bénéficier d’une assurance maladie, maternité, invalidité, vieillesse et décès. Mais celle-ci est géré par le patronat exclusivement et ne devient pas un droit, seulement une possibilité. Ainsi toutes les branches n’en bénéficieront pas et les plus précaires en sont encore exclus. Devant l’avènement du Front Populaire en 1936, à la démocratie, la bourgeoisie va choisir, dans une large part, de soutenir les mouvements politiques patriotiques et nationalistes. Au sortir de la guerre, mouillé dans la collaboration avec l’Allemagne nazie et le gouvernement pétainiste, au contraire des gaullistes, du Parti Communiste et de la Confédération Générale du Travail, auréolés par la Résistance à la barbarie, ils perdent en conséquence de leur influence dans l’opinion publique. Désigné à contre-coeur, ministre du travail, par le Général de Gaulle, Ambroise Croizat, communiste de son état, ancien ouvrier métallurgiste va se démener, et en sept mois seulement, dans cet état de grâce, instituer les bases et les structures de la Sécurité Sociale universelle, de l’assurance chômage et de la retraite par répartition. Jolfred Frégonara, décédé cette année, à l’âge de 96 ans, militant CGT, a été de ceux qui ont permis, en travaillant sur le regroupement des caisses existantes, la création de la Sécurité Sociale. Les yeux pétillants d’humanité et de malice, le vieillard possède une gnaque revigorante, tantôt touchant, tantôt drôle, arborant un sérieux sans faille lorsqu’il évoque son combat, cette petite main de l’édification d’un îlot de socialisme dans la France gaullienne est tout simplement un interlocuteur hors-norme. réfractaire au Service du Travail Obligatoire, il prend la maquis en Haute-Savoie et rentre dans une unité combattante des Francs-tireurs et partisans, organe de la résistance communiste. A la libération, il est de ceux qu’Ambroise Croizat contactera, via le réseau cégétiste. Il évoque, avec tendresse, les souvenirs de la Résistance et puis l’immédiat après-guerre, cette effervescence politique qui donna au Parti Communiste la latitude pour organiser une véritable révolution sociale.
Anne Gervais, animatrice du Mouvement de Défense de l’Hôpital Public
Un pays à l’économie exsangue allait réussir à libérer concrètement sa population, et particulièrement les plus faibles, à l’abri de l’angoisse que constituait auparavant les accidents de travail et la maladie qui projetait des familles entières de la survivance vers la misère la plus crasse. Gilles Perret a emmené cet homme dans les locaux de l’École nationale supérieure de sécurité sociale, et il faut voir la gouaille avec laquelle il raconte son histoire aux jeunes étudiants présents pour se rasséréner et espérer que notre jeunesse retrouve la même force, le même engouement pour la solidarité et la lutte. On a presque la larme à l’œil, comme lui, lorsque l’on constate que l’école a gommé, jusqu’au nom de ses amphithéâtres le nom gênant du communiste Croizat, pourtant ministre de tutelle de Laroque, le gestionnaire gaulliste que l’École met en avant. C’est que Perret sait ménager les moments d’émotions intenses au milieu des moments didactiques. C’est qu’il sait très bien expliquer la primeur de l’idée et de la volonté politique, seule réalité nécessaire à la réalisation d’une prétendu utopie que les gestionnaires voudront empêcher avec des chiffres abscons ne disant rien sur la réalité de la vie et des souffrances humaines. Dans ce tendre registre, Perret interroge Liliane Croizat qui, les yeux embués de larmes, se rappelle, émue, le lien inébranlable qui l’unissait avec son père revenu du bagne d’Alger. Appuyé par des images d’archives, le réalisateur met en scène, au-delà de l’animal politique, un homme de chair et de sang ayant souffert les pires humiliations, continuant à être un père aimant et une jeune fille au regard pénétrant, fière et sérieuse. En plus de lui donner du corps, il lui restitue une âme. Une fois posés ces personnages emblématiques, à travers les apports intellectuels de Michel Etievent, historien et biographe d’Ambroise Croizat qui nous emmène sur les lieux importants de sa vie, dans les hauts fourneaux, dans son maquis savoyard et au ministère du travail, de Frédéric Pierru, sociologue rappelant les avancées extraordinaires que la Sécurité Sociale a engendré, de Colette Bec, également sociologue qui, à l’image de Bourdieu, en a saisi la valeur de combat, et qui s’attarde sur les attaques subies depuis sa création, et enfin la discussion avec Bernard Friot, apôtre du salaire à vie, il donne corps à un véritable travail de documentation et de réflexion, au-delà du sentimentalisme nostalgique.
Liliane Croizat, fille d’Ambroise Croizat
Des réflexions grandement éclairés, sur le terrain, par Anne Gervais, Docteur hépatologue à l’hôpital Bichat-Claude Bernard, animatrice du Mouvement de défense de l’hôpital public, appelant de son souhait, un retour à la fonction première de la Sécurité Sociale et des Centres Hospitaliers Universitaires, à savoir prévenir et guérir tout les citoyens sans distinctions. Elle explique, simplement et brillamment, comment on organise la fuite vers le secteur privée du traitement des maladies lucratives en déremboursant les médicaments et les soins concernés pour laisser à l’hôpital public les maladies chroniques et donnant peu d’espoir. Il s’agit, d’une part de fragiliser la Sécurité Sociale en ne lui laissant que les soins les plus coûteux et ensuite, il s’agit et c’est encore plus dramatique, de hiérarchiser les souffrances, Il est évident, entre autre, que l’État organise peu à peu l’insolvabilité de la Sécurité Sociale pour privilégier le secteur privée. Notamment, en ne légiférant jamais sur les prix exorbitants mis en place par les laboratoires pharmaceutiques pour des médicaments ne coûtant quasiment rien à la production. Il s’agit ici d’un traitement purement idéologique du problème par des idéologues aveuglés volontairement par les lobbys car ils partagent des intérêts communs. Nous sommes ici au cœur de la lutte des classes, les intérêts des puissants étant inconciliables avec ceux des classes populaires. C’est d’ailleurs dans cet esprit que l’originel puissance syndicale dans l’administration de la Sécurité Sociale, par décret sous De Gaulle, Pompidou et tous leur successeurs a été battu en brèche. En 1946, trois quarts des sièges étaient dévolus aux syndicats et le reste au patronat, rétablissant sous l’impulsion de Croizat, une égalité biaisée par la subordination économique. De plus, ce conseil d’administration était souverain, représentait tous les français et géré donc tous les aspects de la Sécurité Sociale. Pour l’appauvrir et la fragiliser, on a d’abord fait passer par ordonnance, une parité stricte, biaisant une réalité sociale tout autre puis on a tout simplement enlevé ce pouvoir au conseil d’administration pour le laisser aux mains de quelques technocrates européistes et libéraux. On connaît le résultat. Entre 1947 et le début des années 60, la mortalité infantile avait fortement baissé et l’espérance de vie avait fait un bon en avant. Demeure de nos jours, principalement à cause de la dévolution de la Sécurité Sociale, des inégalités criantes, un patron ayant une espérance de vie de six ans supérieure à un salarié.
Michel Etievent, historien
Parce qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer, et que la liesse est nécessaire à la lutte, Perret est allé interroger Denis Kessler, ancien vice-président du Medef, le syndicat patronal, et PDG d’un groupe de réassurance et le personnage écœurant se suffit à lui-même pour provoquer un mélange de rire et de stupeur dans l’assistance. Il faut l’entendre qualifier la France de pays communistes (au côté de Cuba et de la Corée du Nord) et les bénéficiaires de la Sécurité Sociale de voleurs et de profiteurs, organisant des colloques pour convaincre les gens de se désaffilier pour rejoindre une compagnie privée. Il faut entendre ses supporters affirmé qu’il est normal de ne pas assurer les personnes âgées, les diabétiques ou les cancéreux. C’est gens-là nous offre vraiment une société idéale pour l’avenir. Si ce n’est le comique de la situation, elle révèle le succès de la novlangue qui culpabilisent constamment les citoyens d’être solidaire entre eux. Rappelons que les « charges sociales » n’existent pas mais constituent des « cotisations sociales » qui vous sont restitués. Rappelons également qu’aux États-Unis, ou le secteur privée à pris le pas sur le public, les dépenses de santés ont explosés dans le budget des ménages et qu’effectivement, on laisse mourir les pauvres, les cancéreux, les diabétiques. Et soulignons qu’en plus, c’est un non-sens économique porté par les chantres néolibéraux. Alors que les frais de fonctionnement de la Sécurité Sociale avoisinent les 6 %, ceux des assurances privées mises en concurrences culminent à 30 %. C’est donc les mêmes pourcentages de chaque euros que vous dépensez qui fondent comme neige au soleil. Le public coûte toujours moins cher que le privé. C’est la disparition des complémentaires et la prise en charge totale par la Sécurité Sociale qu’il faut mettre en avant pour résoudre les problèmes budgétaires. Et surtout, comme en parle Anne Gervais, faire fixer le prix d’achat des traitements par l’État dans des marges raisonnables. A ce sujet, nous vous invitons à regarder Mes chers contemporains : Le salaire à vie d’Usul qui détaille très clairement les surcoûts induits par les privatisations. Faut-il, aussi, rappeler qu’il y a plus important que la finance et les chiffres, que les volontés politiques peuvent résoudre bien des choses ? Comment peut-on nous opposer la cherté de la Sécurité Sociale lorsque celle-ci a été mise en place dans un pays terrassés par les bombardements et la fuite des capitaux, en même temps que celles des collaborateurs ?
Ambroise Croizat
A voir le débat passionné et passionnant qui a ensuite suivi la projection, et lequel Gilles Perret a lui-même animé, il est évident que La sociale est un documentaire très important. Pour deux choses fondamentales, la première, rendre à César ce qui appartient à César, se rapproprier notre propre histoire, rendre hommage à Ambroise Croizat, à l’occasion du soixante-dix-septième anniversaire de l’instituions, rappeler le rôle fondamental des militants syndicalistes et communistes dans les plus grandes avancées sociales dont bénéficie aujourd’hui les français. D’autant plus que la direction actuelle de la Sécurité Sociale semble frigide à l’idée de diffuser largement cette histoire qu’elle a pris tant de soin à gommer. Car, et c’est le deuxième point, il ne faut pas raviver la lueur, ne serais-ce qu’une étincelle d’espoir dans les cœurs et les âmes, il ne faudrait pas que le peuple se réveille de sa longue sieste pour réclamer ce qui lui revient de droit : la gestion de sa propre destinée. La sociale est un hymne à la fois amoureux et raisonné de la solidarité dont il faut prolonger le message.
Boeringer Rémy
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