Durant le 42e Festival du Cinéma Américain de Deauville, nous avons rencontré Greg Kwedar et Clint Bentley, respectivement réalisateur et producteur de Transpecos.
Synopsis :
Trois agents aux frontières Etats-Unis/Mexique passent leur journée à contrôler les conducteurs. Un jour, un contrôle dérape et le drame arrive. Que reste t-il alors à faire ?
Bande-annonce à retrouver en bas de cet article.
Le film a été projeté en compétition au cours de ce festival. N’hésitez pas à retrouver notre critique en cliquant ici.
______________________________________
Estelle Lautrou : Au cinéma, il possible de parler de tout. Pourquoi avoir fait un film sur la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis plutôt qu’autre chose ?
Greg Kwedar : Au Texas, quand j’étais à l’université, j’étais dans une école qui était proche de la frontière. On pouvait y aller en 5h de voiture environ. On a effectué beaucoup de voyages où nous devions traverser cette fameuse frontière. Et à chaque fois, les contrôleurs aux frontières venaient à ma fenêtre et me demandaient si j’étais américain. Et c’est tout ce que je savais à propos de ces agents. Quand je suis devenu réalisateur, j’ai eu envie d’aborder ce sujet, ce métier dont je ne connaissais pas grand-chose. C’était important pour moi.
Clint Bentley : Nous n’avions pas les connaissances et les informations nécessaires pour faire une histoire à propos du parcours que traversent les migrants, d’une façon nouvelle par rapport à ce qui a déjà été fait. Mais on avait quand même tous les deux cette petite notion de ce qu’est cette frontière. Et on voulait que les gens ouvrent les yeux sur ça. C’est tellement différent dans les films qu’on nous présente et dans la réalité … Donc nous voulions faire un film centré uniquement sur les réalités des contrôleurs aux frontières, mais aussi montrer les conséquences de ce conflit.
Greg : On s’est penchés sur ces agents pendant 4 ans (ndlr : ils ont travaillé pendant environ 6 ans sur le film). On a voulu voir derrière l’uniforme de ces personnes-là. Il fallait dévoiler leur humanité. On s’est dit que si on pouvait montrer le côté humain des contrôleurs dans notre film, comme ça n’a jamais été fait, peut-être que cela éveillerait quelque chose en plus chez les spectateurs.
Estelle : Pour préparer Transpecos, avez-vous eu du mal à obtenir des informations et des témoignages des contrôleurs aux frontières ?
Greg : Cela dépend à quel degré. Hiérarchiquement, ceux qui étaient en haut de l’échelle, à Washington, c’est-à-dire dire ceux qui gèrent de loin les agents de contrôle, eux n’étaient pas très excités à l’idée de nous donner des informations pour aider à la réalisation d’un film *rire*. Mais avoir des témoignages de contrôleurs sur le terrain, c’était le plus important. Alors on prenait notre voiture, et on allait dans le désert pour les rencontrer. Officiellement, ils n’avaient pas le droit de nous parler de ça. Alors on discutait un peu de tout, puis de leur expérience. Nous voulions savoir qui sont ces personnes, dans la vie. Il est arrivé que ces discussions se terminent finalement en amitié sincère. On revoyait ces agents et on leur demandait : « Hey, tu veux aller boire un verre ? ». On a même dîné avec certains, on a rencontré certaines familles. Et petit à petit, ils se sentaient plus à l’aise pour nous raconter le quotidien de leur métier. Pendant ces années, on a rencontré vraiment beaucoup d’agents. Mais deux d’entre eux sont vraiment devenus des amis proches. Certains se sont investis dans notre projet. Nous étions en contact avec quelqu’un qui a ensuite gravi les échelons et qui nous donnait de très bonnes informations. C’était une bonne source. Il a été très important dans la construction de Transpecos. Il était dans ce milieu depuis 25 ans.
Clint : Et comme nous ne faisions pas un documentaire mais une œuvre de fiction, ils comprenaient qu’ils pouvaient parler ouvertement et avec honnêteté. Ils pouvaient garder leur anonymat. Quelques contrôleurs ont lu en partie le script. Puis ils nous donnaient des conseils, par exemple sur les traits de caractère et l’état d’esprit des agents. Quand nous les rencontrions pour la première fois, nous leur avouions toujours notre projet de film.
Estelle : Votre scénario de base a changé au fur et à mesure des histoires que vous entendiez ?
Greg : Je ne crois pas. On a forcément été influencés en bien par les différentes rencontres qu’on a faites mais l’histoire centrale n’a jamais changée. Quoique… En fait je ne sais pas trop !
Clint : En réalité, on partait juste d’une idée et le scénario s’est écrit aussi au fur et à mesure des histoires que nous entendions. Même aujourd’hui, nous montrons le film à des agents, et eux, nous racontent de nouvelles histoires, et on se dit : « Oh mon Dieu, mais pourquoi le film est bouclé ? Il faut rajouté ça ! »
Greg : On va devoir faire une suite. *rire*
Estelle : Peut-on dire que Transpecos a une visée politique, aujourd’hui, à quelques semaines des élections présidentielles américaines ?
Greg : On a été très prudents sur le rôle de notre film. Nous ne voulions pas dire pour qui voter. On espère fort que le public est assez intelligent pour comparer une heure et demie de film et transcrire ça sur les situations actuelles. Ensuite, à eux de juger. Les spectateurs doivent aussi se rendre compte que tous les problèmes à la frontière ne sont pas qu’une question de lois, mais aussi de relations humaines. On ne prétend absolument pas changer le cours des élections avec notre film mais on espère que certains messages seront véhiculés, oui, évidemment. Et puis de toute façon, le cœur du film est plutôt centré sur l’humanité de ces agents. La question est surtout « qu’est-ce qu’on fait quand on est en danger ? Que fais-tu quand tu es seul et dans une mauvaise situation ? »
Estelle : Je trouve que votre film n’est pas violent comparé à ce qu’il aurait pu être. Il n’y a qu’une seule scène un peu violente. Vous auriez pu mettre beaucoup plus de sang et d’images choquantes pour retenir l’attention du spectateur. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Clint : On n’est pas des gars violents *rire*. En réalité, nous voulions rendre Transpecos aussi réaliste que possible, dans tous ses aspects. Dans beaucoup de films, quelques fois cent mecs sont tués d’un coup, et c’est tourné d’une telle façon que c’est presque normal. Quand un mec reçoit une balle, il y a un ralenti, son corps fait un tour sur lui-même, enfin tu vois… Dans la vie réelle, on tire sur un homme, et… ça y est. C’est une véritable horreur. La répercussion est instantanée. C’est le branle-bas-de-combat, c’est absolument chaotique. Ça arrive comme ça, d’un coup. Tout s’arrête.
Greg : Les contrôleurs aux frontières attendent des heures et des heures entières sans que rien ne se passe. Et, d’un coup, quelque chose comme ça arrive. Et ça y est, l’action est faite, elle est passée. C’est terrible la vitesse à laquelle ça peut aller. On avait envie de donner cette sensation de vitesse. Montrer trop de sang, s’attarder sur la douleur et les blessures n’auraient rien donné de plus à notre objectif de réalisme.
Dans le désert, des fois, alors que le soleil tape à son maximum, tout à coup tu as une énorme averse. Quand je dis énorme, c’est que tes vêtements et ta voiture sont lavées et plus propres que jamais ! Et quelques heures après, le sol et tout le reste sont redevenus secs, voire desséchés. En plus des hommes, la nature, notamment le désert, peut être très violente. On le ressent dans Transpecos, sans pour autant exagérer sur cet aspect. Il y a une véritable connexion entre le lieu dans lequel se trouvent nos personnages, et ce qui leur arrive. Les décisions sont moins faciles à prendre à l’instant T que s’ils étaient assis autour d’une table avec un verre d’eau.
Le travail d’un agent c’est ça. Attendre, et tout à coup, il peut arriver quelque chose d’extrêmement brutal, ils ont à peine le temps de s’en rendre compte.
Clint : Et puis on voulait également porter l’attention du spectateur sur les conséquences d’un acte de violence, plutôt que sur l’acte de violence en lui-même.
Estelle : Parlez-moi maintenant de votre collaboration. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Clint : On s’est rencontrés grâce à une fille qui allait à l’école avec Greg et qui finalement est devenue ma femme ! J’ai rencontré Greg grâce à elle et désormais je travaille avec lui et tout va pour le mieux !
Greg : Notre collaboration et notre amitié ont commencé avec l’idée de ce film. Immédiatement on a eu ce feeling, tu sais, où on est liés par une même passion. En plus, nous avons commencé de rien, en même temps, et nous avons appris en même temps, nous nous sommes formés en même temps.
Estelle : J’ai lu quelques critiques françaises sur Transpecos qui ont été publiées hier (ndlr : l’interview s’est tenue le lendemain de la première projection française à Deauville).
Greg : Ah ! Et alors, que dit-on de Transpecos ? *rire*
Estelle : Beaucoup de monde dit que le film est lent. Qu’avez-vous envie de répondre à cela ?
Greg : Mais bien sûr que le rythme est assez lent ! Comme on l’a dit, Transpecos se concentre principalement sur les conséquences de l’action, et pas de l’action en elle-même.
Clint : Et puis, ne le prends pas mal, mais c’est assez osé de la part des Français de dire ça. Je ne veux offenser personne, mais en Amérique, on est les premiers à faire des films qui vont à 100 à l’heure alors que c’est vraiment beaucoup plus calme en France. On voulait pas rendre le film trop lent mais nous ne voulions pas non plus tomber dans une réalisation où il y a des explosions et des tirs toutes les 10 minutes.
Greg : Pour comparer avec Sicario qui se rapproche du thème de Transpecos, eh bien… il n’y a pas de comparaison à faire en fait ! Sicario est beaucoup plus mouvementé. C’est un film magnifique. Sicario serait comme la galaxie, avec ses mouvements et ses gigantesques phénomènes. Transpecos, c’est une partie de cette galaxie. C’est une des planètes qui gravitent dans Sicario. On s’est focalisés sur cette planète-là. Transpecos est plus lent parce qu’on se concentre sur quelque chose de très précis : la vie d’un contrôleur à la frontière Etats-Unis/Mexique.
Clint : On a peut-être complétement raté notre taff, soyons honnêtes ! *rire*
Greg : Non non arrête on s’en sort bien… J’espère !!
______________________________________
Nous remercions le Festival de Deauville, Greg Kwedar et Clint Bentley pour cette interview.
N’hésitez pas à aller jeter un oeil sur notre avis concernant Transpecos !