L’ODYSSÉE : L’aventure de l’égo ★★★☆☆

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Jérôme Salle s’attaque au mythe Cousteau dans un biopic parfois maladroit mais ambitieux.

Au-delà de l’esthétique insipide de plus en plus balisée du cinéma français, on peut également reprocher à l’Hexagone de ne pas assez mettre en avant des éléments de sa culture sortant d’une certaine norme. Car oui, la France possède aussi ses aventuriers, ceux qui ont voulu quitter ce monde de drames bourgeois lassants, et le Commandant Cousteau en fait partie. Il est même étonnant qu’un tel explorateur des fonds marins, qui a amené au grand public des images concrètes d’un univers à l’époque fantasmatique par la biais du cinéma, n’ait qu’aujourd’hui un hommage rendu par le septième art. Et pour ce faire, on ne peut que féliciter l’ambition de Jérôme Salle, réalisateur au style affirmé qui a su tirer des leçons et des exigences de ses quelques errances américaines (les deux Largo Winch). Entre ses reconstitutions minutieuses et ses cadres majestueux servis par une lumière de toute beauté, L’Odyssée est une œuvre visuellement époustouflante, qui embrasse avec panache les inspirations du biopic à l’américaine, accentuant l’extraordinaire de la vie d’un homme. Néanmoins, Salle évite de nombreux pièges, et surprend même en s’éloignant vite d’une vision élégiaque des aventures de Jacques-Yves Cousteau, le capitaine de La Calypso.

En effet, le cinéaste n’hésite pas à convoquer les liens entre la vie privée complexe d’un être égoïste (ses relations conflictuelles avec ses enfants, ses adultères) et son désir de conquête et de reconnaissance. L’image aujourd’hui populaire d’un pionnier de l’écologie ne s’est pas fabriquée en une journée, et est au contraire passée par une remise en cause d’une gloire mise en scène. Pour autant, Jérôme Salle n’est pas hypocrite, et magnifie cette facticité qui a tant passionné un public au regard alors plus rivé vers les étoiles que vers les océans. Le réalisateur lui-même traduit sa propre fascination pour son sujet en sublimant le jeu de Lambert Wilson, transformant Cousteau en un mythe qu’il critique moins que le contexte dans lequel il évolue. Comme son titre l’indique avec ironie, L’Odyssée regrette un monde où l’aventure n’était motivée que par une simple envie d’explorer et de se transcender, de dépasser ses limites et celles de la connaissance humaine. A l’heure où la culture française renie cette curiosité inscrite dans son histoire, également exprimée dans des récits de l’imaginaire, Jérôme Salle aime à la rappeler, citant ouvertement Jules Verne comme inspiration pour le Commandant.

Dès lors, le cinéaste ne s’amuse jamais autant que lorsqu’il mène son récit vers le film d’aventure, livrant son lot de séquences spectaculaires, notamment une rencontre sous tension entre des plongeurs et des requins, impressionnante dans sa gestion de l’espace. Malgré les difficultés évidentes des tournages sous-marins, Salle y instaure une mise en scène aussi exigeante (voire plus) que sur les passages terrestres, et floute ainsi la frontière entre ces deux types de décors. Les émotions s’y expriment de la même manière, le réalisateur faisant confiance aux regards et au langage corporel de ses acteurs au sein de cet élément à priori dangereux pour l’homme (ce qui est d’ailleurs annoncé par un accident dès le début du film) mais qui leur apporte cependant tant de vie, telle une nouvelle façon de ressentir à travers l’eau.

C’est d’ailleurs pour ces raisons que L’Odyssée pèche dans sa dimension de biopic. Trop préoccupé par ses diverses sous-intrigues, le film perd de son aspect contemplatif en accumulant des saynètes parfois insuffisamment développées pour marquer l’œuvre dans son ensemble. Pourtant, le long-métrage trouve ses meilleurs moments quand il prend son temps, quand il s’attarde sur ce ressenti pur qui échappe justement à Cousteau, alors que son fils Jean-Michel (brillant Pierre Niney) essaie de l’y ramener. Le scénario est ainsi marqué d’à-coups pas toujours adroits, bien que l’on puisse les considérer comme les multiples obstacles barrant la route de La Calypso et de son équipage. Dommage que certains passages forcés, notamment quelques set-up/pay-off évidents, ne viennent entacher un ensemble qui aurait probablement joui d’une plus grande épure, en ramenant plus simplement l’intimité d’une vie de famille au sublime réceptacle qui l’accueille. Cette absence d’échelle, compensée dans un dernier acte malheureusement trop bref, empêche L’Odyssée d’être un grand film. Néanmoins, il reste un long-métrage à l’ambition revigorante, un appel à l’aventure inspirant et une fresque magnifique sur notre chère planète bleue, dont le cinéma français devrait très clairement s’inspirer.

Réalisé par Jérôme Salle, avec Lambert Wilson, Pierre Niney, Audrey Tautou

Sortie le 12 octobre 2016.