Rire et comedie : pourquoi rions-nous ? (1)

Le rire est foncièrement un phénomène subjectif. Ce qui explique la diversité des opinions à son sujet.
Et il reste tant à faire qu’étudier l’humour est une réelle opportunité pour apporter sa contribution à l’édifice.
A travers toutes les théories avancées jusqu’à présent et plus particulièrement au cours des trois dernières décades, le dénominateur commun est que l’humour est si subjectif qu’aucune théorie n’est vraiment capable de répondre à la question.

Quid de la théorie ?

La difficulté à théoriser le rire est une bonne nouvelle pour ceux qui s’empare de l’humour comme moyen d’expression parce que cela offre tant de différences, une telle multiplicité que la liberté d’expression n’en souffre pas.

Par ailleurs, ceux qui écrivent des comédies ne sont pas vraiment sûrs de ce qu’ils font. Woody Allen lui-même reconnaît qu’il écrit par instinct, à l’intuition.
Tout créateur se méfie des tentatives d’analyse de ses techniques créatives. Il a découvert lui-même par ses essais et ses erreurs ce qui fonctionne mieux chez lui.

Un mantra semble faire l’unanimité

Si cela fait rire, c’est que c’est amusant. Donc on le garde.

Partant, beaucoup d’auteurs de comédie nient que celle-ci puisse être structurée ou apprise de quelques façons.
L’habileté plus que le sens de l’humour proviendrait de profondeur ou de facteurs tels que les caractéristiques ethniques, l’influence maternelle de la tendre enfance et de ses propres insécurités.

Pour Ross McKenzie, l’humour est une des choses de la vie qui résiste à l’analyse. Qu’on le possède ou non, qu’on l’apprécie ou non.

Cependant, il est impossible de faire fi de la demande croissante en comédies. Une méthodologie s’avère nécessaire. L’humour est peut-être un mystère mais il doit être possible de le démystifier.

Une réponse émotionnelle

L’humour est effectivement une réponse émotionnelle éminemment subjective.
On peut admettre qu’il répond aux vicissitudes de la réalité.

Pourquoi rions-nous ?
Si nous cherchons à répondre à la question, on peut considérer plusieurs théories.

La surprise

Nous nous mettons souvent à rire pour cacher un sentiment de gêne. Soit nous avons fait ou dit quelque chose de stupide, sans le vouloir.
Soit on s’est fait duper.

L’effet de surprise est une des techniques humoristiques le plus souvent employée dans les comédies.
La chute d’une blague lorsqu’elle se fonde sur la surprise pour le lecteur/spectateur fonctionne plutôt bien.
Ainsi, la prévisibilité est évitée ce qui gâcherait toute l’histoire.

De même, exposez successivement des situations même si elles sont intrinsèquement amusantes lasse rapidement le lecteur qui s’attend  à une chute.
Donc à un climax.
Et si celui-ci adopte un élément de surprise dans sa construction, l’effet sera plus puissant.

Et alors que nous sourions à un bon mot, une blague provoque plus facilement le rire.
Pour créer ce rire en employant l’effet de surprise, une technique consiste à piéger le lecteur, à l’emmener dans une voie et lui proposer quelque chose de totalement inattendu.

Une chute attendue

Cela fonctionne lorsque le lecteur accepte une affirmation qui lui est donnée dans la mise en place de la situation. Il se fonde alors sur cette affirmation pour élaborer une expectation sur la chute.
Mais c’est une fausse attente.

La chute propose alors quelque chose d’inattendu par rapport à cette attente. Mais cela ne peut fonctionner, on ne peut être surpris, que si l’on attend quelque chose d’autre.
Concrètement, on peut introduire une information connue par le plus grand nombre.
Par exemple, un aveugle demande à une personne s’il peut lui toucher le visage.

Nous avons là une information qui suggère immédiatement en nous que l’aveugle utilisera ses mains pour toucher le visage de l’individu.
Si nous faisons cela, nous ne sommes pas dans la comédie.

Par contre, si le climax de cette scène consiste pour l’aveugle à utiliser sa canne pour découvrir le visage de l’inconnu, alors nous sommes dans le registre de la comédie.

De même, l’incongruité participe de l’effet de surprise.
Je vous renvoie à
COMEDIE : L’IMAGINATION AU POUVOIR
pour compléter cette importance de l’effet de surprise dans la comédie.

La supériorité

Il apparaît que de se sentir supérieur est un besoin constant et assez fort. On rit souvent aux dépens de quelqu’un.

Pour Bergson, le rire est nécessairement humain car nous rions des personnes ou des choses qu’elles font.
S’il nous arrive de rire d’un chimpanzé, par exemple, c’est parce que nous reconnaissons ou croyons reconnaître en ces mimiques des attitudes humaines.

Bergson ajoute qu’être capable de rire exige une attitude détachée, une distance émotionnelle. C’est ce qui nous permet de rire de la tragédie.
Evidemment, l’objet de ce rire ne goûte pas de la même façon ce relâchement sadique qui se manifeste dans le rire à ses dépens.

Ce que nous faisons avec l’humour est de nous comparer aux autres que nous considérons comme inférieur en ridiculisant leur intelligence, leur statut social ou même leurs infirmités physiques.
Mais cela fonctionne aussi dans l’autre sens.

Ainsi ceux qui nous sont supérieurs pour des raisons d’autorité ou parce qu’ils sont célèbres ou riches ou plus intelligents ou plus forts, nous prenons plaisir en diffusant leurs  imperfections, leurs points faibles.
Tout ce qui peut en fait les diminuer et que ce tout soit seulement perçu ou bien réel.

Le mot d’esprit le plus répandu est bien celui qui cherche à blesser la personne, objet du rire recherché.
Et cela fonctionne très bien dans les comédies où les personnages sont régulièrement l’objet d’un humour blessant.

Une critique sociale

Et en tant que tel, l’humour sert à relâcher la tension. Il est comme une catharsis émotionnelle. Et en particulier pour les minorités ethniques.

L’humour dissout nos insécurités. Même lorsque nous croyons tout posséder, nous ne sommes pas sûrs que nous pourrons le garder. Et nous en concevons un certain sens d’infériorité quelle qu’elle soit.

Pour contrer ce sentiment diffus et confus, nous pourrions accomplir quelque chose qui nous rendent fiers de nous.
Paradoxalement, nous allons attirer aussi les moqueries parce qu’il est plus facile de critiquer publiquement ce qu’accomplissent les autres.

Et non pas que nous ne soyons pas capable d’accomplir nous-mêmes ces choses. Seulement, le temps et l’effort consentis à diminuer le travail des autres (qu’ils soient nos compétiteurs ou non) sont bien plus économiques. Donc la critique par l’humour est plus abordable.

Nous pouvons alors dégorger notre sentiment d’infériorité en découvrant et s’emparant des défauts de ceux que nous considérons comme supérieurs.
Le rire provient des malheurs de ceux que nous craignons. Et nous gagnons en supériorité parce que leur image a été ternie.
Mais aussi parce que la situation difficile qui sert de base à la critique humoristique ou à la comédie ne nous concerne pas.

En effet, on ne peut pas rire des autres de ce qui nous touche personnellement. L’auteur d’une comédie devrait donc bien peser sur quel aspect social va porter sa critique.

Pour Freud, un bon humour est orienté pour maintenir le statut quo en ridiculisant les comportements sociaux considérés comme déviants. Ce qui rassure la majorité que son mode de vie est le bon.

L’humour dans ce cas est davantage considéré comme une arme plutôt que comme un moyen de défense.

Le public d’une comédie est par conséquent toujours plus réceptif et satisfait lorsque le sujet, la technique employée pour le faire rire et le résultat c’est-à-dire la qualité du rire engendré l’encourage à se sentir supérieur.

A lire :
COMEDIE : L’IMAGINATION AU POUVOIR
. COMEDIE ROMANTIQUE

La seconde partie de cet article sur d’autres théories possibles sur la génération du rire se trouve ICI :
RIRE ET COMEDIE : POURQUOI RIONS-NOUS ? (2)