L’Odyssée, le nouveau film de Jérôme Salle, n’est pas une adaptation du poème épique d’Homère mais le biopic du Commandant Cousteau, qui fut l’une des personnalités françaises les plus influentes de la deuxième moitié du XXème siècle. Cependant, il adopte une structure qui joue sur les similitudes entre le destin de Jacques-Yves Cousteau et les antiques aventures d’Ulysse et qui emprunte beaucoup à la tragédie grecque.
Comme Ulysse, héros de la Guerre de Troie, Jacques-Yves Cousteau est un ancien soldat, qui a servi durant la seconde guerre Mondiale, oeuvrant au débarquement des Alliés en Italie.
Après la guerre, Cousteau tombe sous le charme d’un vieux bateau dragueur de mines, qu’il baptise Calypso. C’est également le nom de la nymphe de la mer qui envoûta Ulysse, l’obligeant à rester loin des siens pendant de longues années. Dans les deux cas, Calypso symbolise le pouvoir d’attraction de la mer sur les hommes. De fait, Ulysse et Jacques-Yves Cousteau voguent à la découverte de contrées inconnues et de créatures étranges, sacrifiant à leur passion leur vie de famille. La variante, c’est que si Penelope attend patiemment le retour d’Ulysse sur la terre ferme, Simone Cousteau partage l’aventure de son mari et l’attend à bord de la Calypso quand il est obligé de retourner sur le continent pour s’occuper des affaires de leur société.
En chemin, comme Ulysse, Cousteau va affronter des Cyclopes (les producteurs de télévision) et devoir résister aux sirènes (des admiratrices), qui tentent de l’attirer loin de son épouse fidèle et dévouée…
Mais la seule véritable créature mythique que le célèbre commandant va croiser sur sa route, c’est lui-même, ou du moins l’image qu’il s’est appliqué à forger au cours de ses voyages. Celle d’un héros des temps modernes, pionnier de la défense de l’environnement et de la conquête des fonds marins, un aventurier audacieux, un inventeur de génie (on lui doit l’invention du matériel de plongée moderne, plus léger et maniable que les anciens scaphandres), un cinéaste inspiré, titulaire d’une Palme d’Or et d’un Oscar (1), et une figure publique influente, identifiable au célèbre bonnet rouge, qui sera pendant longtemps l’une des personnalités préférées des français (2). Le plus grand danger de son Odyssée, c’est de s’effacer derrière ce mythe, cette image idéalisée, au point d’oublier qui il est vraiment, et de privilégier les apparences au détriment de ses proches, sa femme et surtout ses fils.
En fait, la plus grande aventure du Commandant Cousteau, c’est la quête de ses fils perdus, ses Télémaque. Philippe, le fils préféré, qui a fini par se rebeller et prendre son indépendance, loin de l’ombre écrasante de ce père héroïque et Jean-Michel, le fils aîné, dont il n’a jamais vraiment remarqué la présence et le soutien indéfectible.
Le film de Jérôme Salle s’intéresse surtout aux relations complexes, torturées, que Jacques-Yves Cousteau a entretenu avec ses fils, jusqu’au drame de sa vie, le décès de Philippe, en 1979, aux commandes d’un hydravion. Bien évidemment, comme tout bon biopic, il rappelle tout ce qui a forgé la réputation de son sujet, retraçant les principales étapes de sa carrière à partir du moment où il a décidé de quitter l’armée pour se concentrer sur l’exploration sous-marine, mais il montre aussi d’autres facettes de l’homme, plus sombres et plus intimes.
On découvre un Cousteau dépassé par l’ampleur de ses projets, dépensier et un brin mégalomane, n’hésitant pas à se compromettre auprès de groupes pétroliers pour financer ses films. Mais aussi un coureur de jupons, consolidant le cliché des marins qui ont une fille dans chaque port, et un père absent ou trop exigeant avec ses enfants.
Il ne s’agit pas pour autant d’un portrait à charge. Le cinéaste trouve le juste équilibre entre les bons et mauvais côtés du personnage, rappelant qu’avant d’être une “star”, un mythe, Cousteau était un être humain, avec ses forces et ses faiblesses.
Cela ne donne que plus de valeur à ce qu’il a accompli. Les aventures du Commandant Cousteau, ce sont avant tout des aventures humaines, parsemées d’engueulades homériques – forcément – mais aussi de moments de complicité durant lesquels se tissent des liens indéfectibles entre les membres d’équipage, des frayeurs et des moments de pur émerveillement.
La grande force du film, c’est d’être une aventure humaine comparable. Le cinéaste aurait pu céder à la facilité et filmer ses acteurs sur fond vert pour les incruster dans des images de synthèse, mais il a préféré tourner le film en conditions réelles, emmenant équipes technique et comédiens sur mer, d’Afrique du Sud jusqu’en Antarctique (3). Par souci de réalisme, il les a obligé à plonger avec le matériel d’époque, révolutionnaire dans les années 1950/1960, mais lourd et peu pratique comparé au matériel moderne. Il leur a fait passer le Cap Horn, affrontant une tempête gigantesque. Il les a fait nager au milieu des requins pour reconstituer une des séquences marquante des documentaires de Cousteau. Autant dire que le tournage n’a pas dû être une partie de plaisir, surtout pour Lambert Wilson et Audrey Tautou, qui ont également dû subir de longues séances de maquillage pour incarner Simone et Jacques-Yves Cousteau âgés. Mais on sent que ces épreuves ont rapproché les acteurs et leur complicité se retrouve à l’écran.
Invitation au voyage, L’Odyssée est un joli film d’aventures qui rend hommage à l’oeuvre du Commandant Cousteau et rappelle tout le sens de son action pour la protection des fonds marins et la préservation de l’Antarctique (4). Qui sait, peut-être saura-t-il susciter des vocations et faire émerger des héritiers spirituels de Jacques-Yves Cousteau, prêts à poursuivre son oeuvre et ses combats?
(1) : Pour Le Monde du silence, en 1962
(2) : Il a été élu plus de vingt fois “Personnalité préférée des Français” (un record) d’après le traditionnel classement annuel du Journal du Dimanche
(3) : Le cinéaste proclame fièrement qu’il s’agit du premier film de fiction tourné en Antarctique. C’est inexact à l’échelle du cinéma mondial, mais il s’agit bien du premier film de fiction français tourné dans cette contrée sauvage.
(4) : l’Antarctique est protégée de toute activité militaire et de toute exploitation commerciale de ses ressources par le protocole de Madrid, signé en 1991. Cousteau a beaucoup oeuvré pour la signature de ce protocole.
Aujourd’hui, sa fondation continue de veiller à ce que ce traité soit respecté : http://www.cousteau.org/
L’Odyssée
L’Odyssée
Réalisateur : Jérôme Salle
Avec : Lambert Wilson, Pierre Niney, Audrey Tautou, Benjamin Lavernhe, Vincent Heneine, Laurent Lucas
Origine : France
Genre : film d’aventures homérique
Durée : 2h02
date de sortie France : 13/10/2016
Contrepoint critique : L’Obs