Un nouveau tour de force de la part d’Alejandro Jodorowsky.
Cartomancien, poète, écrivain, auteur de B.D, dramaturge, cinéaste : Alejandro Jodorowsky, c’est tout ça à la fois. Un visionnaire insaisissable au génie si singulier, dont la boulimie créatrice n’a jamais cessé de croître. Son œuvre, traversée d’expérimentations, d’allégories philosophiques et d’explorations mystérieuses de l’inconscient, compte parmi l’une des plus fascinantes de l’histoire du cinéma. Après 23 ans d’absence sur les écrans, Jodorowsky a signé son grand retour à la réalisation en 2013 avec La Danza de la realidad, et enfin aujourd’hui avec Poesia Sin Fin, tout deux adaptés de ses autobiographies. A 87 ans, le papa d’El Topo et de La Montagne Sacrée semble avoir atteint une certaine paix intérieure, nous livrant avec ce deuxième volet une sorte de bilan introspectif en forme de testament cinématographique bouleversant. La principale profession de foi de Jodo, à savoir transcender l’existence par la magie de la mise en scène, n’aura jamais été aussi limpide que dans Poesia Sin Fin, superbe ode à la vie et à la créativité.
Le film reprend donc là où La Danza de la realidad nous avait laissés : le jeune Alejandro doit quitter avec ses parents le petit village de Tocopilla pour s’installer dans la capitale. Contre la volonté de son père qui veut faire de lui un médecin, « Alejandrito » décide de fuir pour devenir poète. Comme son prédécesseur, Poesia Sin Fin est une plongée à travers les souvenirs de son auteur, construite à la manière d’un long rêve. A l’image de la difficulté que représente la reconstitution d’un songe, les émotions et les sensations se substituent à une quelconque cohérence temporelle. Les différents évènements s’enchaînent donc ici sans réelle logique quitte à en déstabiliser plus d’un. En effet, il suffit d’une porte qui se ferme et qui s’ouvre pour que le jeune Alejandro adolescent se transforme comme par magie en adulte (interprété par le chanteur et fils du cinéaste Adan Jodorowsky).
A l’image du parcours du personnage, dont la fuite va le mener à un éveil à l’art, le cinéaste choisit de perdre son spectateur pour mieux l’émerveiller. Là où La Danza de la realidad était bercé d’un contexte socio-politique, ce deuxième volet plonge dans les obsessions du personnage en se détournant complètement de la réalité. On est ainsi transporté dans un torrent de poésie, de couleurs et d’allégories merveilleuses, toujours accompagné de freaks et autres personnages loufoques que Jodo affectionne tant. Très difficile à cerner comme toujours chez son auteur, le film privilégie plus que jamais une exploration de l’art et de la magie du monde à travers un parcours initiatique fantasmé. Car après tout, le cinéma de Jodorowsky ne s’intellectualise pas ; il se vit.
A l’instar de La Danza de la realidad, Poesia Sin Fin jouit d’une qualité jusque-là inédite dans la filmographie de Jodorowsky : une véritable puissance émotionnelle. Sans pour autant se détourner de son univers, lyrique et chargé de symboles, le long-métrage parvient constamment à impliquer son spectateur en raison de son caractère purement autobiographique. Un tour de force tout à fait remarquable compte tenu de l’étrangeté de certaines scènes et de l’aspect si atypique de l’univers du cinéaste. Une symbiose idéale entre la soif expérimentale de l’auteur et le récit profondément émouvant qu’implique le prisme de l’autobiographie. Il y a en effet quelque chose de réellement déchirant à voir Alejandro Jodorowsky réinventer, ou plutôt ré-enchanter sa propre jeunesse par le pouvoir évocateur du cinéma. Tout le film est ainsi parsemé d’interventions touchantes du cinéaste, sage et apaisé, tentant de consoler un jeune « Alejandrito » en proie à des doutes existentiels. Dans une scène finale sublime dans laquelle, avant de prendre le large, le Jodorowsky d’aujourd’hui réconcilie le jeune Alejandro d’alors avec son père, le réalisateur nous rappelle que le cinéma reste le plus beau des tours de psycho-magie.
Réalisé par Alejandro Jodorowsky, avec Adan Jodorowsky, Pamela Flores, Brontis Jodorowsky…
Sortie le 5 octobre 2016.