LES TROLLS : Can’t stop the irony ! ★☆☆☆☆

Dreamworks sombre une nouvelle fois dans ses travers que seul Dragons parvient à éviter.

Dans son épisode du 10 février 2016, qui surfe sur la sortie de Deadpool, l’émission BiTS interroge l’usage de l’ironie dans la culture populaire, devenue au fil des années une fin en soi. Son rédacteur en chef et narrateur, Rafik Djoumi, prend même l’exemple d’œuvres grand public, qui touchent donc des jeunes avant même qu’ils ne connaissent l’objet parodié. Plus précisément, il s’attarde sur le cas de Jeffrey Katzenberg, patron de Disney dans les années 90, qui a ensuite créé Dreamworks Animation. D’un studio à l’autre, il a su imposer un humour qu’il a qualifié lui-même « d’edgy », c’est-à-dire référentiel et plus adulte. Si ce modèle paraît aujourd’hui aussi évident pour les producteurs que pour les spectateurs, il permet le plus régulièrement aux films de reposer sur cette destructuration pour pallier à la faiblesse de leurs scripts, méthode pour laquelle Dreamworks est devenu le parangon depuis la déliquescence de la franchise Shrek. Et à l’exception des deux Dragons, seuls concurrents qualitatifs valables aux productions Pixar et à certains Disney, la firme continue de sombrer dans ce second degré qui s’apparente de plus en plus à du cynisme, et dont Les Trolls se présente aujourd’hui comme l’une des itérations les plus explicites.

les-trolls-2

D’aucuns pourront critiquer le projet sur sa simple donnée mercantile, le film se fondant sur les célèbres jouets à tignasses colorées, mais La Grande aventure Lego a prouvé que ce type de concept peut transcender son produit d’origine en construisant avec cohérence un univers. Pas de chance, Les Trolls se contente du minimum syndical, développe une intrigue cousue de fil blanc (les heureuses créatures sont menacées par des ogres ternes, les Bergen, convaincus qu’ils ne peuvent goûter au bonheur qu’en les mangeant), en plus de bouffer stylistiquement à tous les râteliers (le musical façon Happy Feet, la parodie de conte à la Shrek, les designs de monstres en partie tirés des productions Laika, ou encore l’humour potache des Minions). Le fait que le métrage s’ouvre sur l’image d’un livre de scrapbooking résume assez bien sa dimension de patchwork indigeste et opportuniste qui ne raconte pas grand-chose. Néanmoins, cette forme serait presque cohérente avec le joyeux chaos explosif de la vie des trolls, mis en avant par un travail remarquable des couleurs et des textures (surtout des poils, que les animateurs transposent sur d’autres éléments, tels de fins coups de pinceaux impressionnistes).

Mais la véritable malhonnêteté du film tient dans le regard que Dreamworks porte sur la génération de jeunes qu’il vise, passant du clin d’œil facile à la pure et simple insulte. Cela n’empêche pas d’ailleurs certaines blagues d’être franchement jouissives et bien construites, à l’instar de cette découverte de la voix naturellement autotunée d’un personnages à paillettes. Cependant, le studio ne fait que se complaire une fois de plus dans une pose pseudo-cool, cherchant à appâter les petits avec une vision très réduite de ce qu’ils aiment (en gros, les tubes FM, le langage SMS et les émojis). Dès lors, le récit ne semble jamais évoluer tant il se sait en perdition sans son humour à valeur refuge. Même quand l’histoire appuie un instant une certaine dramaturgie pour nous rappeler les enjeux de son concept (on parle malgré tout d’ogres capables de commettre un génocide !), il est de bon ton de remettre une couche de vannes pour mieux faire passer la pilule.

trolls-4

Les Trolls se veut donc paradoxalement plus adulte en étant extrêmement balisé et inoffensif, ne faisant jamais face à son statut de conte à priori cruel. Cette peur du premier degré pousse ainsi le studio à envisager un cynisme qui serait inhérent à la jeunesse actuelle, et que le film traite là encore avec contradiction. Mettant en opposition de façon assez simpliste une héroïne optimiste, la princesse Poppy (piètrement doublée en VF par Louane Emera) et un compagnon de route, Branche, exaspéré par le bonheur sans faille de son peuple (doublé lui par un Matt Pokora étonnamment convaincant), le métrage se moque ouvertement du message d’espoir sur lequel il se conclut, ce qui l’invalide. Comment prendre au sérieux un propos raillé tout du long par ses créateurs, uniquement remis sur les rails dans un troisième acte forcé où Branche retourne sa veste comme un prêtre devant un enfant de chœur ? Les Trolls aurait pu au moins se tenir à son parti-pris ironique jusqu’au bout, plutôt que de sacrifier le peu de cohérence qu’il lui reste pour rentrer dans le rang qu’il croit éviter avec prétention. Il pourrait n’être qu’une énième preuve de la limite du système Dreamworks, mais son obsolescence est encore plus flagrante en cette année véritablement portée par un cinéma d’animation mature, exigeant et immersif (Zootopie, Le Monde de Dory, La Tortue Rouge, Kubo et l’armure magique, Anomalisa, Le Garçon et la bête, ou encore le récent Ma vie de courgette) qui noie Les Trolls dans son propre cynisme.

Réalisé par Mike Mitchell et Walt Dohrn, avec les voix (en VO) d’Anna Kendrick, Justin Timberlake

Sortie le 19 octobre 2016.