[CRITIQUE] – L’Attrape-rêves (2016)

167465-jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx

Réalisé par : Claudia Llosa

Avec : Cillian Murphy, Jennifer Connelly et Mélanie Laurent

Sortie : 26 octobre 2016

Durée : 1h33min

3D : Oui – Non

Synopsis :

À Nunavut, dans le Grand Nord canadien, Nana Kunning consulte un guérisseur pour l’un de ses fils. Cette rencontre va bouleverser le cours de son existence. Vingt ans plus tard, son fils aîné part sur les traces de sa mère, accompagné d’une journaliste française. Nana est devenue guérisseuse aux confins du cercle polaire…

3/5

Ce troisième essai est pour Claudia Llosa, l’un des meilleurs espoirs du cinéma péruvien, le film du changement, éclairé cette fois par un casting beaucoup plus lourd, laissant de coté la violence sociale de ses deux derniers films pour plus de candeur et de générosité. Reste fixé dans son cinéma « l’objet » d’étude féminin, mais ici au travers d’une introspection plus discrète. Ce troisième film de la réalisatrice explore avec délicatesse le long processus de cicatrisation face à la perte d’un être cher, qui donne lieu à un road movie dans le froid canadien.

LE CHEMIN SANS RETOUR

Ce titre d’abord, L’Attrape-rêve, évoquerait l’ambiguïté constante de la storytelling entre vie spirituelle et réalité. « Tout le sous-texte du film est sur l’écart entre la vie physique et le spirituel, explique Claudia Llosa, qui a accepté de répondre à nos questions. Il y a les choses qui sont dites, pensées et contrôlées, contrastées par tout ce qui n’est jamais dit et qu’on ne peut pas toucher. » À quel moment, nous spectateurs, devons-nous cesser de nous accrocher à notre rationalisme exacerbé et nous laisser aller à l’espoir d’une guérison possible par ces voies mystiques ?

Ce titre ensuite, car les personnages, par le road movie que le film constitue, viennent chercher en bout de quête l’effacement de leurs cauchemars. Ceux qui les hantent depuis l’enfance, depuis que Nana a laissé Ivan à son grand-père. Et Jania, qui veut se défaire de ce mal dont on ne sait si il est plus physique que moral. Enfin ce titre parce que le film, comme l’attrape-rêve que l’on reçoit à Noël et que l’on accroche au dessus de son lit, va rester punaisé à notre mémoire, on oubliera certainement sa présence, mais on saura qu’il est là, qu’il fait désormais parti de notre imaginaire.

La réalisatrice, en esthète confirmée, effectue son propre voyage cinématographique, succédant les gros plans appuyés pour capter l’émotion des personnages et les plans larges des confins du cercle polaire. Un montage alterné glisse entre la quête spirituelle de Nana et le parcours d’Ivan et Jania. Le scénario dévoile touche par touche le pourquoi de ce retournement de situation dont on connait chaque issue. Dès les premières minutes, la réalisatrice nous donne toutes les clefs de résolution, mais reste le parcours. Et c’est au travers de ces différents « comment » que le film va se bâtir. Et quel génie que de poser dès le début le problème et la solution, pour nous faire suivre et donner à comprendre pendant une heure et demie la quête spirituelle de chacun des personnages. Le temps long, celui de l’observation, laisse les plans se dilater et s’étirer, le temps concret étant presque devenu arbitraire. Le passage d’une époque à l’autre se fait dans la continuité de la narration, d’ailleurs l’alternance de l’une à l’autre ne passe pas par une démarcation esthétique – pourtant souvent de rigueur avec le noir et blanc ou le sépia.

SANS AMOUR

L’Attrape-rêve, c’est une galerie de portraits, qui se reflètent les uns sur les autres sans jamais réussir à s’atteindre. Sauf peut-être Jania et Ivan, qui créent un espace intime – qui ne basculera jamais vers l’amour – d’où ils puisent leur force pour ce voyage. Chacun d’entre eux tente de tirer le film à soi, monopolisant tour à tour l’attention du spectateur. Le film fonctionne selon ce principe de personnages qui ont tous leur propre parcours et but à atteindre. Il y a cette impression que rien ne les relie mis à part cette hargne d’aller droit au but. Le point de convergence est cette nécessité pour chacun de s’ouvrir et d’expulser leurs sentiments. Ce flux d’affect permanent donne vie au film, c’est une multitude de petites bulles d’affection et d’intimité qui se créent les unes à coté des autres. Mais toujours dans une certaine fragilité, si elles s’approchent de trop près, chacune est prête à faire exploser l’autre.

Ce nouveau film de Claudia Llosa est vivifiant, mais s’éloigne malheureusement de la promesse qu’elle faisait d’emmener quelque part le cinéma d’Amérique latine en prenant un virage peut-être décisif pour sa carrière.

Retrouvez notre interview de Claudia Llosa en cliquant ici.

Image de prévisualisation YouTube