Reparti de manière incompréhensible bredouille du Festival de Cannes, le nouveau film de Park Chan-Wook, Mademoiselle, est un formidable jeu de manipulation et d’amour, filmé avec autant de sensualité que de psychologie. Sans doute l’un des plus grands candidats au statut de chef d’oeuvre cette année.
Après son incartade aux USA avec l’étonnant Stoker, le réalisateur du cultissime Old Boy est de retour de Corée. Et inspiré par le livre Du Bout des Doigts de la britannique Sarah Waters, il trouve là le sujet de son nouveau film, transposant cette histoire londonienne dans le cadre encore plus étriqué de l’occupation japonaise de la Corée pendant les années 30. Une jeune fille devient la servante d’une riche japonaise recluse dans un manoir, presque prisonnière de son oncle qui veut se servir d’elle pour perpétuer la famille. Mais notre jeune servante est en réalité une arnaqueuse qui est là pour inciter l’héritière à se marier avec un autre homme. Le souci est qu’elle en tombe également amoureuse … mais quels sont les sentiments les plus réels ? Et jusqu’où va la manipulation ?
Pendant plus de 2h, le scénario à tiroirs va se jouer de nous et nous allons beaucoup aimer cela. En mêlant habilement suspense, amour, érotisme, nous avons là un jeu de manipulation sensuel entre les différents personnages dont l’issue est bouleversante. Ici, tout le monde finit par manipuler tout le monde pour notre plus grand plaisir et cela révèle ainsi beaucoup de choses à la fois sur les relations entre les différentes classes sociales mais aussi dans les rapports entre la Corée et le Japon, aucun ne pouvant se fier à l’autre, et pourtant certains pourront peut-être s’entendre.
Evidemment, impossible d’en dire trop sur l’intrigue et ses rebondissement sous peine de vous gâcher le plaisir (et on en a déjà peut-être trop dit d’ailleurs) mais le récit nous tient sans mal en haleine avec des changements de point de vue régulier pour se redynamiser sans cesse et nous offrir toujours de nouvelles perspectives. C’est particulièrement intelligent et machiavélique.
Avec des comédiens particulièrement inspirés pour entretenir en permanence le doute, Park Chan-Wook emballe son film sous un classicisme de surface pour mieux nous tromper et pour que les accès d’érotisme ou de violence en soient encore plus marquants, révélant à ces moments là tous les sentiments poussés dans leur retranchements par les personnages. Sans être aussi violent que d’habitude, le réalisateur reste alors fidèle à lui-même en assénant des vérités qui peuvent détruire des personnages mais aussi en montrant des amours maudits et dévastateurs de la plus belle des manières.
A cela il convient de mentionner la beauté formelle du film avec des plans et une lumière aussi magnifiques que le sont les costumes et les décors. Mais le côté historique de cette reconstitution en semi-huis-clos ne va jamais à l’encontre de l’histoire d’arnaque et de manipulation parfois malsain et souvent rempli d’amour que nous avons plaisir à suivre. Bref, le réalisateur nous gratifie d’un film sublime et fascinant, sans doute l’un des plus beaux et mémorables de l’année.