[INTERVIEW] – Radu Mihaileanu (L’Histoire de l’Amour)

Durant le 42e Festival du Cinéma Américain de Deauville, nous avons vu L’Histoire de l’Amour, le nouveau film de Radu Mihaileanu. Nous avons eu le plaisir de rencontrer le réalisateur fin octobre à Paris. Attention âmes sensibles, cet entretien contient de l’espoir et plein de love.

Synopsis :

Il était une fois un garçon, Léo, qui aimait une fille, Alma. Il lui a promis de la faire rire toute sa vie. La Guerre les a séparés – Alma a fui à New York – mais Léo a survécu à tout pour la retrouver et tenir sa promesse. De nos jours, à Brooklyn, vit une adolescente pleine de passion, d’imagination et de fougue, elle s’appelle aussi Alma. Rien ne semble lier Léo à la jeune Alma. Et pourtant… De la Pologne des années 30 à Central Park aujourd’hui, un voyage à travers le temps et les continents unira leurs destins.

Bande-annonce à retrouver en bas de cet article.

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Estelle Lautrou : Comment gère-t-on une temporalité allant de 1938 environ jusqu’en 2006 ?

Radu Mihaileanu : On commence dans un village juif avant la guerre, puis on voyage jusqu’à New York en passant par le Chili.

On fait un « dépouillement par époque ». Chaque époque est très bien définie dans chaque scène. Et dans une même époque, on a différentes modes. Le plus long et fastidieux est la préparation. Il faut connaitre les nombreuses coiffures, les véhicules… Le film traverse au moins une dizaine d’époques. Dans le film, rien qu’à New-York, il y a au moins cinq époques. Il faut se documenter sur chaque période, à tous les niveaux. Accessoires, types de stylos… Il y a beaucoup d’écritures dans le film, il fallait voir quelle typographie adopter, ou si on utilisait la machine à écrire ou plutôt un ordinateur. On a des scènes d’ordinateurs, avec des écrans. Il fallait respecter des choses dont le spectateur ne se rend pas compte si c’est bien fait. Par exemple, dans une scène de 2006, il nous fallait des ordinateurs commercialisés en 2006. Puis on se demande ce que l’ordinateur pouvait faire ou non, et à quelle vitesse. En plus, 2006 c’est le début de Facebook. Donc les pages avaient un certain design et le site n’avait pas les mêmes fonctionnalités qu’aujourd’hui. La messagerie Facebook n’existait pas. C’était uniquement par MSN. Il a fallu refaire tous ces détails. C’est très laborieux si on veut donner de la crédibilité à nos époques.


Combien de temps vous a-t-il fallu pour préparer et tourner ?

Radu : Cinq mois de préparation et onze semaines de tournage. On a tourné sur trois pays. Une fois que tout est très bien préparé, l’exécution est un peu plus facile.  Je dis « facile », mais c’est plus compliqué que de tourner dans un seul décor avec seulement deux personnages. Là par exemple, on est quand même à New-York en 1946 avec des dizaines de figurants, des costumes variés et décors reconstitués.


La retranscription du livre pour le film n’a pas été trop complexe ? Notamment au niveau de la temporalité. Je n’ai pas lu le livre mais en début de séance à Deauville, vous étiez sur scène et vous nous aviez prévenus en nous disant « vous n’allez rien comprendre au début, accrochez-vous ! » et finalement, cette temporalité particulière était plutôt simple et même agréable.

Radu : Ce n’est pas forcément très compliqué. C’est comme tous les films qui ont des énigmes.  Et dans l’amour il y a des énigmes. On ne connait pas tout dès le début et on est un peu perdu. Il y a des tiroirs à explorer et c’est ça qui est intéressant je trouve. Cette temporalité qui fait durer les énigmes est très fréquente, surtout dans les séries télé. On s’amuse avec le scénario, on fait durer le suspense avec des fausses pistes. On fait travailler le spectateur. Dans le livre, c’était vraiment beaucoup plus complexe. Nous on s’est bien amusés à l’écriture du scénario pour qu’un retour dans le passé apporte toujours une explication sur le présent et sur le comportement des personnages. Dramaturgiquement, ce n’est pas banal. Ça oblige le spectateur à bosser un peu et à assembler les pièces d’un puzzle. D’ailleurs, ça lui donne une grande satisfaction quand il comprend. Et ça procure aussi des émotions construites par des révélations. On voit nos deux personnages, tous les deux à New-York et on se demande « mais bon sang, pourquoi ils ne sont pas ensemble alors qu’ils sont amoureux ? » et puis on fait un bond dans le passé, on comprend et l’émotion est encore plus forte que si l’explication était venue en début de film.

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Parlez-moi d’Alma jouée par Gemma Arterton (il y a deux Alma dans L’Histoire de l’amour : une est jouée par Gemma Aterton, l’autre par Sophie Nélisse ; elles sont deux femmes différentes, NDLR). J’ai l’impression qu’elle a du mal à croire en l’amour unique et véritable. Elle joue avec trois garçons au début du film.

Radu : Au début, c’est une jeune femme tout à fait ravissante, pleine de vie. C’est la plus jolie de son village et tous les garçons sont amoureux d’elle. Elle, elle joue avec eux. Ils sont fous d’amour pour elle. Elle joue mais elle n’en aime qu’un.


Vous pensez que toutes les jolies femmes sont comme ça ?

Radu : Non, mais on a vu ça dans toutes les générations. Moi à l’école c’était pareil. Il y avait LA plus belle de l’école et elle le savait. Elle n’en aimait qu’un mais elle ne le disait pas trop. Alma au début est jeune et espiègle. Mais le seul qu’elle embrasse, ce n’est que son Léo. C’est une amoureuse de littérature et elle envoie balader les autres garçons parce qu’ils n’écrivent pas assez bien alors que Léo, il sait magner les mots. Elle fait promettre à Léo de survivre à la guerre pour qu’ils se rejoignent à New-York plus tard, avant qu’elle parte. Après, certains malheurs de la guerre les frappent comme ça a existé en vrai. Tout ne s’est pas déroulé comme prévu, à cause de la guerre. Dans L’Histoire de l’Amour, il faut se demander : « comment des déluges incontrôlables rendent-ils l’amour difficile ? ». Quelle que soit l’époque.


Léo se laisse porter par ses sentiments et son amour, c’est un grand sentimental. Alma, celle jouée par Sophie Nélisse, elle est beaucoup plus dure et plus exigeante en amour. Ils ont l’air opposés et pourtant ils ont la même douceur.

Radu : Leur différence se fait surtout au niveau de l’époque. Léo a écrit un livre pour sa Alma, qui est une magnifique déclaration et qui est une utopie d’amour. Alma (Sophie Nélisse), la jeune new-yorkaise, hérite du prénom de la jeune femme du livre. Mais en plus de cela, elle hérite de toute l’histoire du livre, alors qu’elle n’a rien demandé ! Elle naît et elle est déjà « la femme la plus aimée du monde », comme la Alma du livre, la Alma de Léo. Elle est contaminée par le virus utopique d’aimer à la folie. Du coup, Alma la jeune new-yorkaise est extrêmement chiante et exigeante parce qu’elle ne veut que l’amour qu’elle connait grâce à l’histoire écrite par Léo. Elle veut l’amour, le vrai, l’amour pur. Elle a du mal à y croire parce qu’elle a peur de ne pas connaitre ce qui lui a été promis, c’est-à-dire cette relation utopique. Lorsque le garçon auquel elle s’intéresse commence à s’intéresser à elle, elle nous énerve parce qu’elle ne veut plus de lui alors qu’elle le voulait au début ! Et elle ne veut plus de lui parce qu’elle a peur que ce soit une simple amourette de quelques semaines. Elle veut être « la femme la plus aimée du monde ». De nos jours, le « like » est plus fort que l’amour. Elle refuse le petit amour. Peut-être que le garçon auquel elle s’intéresse pouvait lui donner le grand amour, mais elle a peur que non. Donc elle ne veut pas de cet « amour Facebook ». La mode est au petit amour. Même si tout le monde rêve du grand. Aujourd’hui, on ne sait plus être exigeant alors on accepte le petit amour et on est déçu.

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Pourtant Alma ne semble ni naise ni « hyper-romantique ».

Radu : Elle est archi exigeante et archi chiante mais elle ne se dégonfle pas. Elle a mis la barre très haut.


Vous pensez que les mots « je t’aime » n’ont plus la même force qu’avant ?

Radu : Non, mais je pense que le rêve d’amour reste le même. On rêve d’aimer à la folie et d’être aimé à la folie. Ce qui a changé, c’est la peur terrible qui entoure ce sentiment. Une peur due au virtuel notamment. On est dans une société de consommation. Le but est de consommer un maximum sinon tu es ringard. On est sur la quantité et non plus la qualité, que la jeune Alma souhaite obtenir. La peur de souffrir, la peur d’être quitté, personne ne fait confiance à l’autre, plus personne ne se promet que c’est « pour longtemps ». Avant on se jurait de rester ensemble longtemps, même si des fois ça ne marchait pas, mais au moins on y croyait sans peur. Je ne critique pas les gens ! Je pense juste que tout le monde aimerait l’amour pur mais que beaucoup n’osent plus, hommes comme femmes. C’est comme ça qu’on n’accède plus au grand amour. Voilà pourquoi mon personnage Léo est un superhéros pour moi. Il aime sans barrière. Mieux que Superman. Il y croit, il prend le risque d’aimer.


Vous ne pensez pas qu’on peut être heureux sans amour ?

Radu : La vie est plus belle quand on est aimé et qu’on aime. Mais vous savez, c’est valable pour votre famille ou vos amis. On ne va pas me faire croire que ça ne fait pas du bien de savoir qu’on peut compter sur des gens qui nous aiment et de pouvoir être là pour ceux qu’on aime. Nous ne sommes pas des robots. On ne peut pas aller au travail, faire la cuisine, dormir et retourner au travail. On a toujours besoin de donner de l’amour et d’en recevoir. C’est n’est pas une notion d’échange mais de partage. Le partage fait du bien, notamment dans un couple. Des échanges d’idées, de discussions ou de tendresse. Je ne fais pas la morale à ceux qui fonctionnent autrement, chacun fait ce qu’il veut. Mais il est important de savoir que le vrai amour existe encore.


Je me rends compte, avec les gens qui m’entourent, que ma génération n’y croit plus.

Radu : Je crois qu’à l’intérieur de nous tous, il y a du merveilleux. On est à une période où on ne croit plus en nos capacités à s’ouvrir. On se prend la tête pour des conneries, on ne fait pas confiance, on a trop peur et notre « merveilleux » reste à l’intérieur. Dans le film, Léo a promis à Alma de l’aimer pour toujours même s’ils sont physiquement séparés. Lui il y croit. Lui il est heureux de cela.

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Mais il aurait pu tomber amoureux de quelqu’un d’autre ?

Radu : Oui mais non. C’est elle. Pour lui, elle est tout. Elle est belle, elle est brillante, elle est drôle. C’est elle. Son choix c’est d’être heureux en étant amoureux de cette femme-là. C’est son bonheur. C’est son utopie d’amour. Nous on aimerait qu’il ait une autre amoureuse. Léo est doux, il est drôle, il est super attachant et ça peut faire de la peine de le voir fou de quelqu’un si difficile à retrouver. Mais non. On aime Léo parce qu’il aime Alma. S’il avait trouvé une autre femme, on l’aurait trouvé ringard parce qu’il aurait baissé les bras, il n’y aurait plus eu d’amour pur et unique. Ce sont des personnages comme lui qui m’inspirent. Gandhi, Mandela… et Léo ! Ce sont des gens au-dessus du banal, au-dessus de la facilité. Léo résiste à tous nos réflexes médiocres.

C’est comme Cyrano de Bergerac ! On a envie de lui dire « Mais t’es con ! T’es con mon vieux ! Il y a cinquante mille femmes, pourquoi tu n’en veux qu’une ? T’es poète, tu as du talent. Oublie-la et prends-en une autre. Publie tes poèmes sur Facebook et toutes les jolies filles vont rappliquer ! ». Mais s’il avait fait ça Cyrano, s’il s’était tourné vers une autre, on ne l’aimerait pas autant. Tout le monde a besoin de modèle comme ça. Notre attachement à eux montre bien qu’au fond, on croit en l’amour.


Mais Cyrano souffre beaucoup.

Radu : Il faut arrêter d’avoir peur de la souffrance. Quoi qu’il arrive on souffre. Mais ce n’est pas grave, c’est là qu’on risque de réveiller notre « merveilleux ». Si on se protège de tout, on ne vivra rien. Dans le film, à la manière de Superman qui se bat, Léo et Alma se battent pour l’amour et ils disent « putain, OSEZ ! ».

Propos recueillis par Estelle Lautrou

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Nous remercions sincèrement Radu Mihaileanu pour cette interview sincère. 

N’hésitez pas à aller jeter un oeil sur notre avis concernant L’Histoire de l’Amour !

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